Le pessimisme de Joseph Facal

Chronique de Louis Lapointe

Je n’ai jamais été très tendre envers les idées de Joseph Facal. Toutefois, contrairement à André Pratte, je ne crois pas qu’il se trompe lorsqu’il affirme que le peuple québécois «a perdu le goût d'avancer, perdu confiance dans ses élites, peut-être même perdu un peu confiance en lui» et que «la vie moderne anesthésie l'audace et le courage».

Dans un article publié dans la revue Sciences Humaines d’octobre 2010, numéro 219, Catherine Audard*, professeure au London School of Economics depuis 1991, partage le même pessimisme que Joseph Facal à l’endroit des êtres humains.

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«L’ultralibéralisme a cherché à détruire une bonne partie des acquis sociaux pour lesquels le libéralisme social du début du 20e siècle s’était battu. Ensuite, le libéralisme classique a sans doute sous-estimé l’irrationalité et l’incompétence politique des individus. L’obligation politique et la paix sociale ne peuvent pas dépendre seulement des volontés individuelles, de leur consentement aux institutions.

Comme le soulignait Joseph Schumpeter, les choix individuels peuvent être irrationnels et absurdes. Fonder sur eux la démocratie peut conduire au désastre, comme le montre l’exemple de l’Allemagne nazie.

Enfin et surtout, le libéralisme a peut-être sous-estimé la peur de la liberté qui anime la plus grande partie de l’humanité et lui a fait, entre autres facteurs, s’accommoder du despotisme. L’individualisme libéral semble ignorer le fait que tout être humain ne peut ou ne veut devenir un individu, que c’est un idéal trop exigeant pour la plupart d’entre eux. Son éloge, par exemple, de la force du «caractère» pour changer un destin est sans doute trop élitiste.

L’hostilité à l’individualisme, à sa morale exigeante et la tentation de la tyrannie s’expliquent peut-être alors par ce poids écrasant que représente la nécessité de définir soi-même ses valeurs et d’en assumer, seul, les conséquences.

Toute une tradition de penseurs du «libéralisme de la guerre froide», comme Isaiah Berlin, Karl Popper ou Raymond Aron, influencés par Max Weber et instruits par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et du totalitarisme, défendrait plutôt un «individualisme négatif», plus modeste dans ses ambitions et plus conscient de la fragilité de l’individu, de la force des phénomènes collectifs et de l’influence des structures sociales.

C’est plutôt dans leur capacité de résistance, de dissidence que les individus affirment leur liberté, conformément à l’inspiration première de John Locke, défendant le droit de résistance au pouvoir injuste. Éviter le pire, non pas promettre le meilleur, voilà le seul espoir compatible avec la défense des libertés.

Un libéral est quelqu’un qui n’est « certain que de l’incertitude», mais qui, malgré cela, ressent profondément l’obligation de vivre en homme ou en femme libre.»*

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Si ce pessimisme que décrit Catherine Audard* explique en partie l’attitude de Joseph Facal qui souhaite mettre de côté la promotion de l'indépendance du Québec, un projet qui mobilise encore une forte proportion de Québécois, pourquoi ce dernier espérerait-il plus de ceux qu’il décrit comme fatigués, dont «la vie moderne anesthésie l'audace et le courage», attendant d'eux qu'ils changent leurs habitudes de vie ?

Préfère-t-il vraiment le consentement à une forme d'autoritarisme venant de ceux qui aiment les réponses toutes faites à l'activisme de ceux qui mettent en doute les certitudes?

Comme le dit Catherine Audard, si le libéralisme a échoué dans le projet de rendre les individus plus libres, la réponse ne peut pas être « de détruire une bonne partie des acquis sociaux, pour lesquels le libéralisme social du début du 20e siècle s’était battu», mais d’éviter le pire, en résistant au pouvoir injuste par la dissidence, la seule façon d’exprimer sa liberté lorsqu’on ne peut promettre le meilleur.

Or, au Québec, la seule dissidence organisée capable de défendre ces acquis est celle des indépendantistes, pas celle de la nouvelle droite du Réseau Liberté-Québec dont les principaux protagonistes se caractérisent surtout par cette «irrationalité» et cette «incompétence» dont parle Catherine Audard et que décrit Jean-Robert Sansfaçon dans le Devoir d’hier.

