Économie : Tous les voyants sont au rouge

Le revenu des New-Yorkais enregistre sa première chute en 70 ans

L’heure s’en vient vite où les Québécois découvriront avec stupéfaction que le seul moyen de s’en sortir sera justement pour le Québec de voler de ses propres ailes

Chronique de Richard Le Hir

Il y a de ces chiffres qui ont le pouvoir de résumer à eux seuls la quintessence d’une époque. C’est le cas de celui qui est diffusé aujourd’hui par la chaîne américaine d’information économique CNBC dans un article intitulé « New Yorkers' Income Falls for 1st Time in 70 Years ».
Ces soixante-dix ans nous ramènent donc en 1940, deux ans avant l’irruption des États-Unis dans la Deuxième Guerre mondiale, mais surtout dix ans après le début de la Grande Dépression des années 1930. Et comme à l’époque, la crise actuelle trouve son origine à Wall Street. Il y a donc une certaine justice à ce que les New-Yorkais essuient les conséquences de leurs excès.
Mais cette maigre satisfaction ne devrait pas nous faire perdre de vue que le revenu des New-Yorkais avait chuté pendant dix ans avant de se stabiliser en 1940, et que les malheurs de New-York s’étaient alors propagés à la terre entière dans un contexte où l’économie mondiale était beaucoup moins intégrée qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Il faut donc se rendre à l’évidence, l’économie mondiale est entrée dans une phase de dépression, et comme c’est toujours le cas dans une situation de cette ampleur, elle n’en ressortira qu’au bout d’une assez longue période de vaches maigres. Fort probablement une dizaine d’années, comme ce fut le cas la dernière fois.
Mais alors, me direz-vous, comment se fait-il que les autorités des pays visés refusent de donner l’heure juste à leur population et continuent à lui laisser miroiter l’espoir d’une reprise rapide ? Il y a à cela deux raisons principales qui s’opposent en apparence comme le vice et la vertu mais qui se réconcilient parfaitement comme vous le verrez, et qui permettent de comprendre le débat en cours aux États-Unis sur les enjeux économiques gigantesques auxquels ce pays est désormais confronté.
La première, c’est que les politiciens ne connaissent que trop bien l’effet des mauvaises nouvelles. C’est le messager qui écope. À une époque où la population est particulièrement prompte à se défouler sur le porteur de mauvaises nouvelles, rares sont ceux qui se risquent à le faire. La grande majorité d’entre eux sont davantage prêts à se risquer dans les eaux troubles, mais tellement plus électoralement rentables, de la démagogie pour y pêcher leurs votes, et qu’importe si pour cela il faut masquer ou travestir la vérité, ou même carrément mentir. Nous sommes bien placés ici pour le savoir.
La seconde, c’est que tout homme politique responsable exerçant des fonctions d’autorité a le devoir de ne rien dire ou faire qui puisse aggraver une situation difficile pour ses commettants. Qui plus est, il a même le devoir d’apaiser la crise. Quand on connaît l’influence des facteurs psychologiques sur l’évolution des marchés financiers et la façon dont une annonce peut les précipiter dans un sens ou dans l’autre, on réalise que nos dirigeants marchent sur des œufs en période de crise, et que la prudence la plus élémentaire leur commande la plus grande modération dans leur présentation de la situation. À toutes fins pratiques, ils sont muselés.
La vertu se trouve donc à légitimer le vice. Impossible de compter sur eux pour avoir l’heure juste, et ce n’est pas le moindre des paradoxes ironiques de notre système de gouvernement.
Mais si l’on ne peut compter sur nos gouvernements pour qu’ils nous renseignent correctement sur ce qui se passe et qui va avoir d’importantes répercussions négatives sur nous tous, sur qui peut-on le faire ? La seule réponse possible est sur soi-même. Et là se pose la question de l’égalité devant l’information. En effet, tout le monde n’est pas équipé de la même façon pour accéder à l’information disponible, l’assimiler, l’analyser et en tirer les conclusions nécessaires pour guider son comportement.
Certains sont donc condamnés à subir la situation sans jamais rien y comprendre, d’autres finiront par la comprendre, mais trop tard pour en tirer des conclusions utiles, alors que d’autres encore, les mieux équipés, parviendront à tirer leur épingle du jeu, voire même à profiter de la situation, au moins à court et moyen terme, et à condition que la situation ne dure pas trop longtemps. Car à long terme, il n’y a que des perdants. Vient en effet un moment où l’appauvrissement du plus grand nombre finit d’abord par empêcher le petit nombre de s’enrichir, et ensuite à l’appauvrir lui aussi.
Pour certains, les gouvernements, s’ils ne peuvent tout nous dire sur la situation actuelle, ne peuvent pas pour autant rester immobiles devant ce qui se produit en ce moment. Ils doivent intervenir pour stimuler la croissance, au risque de nous endetter encore davantage.
C’est ce que disent des universitaires prix Nobel d’économie comme Paul Krugman et Joseph Stiglitz depuis déjà quelques mois, c’est ce que disait hier un acteur important sur les marchés financiers internationaux depuis des années, George Soros « Additional fiscal stimulus — and not fiscal discipline — is the way out of the crisis for both Europe and the United States », et c’est ce que disait même le président Obama encore assez récemment, jusqu’à ce qu’il réalise qu’une partie des représentants et des sénateurs de son propre parti ne le suivaient plus.
D’autres prétendent que la situation est tellement mauvaise que « The only solution is a long period of debt deflation, downsizing and economic rehabilitation, including a sustained downshift in consumption and corresponding rise in national savings. », autrement dit le démantèlement du système et sa reconstruction sur des bases plus saines. C’est notamment le cas de David Stockman, l’ancien directeur du Budget (l’équivalent américain de notre président du Conseil du Trésor) sous le président Reagan qui croit que les États-Unis sont maintenant entraînés à toute vitesse vers le fond, tellement la situation est mauvaise.
***
Pour l’instant, le Canada et le Québec sont parvenus à se tirer d’affaire mieux que les États-Unis en raison d’une situation budgétaire plus saine et des institutions financières plus responsables, et le Québec mieux que le Canada, en raison d’une intégration moindre du Québec à l’économie américaine. Ce qu’on déplorait il y a peu au Québec aura constitué un avantage dans la crise actuelle. Mais cette situation pourra-t-elle se maintenir si la situation américaine continue de se dégrader comme tous les signaux l’indiquent ?
Pour la même raison, la situation du Québec va demeurer moins mauvaise que celle du Canada en raison de l’intégration très poussée de l’économie ontarienne avec celles des États-Unis et de la dépendance de l’économie albertaine à un cours et une demande américaine de pétrole élevés. Mais quand tout va mal, c’est une bien mince consolation !
L’heure s’en vient vite où les Québécois découvriront avec stupéfaction que le seul moyen de s’en sortir sera justement pour le Québec de voler de ses propres ailes.


