Le nationalisme vital à l’indépendance

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Le nationalisme est la raison d'être de l'indépendance

Depuis des années, l’idée que le nationalisme est le plus important, sinon l’unique, frein à l’indépendance du Québec évolue chez certains souverainistes, qui voient là une solution miracle pour redonner de l’entrain au mouvement, un aller simple vers la souveraineté, au fond. Comme Bobby A. Aubé l’expliquait dans son texte publié dimanche dernier dans le Journal de Montréal, Avenir du mouvement indépendantiste, l’indépendance sans le nationalisme, ceux qui adhèrent à cette rhétorique ont souvent été ébranlés par la Charte des valeurs québécoises, choqués que les nationalistes aient voulu baliser le vivre-ensemble en faisant primer les droits collectifs sur les droits individuels pour cet enjeu.


Un mouvement bâti sur le nationalisme québécois


Pourtant, le mouvement indépendantiste moderne s’est bâti dans l’idée de consacrer l’identité du Québec, que l’on juge avec raison menacée par les politiques du gouvernement fédéral, notamment son refus de reconnaître la nation québécoise et sa Charte canadienne des droits et libertés, pièce maîtresse du multiculturalisme d’État caractérisant le Canada post-1982. Cette Charte, qui a donné à la Cour suprême le pouvoir de mettre la hache dans la loi 101, menaçait également de se jeter à bras raccourcis sur la Charte des valeurs, qui contrastait terriblement avec le rêve d’un Canada postnational où l’identité collective est abolie au profit des identités individuelles. Ce « rêve » était celui de Pierre Trudeau, perçu par celui-ci comme le meilleur moyen d’aplanir la différence québécoise et ce sentiment d’appartenance distinct menaçant son Canada uni dans sa division entre communautarismes.



Pour les indépendantistes, il a donc toujours été naturel de s’opposer fermement à la doctrine multiculturaliste, avant tout pensée pour « unifier » le Canada dans une pensée de libertés individuelles annihilant toute possibilité d’appartenance nationale au-delà de la police montée et des trous de beignes de chez Tim Hortons.



Pour les indépendantistes, il a donc toujours été naturel de s’opposer fermement à la doctrine multiculturaliste, avant tout pensée pour « unifier » le Canada dans une pensée de libertés individuelles annihilant toute possibilité d’appartenance nationale au-delà de la police montée et des trous de beignes de chez Tim Hortons. Pour un mouvement dont le but sous-jacent a toujours été de pérenniser la nation québécoise et de permettre aux Québécois de faire leurs propres choix, adhérer à la doctrine multiculturaliste et « faire dos » au nationalisme, pour citer M. Aubé, serait non seulement contre-productif, ce serait faire le travail des trudeauistes à leur place.


La lente assimilation du multiculturalisme


Le fait est que, depuis sa consécration dans une pompeuse cérémonie en 1982, le multiculturalisme gouvernemental canadien s’est lentement incrusté chez plusieurs au Québec, notamment chez les jeunes. Désormais, on est beaucoup plus prompt à adhérer au discours plaçant les « méchants identitaires » défendant l’identité collective contre les « gentils inclusifs » se faisant les champions des droits individuels, cette rhétorique s’étant intériorisée au fil des années. Conséquemment, on saute plus rapidement aux barricades pour accuser les nationalistes de « souffler sur les braises de l’intolérance » lorsqu’il est question de politique identitaire, car on rejette davantage l’idée consensuelle jadis que les minorités ont le devoir de s’intégrer à la majorité. La logique doctrinaire canadienne inverse justement le devoir d’intégration pour blâmer la majorité historique d’être « refermée sur elle-même » et « intolérante » lorsqu’il est question de préserver sa différence vitale.



Ne nous surprenons pas si, avec le temps, de plus en plus de gens disent que le français se porte bien, malgré les études de Statistiques Canada affirmant le contraire, car ils ont intériorisé que d’affirmer le contraire ferait d’eux des « fermés », des « intolérants ».



On tenait tellement à ce que les jeunes Québécois intègrent que les revendications minoritaires sont plus urgentes et plus pertinentes que la crise de l’identité majoritaire qu’on en a même fait un cours, Éthique et culture religieuse. Celui-ci enseigne le respect absolu des particularismes, le rejet de la laïcité gouvernementale (présentée comme « discriminatoire » comme le répètent les multiculturalistes) et fournit un prêt-à-penser fort simple à intégrer pour les citoyens de demain. Ne nous surprenons pas si, avec le temps, de plus en plus de gens disent que le français se porte bien, malgré les études de Statistiques Canada affirmant le contraire, car ils ont intériorisé que d’affirmer le contraire ferait d’eux des « fermés », des « intolérants ».


Le souverainisme de substitution


Nous en sommes à un point où des indépendantistes, jadis la première ligne contre le discours trudeauiste cherchant avant tout à les faire disparaître, se sont laissés absorber par ce discours à la mode et se complaisent à critiquer le nationalisme « vieillissant » sans lequel le Québec ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Ne reniant pas leurs convictions indépendantistes pour autant, ils s’activent à accoucher d’un discours de remplacement afin d’occulter le nationalisme de l’indépendance, alors qu’il en est la raison d’être historique. Pour ce faire, les souverainistes antinationalistes s’efforcent d’amener à l’avant-plan des arguments de deuxième et de troisième trio, comme les dédoublements ministériels, le penchant pour les paradis fiscaux du gouvernement fédéral ou encore sa tendance à appuyer les projets d’oléoducs.



[S]’il y a bien une constante irréformable du Canada qui perdure depuis 150 ans, c’est bien l’antipathie envers la nation québécoise et ses revendications[.]



Si ces arguments demeurent valables pour l’indépendance, force est de constater qu’un gouvernement canadien plus à gauche, disons du NPD, les annulerait pour la plupart. Le mouvement indépendantiste ne peut se baser sur des arguments circonstanciels et profondément réformables du Canada pour vouloir en sortir, de peur de les voir s’effondrer du moment où un gouvernement fédéral adoptera quelques réformes ciblées. Par contre, s’il y a bien une constante irréformable du Canada qui perdure depuis 150 ans, c’est bien l’antipathie envers la nation québécoise et ses revendications, laquelle s’est vue encastrée dans une constitution intouchable permettant aux juges de dépecer toute législation québécoise allant à l’encontre de la vision multiculturaliste canadienne.


L’émergence d’un nouveau clivage


Des textes comme celui de M. Aubé ainsi que le mien le démontrent avec éloquence, la crise des accommodements raisonnables a été l’amorce d’un nouveau clivage politique au Québec, celui-ci opposant les multiculturalistes et les nationalistes plutôt que les fédéralistes aux indépendantistes. Chez les fédéralistes, on a toujours trouvé des alliés du nationalisme québécois et, à l’inverse, on découvre des adversaires du nationalisme chez les souverainistes. La Charte des valeurs en aura été le moment de polarisation, qui a clairement tracé une ligne entre ses partisans et ses opposants. Depuis, le mouvement souverainiste est en grande remise en question, d’abord par rapport à son attitude face à l’identité québécoise.



À terme, le mouvement devra cesser de jouer au funambule et pencher d’un côté ou de l’autre de la question identitaire.



La division est réelle: les souverainistes multiculturalistes encensent fréquemment les propos des fédéralistes qui penchent de leur côté, c’est aussi le cas des nationalistes. À terme, le mouvement devra cesser de jouer au funambule et pencher d’un côté ou de l’autre de la question identitaire. Dans cette reconfiguration généralisée des allégeances, il y a fort à parier qu’il restera fidèle à sa raison d’être, qui contraste fondamentalement avec les objectifs du Canada post-1982, pour former une nouvelle coalition de gauche et de droite en faveur de l’indépendance et d’un nationalisme québécois affirmé. Ce sera un enjeu incontournable au lendemain du premier octobre, soyons-en certains.