Le plurilinguisme individuel et l'unilinguisme de l'État.

On devrait sortir les politiciens des écoles.

Crise linguistique au Québec 2012

Je suis de ceux qui ont toujours aimé l’étude des langues. C'est l’étude du latin et du grec durant mon cours secondaire qui m'en a donné le goût. Le grec, surtout, m’a séduit pour son élégance et sa précision dans l’expression de la pensée. C’était la langue des philosophes, c’est devenu la langue du monde, à une autre époque.
Le charme opère encore. Je m'y suis remis et dernièrement j'ai lu l'évangile de Saint-Jean dans le texte en m'aidant d'une traduction interlinéaire, il faut le dire. Et puis je me suis intéressé à une bonne douzaine de langues étrangères. Je peux en utiliser six de façon utile. Je ne dis pas que je les parle mais elles me sont utiles.
Je suis donc convaincu du bienfait du plurilinguisme individuel pour le plaisir qu’il procure. Plaisir d’apprendre, plaisir de découvrir d’autres pays, plaisir de communiquer directement avec les habitants de ces pays dans leurs langues quand finalement j'ai la chance de pouvoir m'y rendre.
Pour le plaisir donc.
Je sais que cela peut aussi s’avérer utile et que certains ont la chance d’utiliser leurs connaissances linguistiques dans leur travail. Cela enrichit leur vie et leur permet d’avoir une existence plus excitante. Je les envie.
Je sais aussi que, pour un État, il est plus facile de faire en sorte que tout fonctionne bien quand tout fonctionne dans une seule langue. L’administration de l’État est habituellement unilingue et se fait dans la langue nationale, celle qui a justement été choisie pour être la langue de l'État. Une des premières préoccupations de l’État est de faire en sorte que les citoyens maîtrisent la langue nationale ne serais-ce que pour trouver les effectifs nécessaires pour le faire fonctionner convenablement. Il y a aussi un objectif de cohésion sociale. Une langue connue par tous permet à tous de communiquer avec tous. C’est simple.
Habituellement la langue nationale est celle du groupe linguistique le plus nombreux ou celle du groupe linguistique dominant. Quand une minorité veut imposer sa langue à une majorité cela pose le plus souvent des problèmes insurmontables mais l’histoire a montré aussi que souvent cela peut marcher.
Dans les pays où plusieurs groupes linguistiques cohabitent et où existent plusieurs minorités, reconnues ou non, l’État pourra s’adresser à ces communauté linguistiques dans leurs langues pour faciliter les choses en attendant que l’apprentissage de la langue nationale fasse son œuvre. On peut considérer que cela fait partie des services aux citoyens.
Toutes les choses ne sont donc pas simples. Le citoyen réclame les apprentissages qui lui seront les plus favorables. L'État se préoccupe de cohésion sociale et de se faire comprendre de tous les citoyens qui, tous, payent des taxes et ont droit à un égal accès aux services et à la connaissance des lois.
Tout ceci se répercute sur l'école. Tout le monde s’entend sur le fait que la langue nationale doit faire l’objet d’une attention spéciale. Tout le monde s’entend aussi pour dire que le cursus scolaire doit offrir l’enseignement d’au moins une autre langue, habituellement la langue qui a le plus d’utilité au plan international. À partir de là il n’y a plus d’entente.
Le cas du Québec est particulièrement complexe. On y trouve une langue nationale au niveau du Québec et plusieurs langues autochtones qu’on ne peut pas considérer comme des langues étrangères. On y trouve également une langue nationale au plan canadien qui, pour notre plus grand bonheur ou pour notre plus grand malheur, est aussi la langue dominante au niveau international et enfin de nombreuses communautés linguistiques auxquelles, à toutes fins utiles, la constitution canadienne reconnaît certains droits comme à des minorités.
L’État québécois est un État imbriqué dans un autre État qui a une autre langue nationale que lui. M. Harper nous l’a rappelé dernièrement : le Canada n’est pas un pays bilingue. Finalement le Québec n’est pas un État unilingue non plus : nos lois sont adoptées en deux langues, nous avons deux systèmes scolaires basés sur la langue, nos tribunaux doivent pouvoir juger dans deux langues, le gouvernement du Canada ne respecte pas les lois linguistiques du Québec.
Si les Québecois acceptaient de devenir indépendants la situation serait plus claire : deux vrais États unilingues : un français et un anglais. Fini les faux fuyants. Fini les citoyens qui choisissent à quel État ils appartiennent. Finies les menteries nationales de part et d’autre.
Le problème de l’enseignement des langues resterait pourtant entier. Quoi enseigner? Le français en tant que langue nationale, celle que tout le monde doit savoir. Ensuite l’anglais, encore, mais cette fois uniquement comme langue internationale, comme langue étrangère, donc, pas comme langue seconde comme on dit presque toujours parce qu’on ne comprend pas trop trop ce qu’on dit.
Et ensuite, pourquoi pas une autre langue étrangère ou pourquoi pas une langue autochtone quand le contexte s’y prête. Une langue de nouvelle appartenance et d’évasion.
