Qu’est-ce qu’être nationaliste au Québec aujourd’hui ? Voilà une question on ne peut plus pertinente, au moment où tous nos politiciens se revendiquent de cette étiquette d’une manière ou d’une autre. À force d’être galvaudé, le terme risque de perdre son sens et de devenir une formule politique stérile qui n’incarne rien du tout. Pensons à Dominique Anglade, qui présente une candidate faisant explicitement le saut en politique pour combattre le nationalisme, et qui conteste le « monopole » du nationalisme à la CAQ le lendemain.
En fait, depuis au moins l’abbé Lionel Groulx, le nationalisme québécois s’organise autour d’une idée maîtresse : l’État du Québec doit agir comme un État-nation en s’impliquant dans la vie collective pour défendre une certaine idée du Québec français, à la tradition et aux mœurs distinctes. Cet axe central, que Groulx défendait dans L’Action nationale dès les années 1920, a inspiré le « Maîtres chez nous » de Jean Lesage, et même la loi 101 du gouvernement Lévesque. Pour Lesage et Lévesque, l’État québécois devait défendre l’identité culturelle unique qu’il porte, sans avoir à s’en excuser.
Surtout, pour être nationaliste, il faut oser dire la différence québécoise, en soulignant ce qui fait l’unicité de cette petite nation francophone en Amérique du Nord, ce qui fait que le Québec n’est ni le Canada anglais ni les États-Unis. Il y a là un exercice auquel bon nombre de politiciens et d’intellectuels se refusent, de peur de verser dans une soi-disant « exclusion », mais le fait est que celui qui n’ose pas définir la nation qu’il dit défendre se retrouve devant un grand vide. Pourtant, cela saute aux yeux, notre aventure collective puise avant tout ses racines dans la Nouvelle-France, tout en s’enrichissant d’apports multiples avec le temps.
De même, il s’agit de constater la vulnérabilité de cet héritage issu de quatre siècles de résistance. Le Québec étant le seul État francophone en Amérique du Nord, il faut prendre compte de notre situation pour chérir comme le plus précieux des trésors cette unicité qui vit toujours à travers nous. Sans cette conscience de notre précarité, la motivation pour agir vient à manquer.
On aurait tort d’oublier qu’avant la victoire de François Legault en 2018, nos politiciens étaient bien peu nombreux à se dire nationalistes. Ce sont les positions du chef caquiste sur trois grands dossiers, en droite ligne avec cette idée du Québec comme État-nation, qui ont défini le cœur du nationalisme d’aujourd’hui : la langue française, la laïcité, l’immigration. Incontestablement, un nationalisme québécois assumé passe par une défense du français qui ne craint pas de recourir à la loi, par un appui solide à la loi 21 et par la volonté que les seuils d’immigration soient abaissés.
Alors que ces débats font émerger une polarisation intense entre les partis, il serait illusoire de prétendre que toutes les formations politiques québécoises sont nationalistes, n’en déplaise à ceux qui tentent de s’approprier cette étiquette sans prendre en compte ce qu’elle implique. Quelle différence les libéraux défendent-ils lorsqu’ils tentent de faire entrer le Québec dans le moule canadien ?
Le fait est que s’opposer à ce que le Québec légifère davantage pour protéger le français n’a rien de nationaliste. Pas plus que s’opposer à ce que le Québec définisse son propre modèle de laïcité. Ni augmenter considérablement le nombre d’immigrants qu’on reçoit annuellement sans le moindre souci pour notre capacité d’intégration, déjà dépassée. Être nationaliste aujourd’hui, c’est assumer pleinement que le Québec construise son identité hors du multiculturalisme canadien et en toute fidélité à un héritage francophone plusieurs fois centenaire.
Étienne-Alexandre Beauregard
Auteur et chroniqueur. Il a publié en mars dernier «Le schisme identitaire. Guerre culturelle et imaginaire québécois», chez Boréal.