Le jour du muguet a marqué l'arrivée d'un tout nouveau chien de garde des fonds communs de placement au Canada. Ce mode de supervision suffira-t-il à éviter d'autres Norbourg, Crocus, Portus, Mount Real et Norshield, qui ont coûté plus d'un milliard de dollars en fraudes, sans oublier les scandales du type souscriptions hors délais («late trading») et arbitrage de marché («marketing timing») qui ont ébranlé la confiance de tant d'investisseurs nord-américains?
Cette nouvelle harmonisation de règles provinciales (NI 81-107) s'inspire de l'expérience américaine et des prescriptions de l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV/IOSCO) au lendemain des scandales de fonds. Ses effets seront critiques.
Au Québec, les fonds communs pèsent près de 100 milliards de dollars (700 milliards au Canada, 12 000 milliards aux États-Unis et 23 000 milliards dans le monde).
Ce régime est entièrement à la solde des fonds mutualistes qui paient déjà des frais de gestion trop élevés, particulièrement au Canada. La retraite de dix millions de Canadiens dépend du rendement de ces fonds qui sont alimentés à moitié par les contributions au REER et pour le tiers, par les régimes de retraite à cotisations déterminées.
Couplé au projet de réforme d'inscription (31-103), ce régime réduira la concurrence en rendant plus difficile l'accès de nouveaux gestionnaires au marché. L'impact recherché sur la gestion des fonds reste encore à démontrer tant la gouvernance du Comité d'examen indépendant (CEI) est limitée.
Depuis le 1er mai, toutes les familles de fonds, banques, coopératives, associations et gérants indépendants devront avoir nommé au moins trois membres d'un nouveau CEI ayant pour mission d'éviter aux investisseurs l'impact négatif des conflits d'intérêts du gérant. Autrement dit, gérer le risque de confiance ou d'agence unique à l'industrie fiduciaire qui, selon la loi, n'a qu'une obligation de moyens (en démontrant expertise et pratiques), contrairement à l'industrie du crédit qui est assujettie à une véritable obligation de résultats, avec un rendement prédéterminé avec le client.
Ces CEI ont six mois pour adopter une charte et définir leur mission, comprendre le groupe institutionnel qu'ils sont appelés à surveiller, dresser un inventaire de tous les conflits d'intérêts réels et potentiels et mettre en place une série d'instruments (protocoles, instructions permanentes, etc.) pour les baliser le mieux possible. Tous les promoteurs devront s'y conformer, sans distinction de taille ou d'ampleur de conflits d'intérêts structurels. Aux investisseurs à évaluer si les frais supplémentaires de cette nouvelle structure, dont la charge relevait jusqu'ici des institutions elles-mêmes, seront compensés par les avantages que le CEI leur procurera. Les petites familles de fonds de moins d'un milliard auront peine à survivre et à attirer des membres compétents à leur CEI. Certaines devront même absorber une partie des charges de ce régime pour rester concurrentielles.
Choix impossible entre indépendance et gouvernance
Le nouveau régime contraste de trois manières avec la loi américaine qui, à plusieurs égards, a pourtant servi de référence aux régulateurs canadiens pour concevoir le CEI.
Le régime n'attribue pas de responsabilité de direction et ne confère aucune responsabilité de gouvernance fiduciaire au CEI, contrairement à la Securities and Exchange Commission (SEC) qui oblige depuis 1940 chaque fonds commun de placement à avoir un conseil d'administration capable de congédier les gestionnaires en cas de mauvaise pratique ou de sous performance.
Le CEI, qui s'applique à un ensemble de fonds plutôt qu'à chaque fonds, n'est appelé à surveiller que des conflits d'intérêts qui lui sont soumis par le gérant promoteur de fonds. Tout membre s'aventurant plus loin échapperait à la couverture d'assurance responsabilité que lui offre le CEI.
Par contre, le CEI tient pour acquis que l'indépendance de ses membres est une condition sine qua non pour exercer sa mission, contrairement au régime américain qui, après avoir levé timidement la barrière de 40 % à 51 % pour le nombre de membres indépendants, tente depuis 2004 de relever ce quota à 75 %, y compris le président du conseil.
On estime en effet à 80 % le nombre de conseils de fonds américains présidés par des gens liés aux gestionnaires, avec au moins la moitié des autres administrateurs apparentés aux structures responsables (banques, courtiers, gardiens de valeurs, etc.). Résultat: en 65 ans d'expérience, les conseils de 8000 fonds ont remplacé moins de dix gestionnaires!
