Le modèle québécois, " inefficace et injuste "

Un documentaire-choc met à mal l'idée selon laquelle la société québécoise serait la plus juste en Occident

L'illusion tranquille




Ce que l'on appelle communément le " Modèle québécois ", en faisant allusion à l'interventionnisme de l'État et à la société de partage que les Québécois se seraient octroyée il y a 40 ans, se fait déboulonner de façon magistrale dans L'illusion tranquille, un documentaire de 72 minutes produit par une réalisatrice de la région de Québec, Joanne Marcotte.
" Je voulais comprendre davantage ce que l'on appelait le modèle québécois parce que je sentais que quelque chose n'allait pas, a expliqué aux AFFAIRES Mme Marcotte, une informaticienne de formation. Je me suis mise à faire des recherche et j'ai eu l'idée de produire ce film ". Elle a été épaulée par son conjoint, Denis Julien, planificateur financier chez Dundee. Le couple n'a reçu aucun financement de l'extérieur.
Une fois les entrevues faites avec les experts, Mme Marcotte a cherché un co-producteur avec qui le couple aurait partagé les coûts et les recettes, " mais il aurait fallu supprimer des intervenants et ajouter des éléments pour contrebalancer le contenu. Cela aurait dilué le message. Nous avons refusé et décidé de plonger quand même, car nous ne ne pouvions pas nous arrêter à mi-chemin. Nous ne rentrerons pas dans notre argent, mais au moins nous aurons atteint notre but : montrer que le modèle québécois est inefficace et injuste. "
Le film a été projeté pendant trois semaines en novembre au Clap à Québec, et reprend l'affiche la semaine prochaine. Il sera à l'affiche aux cinémas Beaubien et du Parc à Montréal à compter du 12 janvier. Il sera aussi montré dans un cinéma de Sherbrooke pendant la semaine du 21 janvier. Mme Marcotte négocie avec un diffuseur privé, faute de soutien de la part des diffuseurs étatiques.
Le film donne la parole à 10 experts, pour la plupart des universitaires, et à 11 jeunes professionnels. Ils s'attaquent aux mythes et dogmes qui véhiculent l'idée selon laquelle la société québécoise serait la plus juste en Occident. Ceux-ci dénoncent aussi la collusion des élites nationalistes, socialistes et syndicalistes, dont les politiques et les opinions servent davantage selon eux à enrichir les riches qu'à protéger la classe moyenne et les moins bien nantis.
Effets pervers
Le film s'attaque notamment aux effets pervers des programmes sociaux. Il dénnonce le fait que le programme des garderies est plus avantageux pour un couple gagnant 75 000 $ par année et ayant deux enfants (un gain de 1 800 $) que pour une personne monoparentale gagnant 35 000 $ et ayant deux enfants (une perte de 1 600 $)1.
Autre inéquité, le régime de l'assurance médicaments (pour les personnes non couvertes par un régime d'employeur) est injuste pour les jeunes. En faisant payer la même prime à tout le monde, les jeunes, qui l'utilisent très peu, paient pour les personnes âgées, qui en sont les plus gros utilisateurs. C'est le contraire même du principe de l'assurance. La prime annuelle actuelle est de 538 $.
Même le régime de rentes crée de l'inéquité intergénérationnelle. Un travailleur autonome qui gagne 43 700 $ doit payer une prime de 3 979,80 $. Or, on a haussé le prix du régime à 9,9 % du salaire assurable afin de payer les rentes de personnes qui avaient insuffisamment cotisé (les baby-boomers et leurs aînés).
Autre incohérence de notre société dite social-démocrate, le très faible niveau des droits de scolarité sert davantage les familles les plus aisées financièrement, car ce sont elles qui envoient le plus leurs enfants à l'université. Un régime juste accroîtrait ces droits et offrirait des bourses plus généreuses pour les plus démunis. De même, le maintien des tarifs d'électricité à un niveau ne réflètant pas les prix du marché profite surtout à ceux qui ont les plus grosses maisons, donc les plus riches.
L'État a remplacé l'Église
Pourquoi en est-on là ? Parce que des groupes d'intérêt puissants, en particulier les syndicats, se sont emparés du pouvoir, font valoir plusieurs intervenants. " L'État a remplacé l'Église " et " les élites syndicales sont les prédicateurs modernes ".
On dénonce un discours manichéen très répandu au Québec. " Il y a le bien, que le discours courant associe à l'État, à la gauche, à la souveraineté et au syndicalisme, et il y a le mal, qui est représenté par le libre marché, les partenariats public-privé, la droite, le fédéralisme, les entreprises, les riches. Il n'y a pas de place pour les nuances ", ajoute un autre. " Quiconque critique le modèle québécois est anti-québécois, un traitre à la patrie, un néo-libéral. "
Même dénonciation d'une confusion dans le discours public. " Alors que la gauche a traditionnellement été associée au changement, ce qui était le cas dans le passé, les résistants au changement d'aujourd'hui sont les gens qui s'identifient à la gauche, analyse un intervenant. En réalité, ce sont les gens de la droite qui veulent du changement. " On ne critique pas le principe du syndicalisme, mais les abus de pouvoir de ses dirigeants. " Ceux-ci parlent constamment de l'intérêt général et disent défendre les services publics, mais ils ne se gênent pas pour priver la population de ces services en faisant des grèves. "
Le film se termine sur une interrogation : que faire ? La réponse la plus percutante vient d'Alain Dubuc, chroniqueur à La Presse : " Il faut que les jeunes arrivent au pouvoir avec un nouveau modèle. " D'ici là, le film donne l'occasion de débattre du modèle actuel et d'imaginer la réforme qui pourrait y être apportée.
(1) Chiffres tirés d'une étude intitulée Les garderies à 7 $ sont-elles une aubaine ?, réalisée en janvier 2005 par Claude Laferrière, professeur à l'UQAM.
jean-paul.gagne@transcontinental.ca
Illustration(s) :
Joanne Marcotte, réalisatrice de L'illusion tranquille, avec son conjoint Denis Julien : " les élites syndicales sont les prédicateurs modernes. "


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