La crucifixion

L'illusion tranquille

Les artisans qui ont fabriqué ce film avec des bouts de ficelle, sans aide institutionnelle, n'en sont peut-être pas eux-mêmes conscients. Mais la question que le documentaire L'illusion tranquille soulève est philosophique. Elle touche le rapport que l'homme entretient avec le réel. Elle concerne la soif irréductible de l'être humain pour la foi.
Et peut-être relève-t-il d'un grand complot cosmique que le film apparaisse dans quelques salles, ce week-end, en même temps qu'est donnée sous l'égide des Sceptiques du Québec, ce soir, une conférence du biologiste Cyrille Barrette portant notamment sur le désir de croire
De la foi à la politique, il n'y a en effet qu'un pas.
La description des aspects religieux des dogmes qui fondent le bon vieux modèle québécois constitue certainement la partie la plus fascinante de L'illusion tranquille.
L'image se prête bien, en effet à une telle démonstration.
Des processions syndicales jusqu'aux sermons du clergé social-démocrate en passant par l'«enterrement de la paix sociale» (décembre 2003), la statue du col bleu Jean Lapierre, la liturgie de l'affrontement et autres objets ou cérémonies du culte bref, tout ce qui est montré constitue une sainte introduction à la réalité québécoise qu'on crucifiera ensuite allègrement.
La réalisatrice Joanne Marcotte, qui n'est pas une professionnelle du cinéma, a néanmoins trouvé pour faire passer ce message indigeste un joli petit lot de formules visuelles pleines d'humour. C'est une qualité dont abusent rarement les documentaristes dits engagés, dont (Michael Moore excepté) l'esprit de sérieux est en général papal. L'illusion tranquille ne s'inscrit pas moins dans la vague que Moore, justement, a déclenchée surtout avec Roger & Me en 1989 et Fahrenheit 9/11 en 2004. Ont suivi, on le sait, des dizaines de brûlots dirigés contre les industries de la restauration rapide, de la vente au détail, de la finance, de l'automobile, du café, d'autres encore comme, au Québec, l'industrie forestière avec L'erreur boréale.
La différence, c'est que Marcotte n'attaque pas une multinationale ou le gouvernement Bush, offensives confortables qui garantissent le succès d'estime et l'ovation. Mais bien un modèle de société toujours arrimé aux pouvoirs et aux élites, toujours considéré comme un objet de dévotion. La démonstration en a été faite encore, cette semaine, par les résultats d'un sondage CROP exprimant un solide scepticisme vis-à-vis des thèses des «lucides», proches de celles que développe L'illusion tranquille.
Certes, ces thèses sont connues, tout comme les incontournables chiffres qui les soutiennent. Le film n'invente donc rien, pas davantage qu'il ne renouvelle le genre cinématographique.
Malgré cela, il ne serait pas inutile qu'il soit largement fréquenté, en particulier par les jeunes une fois achevée, bien sûr, la lecture du missel Parlons souveraineté à l'école et du bréviaire syndical Parlons politique!, disponibles à la procure de toutes les bonnes institutions d'enseignement.
mroy@lapresse.ca


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