Par Eduardo Sintès - Le journalisme d’investigation est de retour. Difficile encore d’y croire, tant les puissances de l’argent et le pouvoir en place semblent en permanence affermir leur emprise tentaculaire sur la presse écrite, la radio et la télévision. Disparition des téléviseurs de l’émission critique des médias « Arrêt sur Image », limogeage du dessinateur Siné de Charlie Hebdo, nomination de Jean-Luc Hees à Radio France par Nicolas Sarkozy se concluant par l’éviction de Porte et Guillon, suppression surprise et jubilatoire de la publicité sur France Télévision par le même Nicolas Sarkozy, remplacement forcé de Patrick de Carolis par Rémy Pflimlin à la rentrée à la tête du même groupe, par, encore une fois, le président Nicolas Sarkozy. En France, on n’assassine pas encore de journalistes comme le pouvoir Russe a pu éliminer Anna Politkovskaïa. Mais on ne peut que constater l’intense désir d’un contrôle toujours plus serré des médias par les personnes actuellement au sommet de l’état.
Une part grandissante de l’espace où se diffuse l’information et s’organise le débat public semble cependant encore échapper a cette forme moderne de censure : il s’agit d’internet. Et la laborieuse mise en place du contrôle des échanges de données via les fameuses lois Hadopi, et la future loi Loppsi2 peut facilement s’interpréter comme une tentative d’instauration de premières restrictions sur ce média, sorte de cheval de Troie de la censure numérique. Pourtant il semble que la technique ait suffisamment d’avance pour nous réserver encore quelques années de liberté, comme en témoigne les nouveaux sites d’information tels que Bakchich info, des sites participatifs comme Agoravox ou Indymedia, et bien sûr Mediapart.
L’intérêt de ce que réalise actuellement Mediapart est de proposer et de démontrer que la soumission aux puissances de l’argent n’est pas inéluctable. Le principe est simple : vivre par les seuls abonnements en ligne des internautes. C’est un pari risqué, mais le jeu en vaut la chandelle : pouvoir proposer des enquêtes réalisées en toute indépendance, délaisser le sensationnalisme et oublier l’autocensure. Au terme de deux années d’existence, il semble que ce pari soit gagné. L’affaire Bettencourt/Woerth/Sarkozy est là pour en témoigner : les articles qui se sont succédés sur le site ont montré le visage d’un journalisme sérieux, sourcé, indépendant du pouvoir, respectueux de l’éthique, capable de mettre au jour de manière limpide d’invraisemblables conflits d’intérêt, la collusion du gouvernement avec les puissances de l’argent, et les intrusions intolérables de ceux-ci dans des procédures judiciaires. La réaction du gouvernement ne s’est pas faite attendre : une charge bestiale contre la source des informations, Mediapart. Mauvais calcul et mauvaise stratégie, car la virulence de leur réaction ne peut, avec un peu de recul, que susciter le doute sur leur probité, et elle marque une nouvelle fois le profond mépris qu’ils vouent aux citoyens revendiquant le droit à une information impartiale et diversifiée.
Ainsi, à trop vouloir étouffer le contre-pouvoir qu’est la presse, celui-ci s’est réveillé de manière imprévue, dans un espace de liberté échappant encore au contrôle des puissants. Il est plus que souhaitable, maintenant, que ce réveil puisse toucher également le domaine de la justice. En effet, le contrôle exercé par le gouvernement ne se limite pas à la diffusion de l’information. Il s’exerce également sur l’institution judiciaire. Et l’affaire Bettencourt/Woerth/Sarkozy, permet une nouvelle fois de mettre ces interférences en lumière. Les personnes à la tête de notre gouvernement semblent avoir en le procureur Philippe Courroye un allié de choix. Celui-ci est en charge des quatre enquêtes préliminaires reliées à l’affaire. Nommé à son poste par Pascal Clément en 2007, contre l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, il n’a jamais fait mystère de son « amité »pour Nicolas Sarkozy. Celui-ci lui a remis les insignes d’officier de l’Ordre national du mérite en 2009. De plus, il est très explicitement cité dans les enregistrements du gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice Maistre, lorsqu’il s'entretient avec elle du différend qui l’oppose à sa fille. Evoquant une entrevue avec Patrick Ouart, conseiller juridique de l’Elysée, il rapporte à Liliane Bettencourt les propos de celui-ci : « En première instance, on ne peut rien faire de plus, mais on peut vous dire qu’en cour d’appel, si vous perdez, on connaît très, très bien, le procureur ». Juge et parti, il est inconcevable que Philippe Courroye ne soit pas dessaisi de l’affaire. C’est pourtant le contraire qui se produit sous nos yeux, malgré les voix de plus en plus nombreuses qui s’élèvent pour qu’un juge d’instruction indépendant soit nommé afin d'enquêter sur les différents volets de de ce scandale d’état. Malheureusement, un tel juge ne peut-être saisi que par le parquet, qui dépend directement du ministère de la Justice, ou par une victime qui se constituerait partie civile. Le pouvoir possède donc une ferme emprise sur le dossier.
La seule lueur d’espoir vient aujourd’hui de la juge Isabelle Prevot-Desprez du tribunal de Nanterre, ennemie jurée de Philippe Courroye, qui enquête elle sur l’accusation d’abus de faiblesse émise par la fille de Liliane Bettencourt, à l’encontre de François-Marie Banier. Cette juge, statutairement indépendante, se bat depuis la diffusion des enregistrements illégaux à l’origine de l’affaire pour élargir le périmètre de ses investigations, notamment à propos des accusations de financements illicites de partis politiques émises par l’ancienne comptable Claire Thibout. Dans cette démarche, elle se heurte évidemment à l’opposition frontale de son éminent collègue, Philippe Courroye. Mais elle sait désormais qu’une majorité de l’opinion publique est attentive à son action et la soutient pleinement. Une nouvelle fois, le pouvoir, en affichant avec indécence ses affinités avec la Justice, crée les conditions de sa propre perte, en suscitant la révolte parmi ceux pour qui la séparation des pouvoirs possède encore un sens, et qui désirent qu’une lumière impartiale viennent éclairer les liens qui unissent le clan Sarkozy, les pouvoirs financiers, et le monde de la Justice.
C’est en quelque sorte une vision optimiste qui est développée ici : à force de trop entraver la liberté de la presse et de la justice, et d’une manière générale d’exercer un pouvoir jour après jour plus hégémonique, le retour de manivelle risque d’être particulièrement violent. Mais ceci ne sera possible que si nous, citoyens, plus vigoureusement que jamais, continuons de jouer notre rôle de sentinelle et d’exercer notre vigilance, en soutenant les contre-pouvoir à chaque fois qu’ils se dressent pour lutter contre le totalitarisme qui menace de nous engloutir.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé