Une facilité tranquille

L'illusion tranquille


On a décrit le documentaire «L’Illusion tranquille» – qui vient de reprendre l’affiche – comme un film-choc à la manière de Michael Moore. Mais un Moore de droite qui ne se gênerait pas pour dénoncer les travers du «modèle québécois». On n’aurait jamais cru si bien dire.
C’est bel et bien dans la lignée de Michael Moore : un manque de rigueur et une complaisance qui vire à la caricature et qui ne satisfera que ceux qui sont déjà acquis à la cause.
La thèse est ultra-connue. La Révolution tranquille aurait replacé l’Église catholique par une élite nationalo-syndicaliste qui maintient le Québec dans la Grande Noirceur d’une pensée unique sociale-démocrate.
Le Québec serait une sorte de village gaulois, coupé du reste de l’Amérique, imperméable aux idées nouvelles, et qui serait en train de s’empoisonner à la potion pas magique du tout de sa social-démocratie. Tout cela à cause d’une alliance entre le Parti québécois et les grands syndicats, qui contrôlerait tout ce qui bouge au Québec, même quand elle n’est pas au pouvoir.
Le problème de l’«Illusion Tranquille», c’est que le film illustre toutes sortes de problèmes qui sont réels, mais qui n’ont rien de particulièrement québécois.
Première grande croisade : l’universalité et la gratuité des programmes sociaux, en particulier l’assurance-santé. Le problème, c’est que l’universalité et la gratuité de l’assurance-santé sont inscrites dans une loi fédérale. L’assurance-santé n’est pas une création québécoise, mais une invention de la Saskatchewan que le gouvernement fédéral a étendu à tout le pays. Il faudrait donc parler des travers du «modèle canadien».
Un autre cible des auteurs du film, le Régime des rentes du Québec, qui ne sera plus viable dans quelques années à cause du vieillissement de la population.
Sauf que le Régime des rentes du Québec n’est pas fondamentalement différent de celui du Canada – en fait, il s’agit d’un programme fédéral pour lequel le Québec a utilisé son droit de retrait – dont le principal problème est le vieillissement de la population, ce qui est vrai pour l’ensemble des sociétés occidentales. S’il y a un problème particulier au Québec c’est que sa dette est plus élevée, mais cela ne change peu de choses au fait que, pour toutes les sociétés occidentales, il n’y aura bientôt plus que deux travailleurs pour chaque retraité.
Pour un film qui veut dénoncer la fermeture du Québec sur lui-même, le film est remarquablement complaisant quand vient le temps de parler du programme des garderies à 7 $. Il s’agit d’une invention québécoise, mais si le programme était si mauvais et injuste, pourquoi a-t-il servi de modèle à un programme pan-canadien que les libéraux de Paul Martin étaient à mettre en place?
Paul Martin – cet homme qui venait de la grande entreprise et qui représentait, disait-on dans le temps, l’aile droite du Parti libéral du Canada – n’aurait donc été qu’un suppôt de la CSN dans un habit de banquier…
Puis, le film donne longuement la parole au professeur Réjean Breton et à sa tirade déjà bien connue contre les lois du travail québécoises. Sauf qu’encore une fois, les lois du travail du Québec n’ont rien bien de particulier. Elles encadrent, comme partout au monde, la syndicalisation et les relations patronales-ouvrières.
De même, l’ancienneté est peut-être une notion dépassée dans un monde qui doit valoriser la compétence. Mais elle fait encore partie des lois encadrant les relations de travail dans pratiquement tous les pays du monde. Ce n’est pas comme si elle ne survivait qu’au Québec, comme le laisse entendre le film.
Puis on en arrive à la conclusion : tout ce qui val mal au Québec provient de l’alliance diabolique entre les centrales syndicales et le Parti québécois. Mais, partout au monde, les syndicats s’allient avec des partis politiques. Avec les démocrates aux États-Unis, avec le Labour en Grande-Bretagne, avec les socialistes partout en Europe et avec le NPD dans le reste du Canada.
Alors, il est où le «modèle québécois»?
Il est peut-être dans le gel des frais de scolarité à l’université et, dans une moindre mesure, des tarifs d’électricité. Voilà qui est plutôt unique au Québec. Mais on ne peut pas prétendre qu’il n’y a pas de débat public sur ces questions. Ça fait partie du débat politique, comme c’est le cas pour les particularismes dans tous les pays.
À la fin, à cause de tous ces inexcusables manques de rigueur, même sous le prétexte de la vulgarisation, l’«Illusion Tranquille» ne fera que réconforter ceux qui pensaient déjà comme ses auteurs. Comme les films de Michael Moore pour ceux qui détestaient déjà George W. Bush. Ou comme les écrits de Jan Wong, pour ceux qui ont toujours su que tous les maux du Québec viennent de la Loi 101.


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