Si Joseph Facal fait le bon diagnostic lorsqu’il évoque la fatigue des Québécois, il se trompe de cible lorsqu’il met de côté l'indépendance et vise les acquis sociaux.

Ajourner les actions du seul mouvement qui offre encore une résistance organisée aux forces ultralibérales du Québec pour privilégier des solutions proposées par un mouvement dont le seul objectif est précisément de diminuer ces acquis sociaux, loin de faire avancer la liberté et la justice au Québec, risquerait, au contraire, d’annihiler tout espoir pour l’individu de vivre en homme ou en femme libre.

C’est exactement ce qui s’est passé aux États-Unis hier, les extrémistes «incompétents» et «irrationnels» du Tea Party ont eu le dessus sur l’intellectualisme libéral de Barack Obama. « Les choix individuels peuvent être irrationnels et absurdes. Fonder sur eux la démocratie peut conduire au désastre, comme le montre l’exemple de l’Allemagne nazie» et nous le rappelle avec lucidité Catherine Audard.

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    4 novembre 2010

    Je lis régulièrement les chroniques de monsieur Facal. Je constate comme vous son pessimisme croissant et franchement je ne parviens pas à comprendre dans quelle direction au juste il se dirige présentement. À vrai dire cela me donne même l'impression qu'il ne le sait pas lui-même. Étrange...

  • Marcel Haché Répondre

    3 novembre 2010

    Tout à fait d’accord avec vous. Facal est inutilement pessimiste.
    Mais une très grande part de son analyse concernant la nécessité de remettre le « modèle québécois » en question reste d’actualité. Je n’ai jamais entendu ni lu qu’il fallait selon lui démolir tous les « acquis ».Je ne saches pas que l’indépendance serait la Consécration de l’État Providence. Si notre société, la réalité, était devenue quelque chose d’inaltérable, pourquoi l’indépendance ?
    Mais il n’y a plus que l’indépendance qui serait l’occasion de remettre le Québec sur ses rails.
    Prenez l’immense domaine (politique) de l’immense industrie de la construction. D’aussi loin que je puisse m’en souvenir, la corruption y a toujours été présente. C’est d’une corruption institutionnalisée dont il s’agit. Le code du travail consacre un « régime » dans la construction qui est à la source de la corruption, de bien des corruptions, et dans beaucoup de directions. Les seules enquêtes policières n’ont jamais été, et ne seront jamais, que l’ajout d’une couche de peinture sur du bois pourri.
    Je crois bien modestement que l’indépendance serait « aussi l’occasion » de purifier l’air de l’industrie de la construction. Je crois aussi l’inverse : sans indépendance, tous les sparages des monsieurs net ne changeront jamais rien à la corruption de cette industrie qui en corrompt d’autres. La corruption, c’est comme des métastases. La pôôôvre commission Bastarache, télévisée, est devenue plus importante par ce qu’elle laisse supposer que par ce qu’elle a affirmé. Ce qui a été « dit » est plus important que ce que le commissaire pourra écrire.
    Mme Marois a fait la promesse qu’une enquête sur la « construction » serait faite, advenant qu’elle et le P.Q. soient élus. Dépendant de la forme et du mandat de cette enquête, ça pourrait bien commencer là….
    Ou bien Mme Marois ne sait pas de quoi elle parle, et alors elle « n’a pas d’affaire là », ou bien elle sait de quoi elle parle, ce que je crois, et bien des espoirs sont permis, et jusqu’à l’Espoir lui-même…L’Indépendance
    Suis bien étonné que Joseph Facal ne fasse pas le lien entre la « souhaitable » indépendance et la nécessité de réformer ce qui peut l’être PAR l’indépendance. L’opinion publique peut se retourner. Elle peut être retournée par un nouveau gouvernement. Autrement, en s’inclinant, Facal rejoint l’ « Autrement » de Claude Morin, dans une ronde sans fin de « tournage en rond ».



  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    3 novembre 2010

    Le Québec et son sens historique
    L’idéologie libérale-nationaliste est exactement ce qu’elle prétend être : la logique démocratique d’un projet de société garantissant son devenir collectif.
    JLP