Entraîneur-chef unilingue anglophone

Le mépris n'aura-t-il qu'un temps?

Le plus méprisant dans l'«affaire Cunneyworth», c'est qu'elle laisse croire qu'il n'y a pas de francophone compétent, à l'heure actuelle, pour occuper le poste d'entraîneur-chef du Canadien.

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Lors de sa nomination comme directeur général du Canadien, en février 2010, Pierre Gauthier a fait une déclaration importante. «Le fait français, a-t-il dit, est une réalité avec laquelle nous devons composer. La représentation francophone fait partie de la mission que nous devons relever comme équipe.»
Le moins qu'on puisse dire, c'est que M. Gauthier a eu un grave trou de mémoire en nommant un unilingue anglais, Randy Cunneyworth, au poste d'entraîneur-chef du Canadien.
Depuis le milieu des années 1950, sauf une seule année, tous les entraîneurs-chefs du Tricolore ont parlé français. Ce respect du fait français n'est pas étranger à l'émeute qui a soulevé les partisans francophones du Canadien, à Montréal en 1955, pour défendre un joueur légendaire, Maurice Richard, injustement suspendu par la direction de la Ligne nationale de hockey.
De Cunneyworth à Gordon
Le plus méprisant dans l'«affaire Cunneyworth», c'est qu'elle laisse croire qu'il n'y a pas de francophone compétent, à l'heure actuelle, pour occuper le poste d'entraîneur-chef du Canadien. Ce mépris nous ramène 50 ans en arrière, au moment de l'«affaire Gordon». Le 19 novembre 1962, devant un comité parlementaire à Ottawa, le président des Chemins de fer nationaux (CN), Donald Gordon, à qui l'on demandait des comptes sur l'absence totale de francophones aux 17 postes de vice-présidents de la société d'État, avait répondu sèchement que les promotions se faisaient «au mérite». En d'autres termes, les Canadiens français, comme on les appelait alors, n'étaient pas assez compétents pour occuper ces postes.
La petite phrase de M. Gordon, unilingue anglais de surcroît, avait attisé une flambée de manifestations partout au Québec, et notamment à Montréal où une marche de protestation devant l'hôtel Reine-Élisabeth, siège social du CN, avait tourné à la violence.
Aujourd'hui, même si le Canadien est l'une des institutions les plus importantes au Québec, ses partisans sont moins enclins à descendre dans la rue que les manifestants des années 1950 et 1960, qui avaient plus à coeur la défense de la langue française et le respect des Québécois francophones.
Compte tenu du marché unique en son genre que représente le Québec — la seule nation francophone en Amérique du Nord —, le Canadien doit évidemment avoir un entraîneur-chef francophone. Il doit également être l'équipe qui compte le plus de joueurs, et de bons joueurs francophones, ce qui est loin d'être le cas depuis quelques années.
Et le Fonds de solidarité FTQ?
L'affaire Cunneyworth est d'autant plus scandaleuse que les propriétaires du Canadien sont des Québécois. L'un d'eux est le Fonds de solidarité FTQ, qui a effectué un énorme investissement de 50 millions dans l'entreprise Le Club de Hockey Canadien. Ses quelque 583 000 actionnaires sont ainsi devenus des petits propriétaires de nos ex-Glorieux. Aujourd'hui, ils sont parmi les premiers à subir le profond mépris de la direction du Canadien.
Le Fonds de solidarité FTQ s'est engagé, en signant la convention d'actionnaire, à ne pas commenter publiquement les décisions de la direction de l'équipe. Espérons au moins que les dirigeants du Fonds critiquent en privé et avec vigueur certaines de ces décisions, car il n'y a pas de quoi être fier d'être propriétaire du Canadien en ce moment, à tous égards.
Pour ma part, je crois qu'il faudra attendre la venue à Québec d'une nouvelle équipe de la LNH, fleurdelisée celle-là, pour qu'enfin les Québécois obtiennent un peu plus de respect de la part d'une équipe plus que centenaire, le Canadien, qui s'est bâtie grâce à eux et qui, en fin de compte, leur appartient un peu.
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Louis Fournier, journaliste et syndicaliste à la retraite - L'auteur a été vice-président aux communications du Fonds de solidarité FTQ, un des propriétaires du Canadien


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