À quel âge commencer? Le meilleur moment pour commencer l’apprentissage d’une langue est au berceau et même avant de naître. L’État n’a pas d’affaire dans la chambre à coucher des citoyens. Ce principe n'est pas toujours respecté. En Israël et au pays de Galles, on a créé des crèches pour que les enfants entendent l’hébreu et le gallois dès leurs premiers jours pour faire revivre une langue ou en empêcher une autre de mourir. Faut-il faire la même chose pour une langue étrangère qui nous est somme toute indifférente?
Pour l’État la langue nationale est un moyen de créer une unité nationale. La langue est le plus puissant lien qui lie les membres d'un peuple. Mais les langues étrangères pourquoi les apprend-on? Par nécessité économique, par plaisir pour les nouvelles expériences qu’elles permettent. L’État doit-il faire en sorte qu’une autre langue vienne concurrencer la langue de la Nation. Il serait fou de le faire, même pour faire plaisir à une population qui souffre d’insécurité chronique et qui doute de ses moyens.
Ou bien l'État pourrait décider de changer de langue nationale et de langue d'enseignement. Récemment le Rwanda l'a fait. Il en déjà été question pour les Pays-Bas qui auraient opté pour l'anglais. Plus près de nous, en Nouvelle Écosse les écossais qui parlaient gaélique ont décidé d'abandonner l'enseignement en gaélique pour celui en anglais. Aujourd'hui il ne reste presque plus personne qui parle gaélique et l'industrie culturelle de la musique et de la chanson traditionnelle est en danger. On ne peut pas tout avoir. Changer la langue de toute les écoles française du Québec en même temps : beau programme. On peut penser cela ferait probablement plaisir à beaucoup de monde.
Cela ne veut pas dire que les parents qui veulent absolument que leurs enfants aient plus d’une langue maternelle ne prennent les moyens de le faire en donnant à leurs enfants l'environnement voulu. L’État, même s’il le voulait, n’aurait pas les moyens de le faire. De plus commencer à cinq ans ou six ans dans un milieu scolaire qui doit aussi enseigner d’autres matières, c’est déjà tard pour atteindre le niveau de parfait bilingue. L’école ne peut pas se substituer aux parents en cette matière. L’atteinte à la fin du secondaire d’un solide niveau de base équivalent au niveau intermédiaire ou avancé des cours de
langues serait déjà bien et permettrait à ceux qui en auront besoin de faire des progrès rapides pour atteindre le niveau de langue seconde qui permet de concurrencer les locuteurs natifs sur le plan linguistique. Et pour les autres qui n'en ont pas besoin? Bien, ils n'en ont pas besoin. En plus pour ceux qui sont intéressés, on devrait prévoir des bourses de perfectionnement en immersion réelle dans des milieux où se parle la langue. C’est seulement en parlant qu’on apprend à parler. Et c’est où on parle qu’il est le plus facile de parler. Cela aussi c'est simple.
Bien des parents rêvent que leurs enfants jouent un jour au hockey dans la ligue nationale et ils sont prêts à tous les sacrifices pour cela. La même chose pour l’anglais. L’État doit-il faire la même chose? On ne peut pas empêcher un cœur d’aimer mais la pédagogie des langues devrait échapper à la petite politique partisane mesquine et à la petite semaine. On devrait envisager l’enseignement des langues avec plus de recul, se baser sur des études fiables en pédagogie des langues et rechercher le maximum d’efficacité pour le temps et l’argent investi. Ce qu’on ne fait évidemment jamais, ni d’un bord ni de l’autre. On se moque aussi des deux côtés des conséquences sur les enfants : onze ans, plus une session intensive de trois mois qui coince les autres matières au programme juste avant les examens de fin de cycle sans garantie de donner, somme toute, des résultats extraordinaires parce qu’on n’a jamais pris le temps de réfléchir réellement à la bonne pédagogie à employer, ne risque-t-il pas de décourager à tout jamais les jeunes et de leur apprendre non pas une langue étrangère mais plutôt qu'ils sont incapables d'en apprendre une. C'est d'ailleurs ce qui se fait depuis longtemps à entendre la plupart de ceux qui ont subi des années d'enseignement de l'anglais à l'école.

Et puis onze ans pour apprendre l'anglais, même à l'école, n'est-ce pas un peu trop quand on sait qu'un adulte peut arriver au même niveau en quelques mois et, ce qui est le plus important, sans trop se forcer ?
On prend vraiment les enfants pour des éponges : on devrait sortir les politiciens des écoles.



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1 commentaire

  • Henri Marineau Répondre

    4 avril 2012

    Vous dites:
    "Je suis de ceux qui ont toujours aimé l’étude des langues. C’est l’étude du latin et du grec durant mon cours secondaire qui m’en a donné le goût."
    Eh bien figurez-vous que moi aussi, M. Méthé, j'ai bien aimé l'étude du latin et du grec durant mes études classiques! Et, savez-vous pourquoi? C'est tout simplement parce que ces langues anciennes m'ont permis, à travers les thèmes et les versions, d'améliorer mon esprit de synthèse et d'analyse...en français!
    En ce qui a trait au reste de votre argumentaire, sachez que le Québec devra toujours se montrer vigilant sur les nécessaires défense et promotion du français sur son territoire sans quoi il est appelé à disparaître au profit de "beaux principes utopiques" qui, en bout de ligne, nous conduiront vers l'assimilation progressive et pernicieuse de la langue du dominant!