Par contre, le CEI partage avec le régime américain un pouvoir de dispense en autorisant le gérant de fonds à mener des opérations qui seraient normalement prohibées (selon 81-102 art. 236) à cause de liens apparentés (opérations entre fonds et investissements dans un titre émis via ou par une société liée), comme les règles d'exemption de la SEC.
Mais alors que la SEC augmente ses exigences si les gérants de fonds profitent de ces dispenses, le schéma canadien ne le fait pas, frappant ainsi les structures avec moins de conflits structurels (par exemple, les coopératives) ou sans besoin de dispenses (le mouvement associatif).
Si l'indépendance des «surveillants» est autant primordiale, l'absence de pouvoir et de moyens de gouvernance ne réduit-elle pas l'effet tant recherché d'indépendance? D'après la moitié des commissaires de la SEC, Warren Buffet, l'agence de classement de fonds Morningstar, le Mutual Fund Directors Forum, John Bogle, fondateur des fonds Vanguard, et la Fédération américaine des consommateurs, il existe une corrélation claire entre le niveau d'indépendance des administrateurs, une bonne gouvernance, le contrôle des coûts d'opération et la performance des fonds. Et à performance nette égale, un fonds, dont les frais de gestion sont bas, entraîne moins de risque et procure un rendement composé plus élevé à long terme.
Le complément d'une notation fiduciaire
Comparé aux modèles néerlandais et australien largement cités par l'OICV, le régime canadien paraît encore plus faible. Les Pays-Bas veulent encourager l'Europe à adopter une double structure: un conseil d'administration de fonds et une structure de conformité couvrant l'ensemble des activités d'un gestionnaire. En Australie, chaque fonds a son conseil d'administration et un comité de conformité existe séparément pour un collectif de fonds. Dans ces deux cas, le jeu de gouvernance et d'indépendance paraît indissociable. Mais le schéma canadien ne prévoit pas de levier de gouvernance pour le CEI sur les facteurs de coûts: seulement sur l'équité de leur répartition entre fonds ou fournisseurs de services.
Il est plus difficile encore de saisir le sens d'une reddition prescrite par le régime auprès des investisseurs. Chaque année, le CEI doit décrire ses activités et ses dépenses, en recensant les opérations sur lesquelles le gérant aurait négligé les prescriptions du CEI.
Si le rapport de RBC Gestion d'actifs, publié pour la première fois cette année (et ce, il faut le souligner, avant même l'entrée en vigueur de la règle), est indicatif du genre de reddition future, celle-ci ne permettrait pas aux investisseurs de se faire une idée claire sur la fiabilité du gérant de fonds, même si le tout se fait à leur charge.
En effet, le rapport de trois pages de RBC est trop succinct et difficile à comprendre pour l'investisseur moyen. Le comité divulgue un budget équivalent à 240 000 $ l'an dernier, sans signaler la moindre défaillance. Le rapport cite ensuite trois conflits d'intérêts structurels et dix conflits opérationnels à surveiller. Enfin, la troisième page liste 57 fonds soumis à l'autorité du CEI. Ce qui étonne le plus, malgré le leadership que la banque exerce depuis 1994 (origine du comité actuel), est le peu d'effet que l'indépendance des membres semble avoir eu sur les frais, dont le rapport ne fait aucun état. Ainsi, dans une annonce récente, la seule économie d'échelle consentie par la RBC sur trois de ses plus gros fonds (24 milliards) est d'un seul point de base (= 0,01 %).
Le CEI peut faire appel à une notation fiduciaire du gérant de fonds et de sa gestion pour combler à la fois ce déficit de communication et encourager un processus d'amélioration continue de pratiques fiduciaires du gérant. Faute d'un pouvoir de gouvernance, pour avoir une vision proactive à 360 degrés, le CEI pourrait intégrer les résultats d'une notation fiduciaire à ses comptes, sans qu'il en coûte plus cher aux investisseurs.
Cette évaluation annuelle offre une analyse beaucoup plus complète des pratiques que la certification canadienne 5970 employée par les caisses de retraite pour vérifier les systèmes de contrôle de leur gérant. Cette notation permettrait en outre aux membres du CEI d'avoir une bien meilleure compréhension des opérations du gérant en offrant un complément de reddition plus claire aux investisseurs.
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Claude Béland, Andrée de Serres, Reynald Harpin, Claude Castonguay, Rosaire Couturier, Robert Pouliot
Coalition pour la protection des investisseurs
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