Le Québecistan vous répond

Quebecistan


Je me demande ce qu'on dirait à Toronto si La Presse proposait ceci à ses lecteurs, dans sa question du jour: pensez-vous que le Canada anglais est un repaire de tueurs en série? Après tout, avec les Pickton, Olson, Bernardo, dont la folie meurtrière n'a guère d'équivalent, n'est-on pas devant un phénomène inquiétant, proprement anglo-saxon? Non? Pas grave! On ne fait que vous poser la question!
La semaine dernière, à la fin de la [chronique malhonnête de Barbara Kay->1510] sur le nationalisme québécois, le National Post demandait à ses lecteurs: "Est-ce qu'un Québec indépendant serait l'ami des terroristes?"
Calmons-nous, ce n'est qu'une question!
De toute manière, dans ce journal, on peut écrire à peu près n'importe quoi sur le nationalisme québécois, sur les indépendantistes et, finalement, sur le Québec, personne ne vous contredira, sinon un ou deux vagues lecteurs.
Faut le faire, quand même: la chronique de cette Mme Kay, une Montréalaise au fait, est intitulée "La montée du Québecistan". Ce n'est pas rien, ça, mesdames et messieurs, le Québecistan!
Pourquoi? Parce que quelques excités ont arboré des drapeaux du Hezbollah dans une manifestation la semaine précédente. Parce que Gilles Duceppe et André Boisclair s'y sont présentés, même si le communiqué de cette manifestation pour la paix ne visait qu'Israël et ne disait rien des roquettes que le Hezbollah lance sur des civils israéliens. Erreurs de jugement évidentes, bien sûr. Mais Québecistan? Wow!
Bien sûr, Kay peut aussi écrire sans hésiter qu'il y a au Québec un "fort courant antisémite dans le discours intellectuel à travers son histoire". Comme disait un auteur, l'accusation d'antisémitisme est une des pires à lancer contre un peuple. Le voici dans la même position que l'homme à qui on demande: quand avez-vous cessé de battre votre femme?
Il y a eu un courant antisémite au Québec, comme partout ailleurs en Occident. Il y a eu, bien sûr, des écrits de Lionel Groulx (et pas seulement un ou deux passages: voir Gérard Bouchard, Les Deux Chanoines). Il y a eu plusieurs textes honteux, quelques manifestations pendant la Seconde Guerre, et bien des gens qui n'ont pas présenté leurs excuses.
Mais dire qu'il y a eu au Québec un fort courant antisémite qui a traversé l'histoire de la pensée, c'est dire qu'il y a quelque chose de spécifique, de dominant, ou de pire qu'ailleurs. Or, ce n'est pas le cas. Ces errements sont présents dans la société américaine et canadienne à la même époque. Ils ne sont pas le propre du nationalisme québécois. Le pire exemple est sans doute le très marginal parti nazi d'Adrien Arcand, qui recrutait bien en dehors du Québec. C'était un parti farouchement fédéraliste. Y aurait-il donc un lien entre le fédéralisme et le nazisme? Évidemment non.
Où ont sévi, au fait, les plus spectaculaires négationnistes ou nazis contemporains au Canada, Keegstra et Zundel? En Ontario et en Alberta. Faut-il y voir pour autant des sociétés antisémites? Évidemment non.
Kay parle du FLQ et de ces intellectuels qui ont flirté avec la lutte armée au Québec. Il y en a eu. Mais, comme a dit René Lévesque dans cette intervention historique après l'enlèvement de Pierre Laporte, ces gens ne représentaient "rien ni personne de valable" au Québec.
Il est farfelu d'affirmer que le lendemain d'une déclaration d'indépendance, le Québec retirerait le Hezbollah de la liste des organisations terroristes, comme l'écrit Kay. Je parierais au contraire, quoi qu'en rêvent de nombreux militants, qu'un Québec souverain s'alignerait rapidement sur le courant dominant nord-américain, tant en matière d'économie que de politique étrangère, pour faciliter la transition et sa reconnaissance internationale.
Des mêmes faits, on peut tirer plusieurs opinions honnêtes. Mais de faussetés, on ne peut tirer que des opinions mensongères.
Que Kay estime que le Québec ne défend pas suffisamment Israël, c'est une opinion légitime. De dire qu'on n'est pas assez ferme dans la dénonciation du terrorisme, qu'on est en quelque sorte complaisant, ça se défend également. Ça se discute, mais ça se défend.
Mais de prétendre qu'il y a ici un courant pro-terroriste significatif spécifique, et de faire le lien avec le mouvement souverainiste, c'est carrément malhonnête, parce que c'est contredit par les faits.
On ne s'empêchera pas de dormir à cause d'un texte malhonnête, me direz-vous. Sans doute. Mais voilà un journal qui se veut "national", qui est lu dans les ambassades, où on accrédite ces propos en posant candidement la question d'un possible État québécois terroriste, cela dépasse le cadre du "fair comment".
Si j'étais Barbara Kay, je dirais que ces accusations gonflées à l'hélium sont de la propagande haineuse.
Je me contenterai de dire qu'on a simplement affaire à un autre tissu de mensonges au sujet du Québec, qui ne rencontre apparemment pas trop de contradicteurs hors Québec.
Est-ce lui donner trop d'importance que de lui consacrer une chronique en revenant de vacances, quand il y a tant de sujets qui appellent quelques lignes? Peut-être. Mais ma conception de l'hygiène mentale me commande de ne pas toutes les laisser passer.
Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca


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