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3 commentaires

  • Marcel Haché Répondre

    6 octobre 2010

    L’argent est un très grand déterminant.
    La situation ne manque pas de piquant, n’est-ce pas M. Le Hir ? Voilà près de 50 ans que les fédéralistes s’époumonent à Nous prévenir, naguère de la piastre à Lévesque, maintenant que Nous serions devenus trop vieux(le vieillissement de la population, Nous seuls, québécois, serions devenus vieux !), le projet étant de Nous vacciner contre cette mauvaise idée de la liberté, alors que, justement, Nous n’aurons bientôt plus le choix de sortir du fédéralisme, et justement encore pour notre plus grand bien.
    Charest, oui-oui, Cha-rest lui-même, a dit la vérité … le Québec est capable d’être souverain.
    Évidemment, selon son habitude, le Charest en question n’a pas dit toute la vérité : l’indépendance —pas seulement la souveraineté-- n’est pas seulement possible, elle est désirable.

  • @ Richard Le Hir Répondre

    6 octobre 2010

    Réponse @ M. Morin
    Je n'admire pas George Soros, je ne fais que reconnaître qu'il est un acteur important sur les marchés financiers internationaux, qu'il sait de quoi il parle, et que son opinion compte.
    Il m'arrive d'être d'accord avec lui comme il m'arrive de ne pas l'être. Que je sois d'accord ou non, ce qu'il dit est toujours intéressant.
    Richard Le Hir

  • Archives de Vigile Répondre

    6 octobre 2010

    Depuis les débuts de la crise économique (l’effondrement actuel est beaucoup plus grave que les deux guerres mondiales et la dépression de 1930), les requins de la finance et de la spéculation ont demandé en 2008, aux trésors publics des différents pays de leur venir en aide pour éviter la faillite du système financier de Wall Street et de la Cité de Londres. Je dis que la crise est plus grave, car en 1930, c’était l’économie des États-Unis qui était en danger. Aujourd’hui ce sont les pays industrialisés et plus spécialement ceux de l’Europe, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, etc. Qu’a fait le Canada, il a renfloué 200 milliards aux institutions bancaires, les États-Unis plus 1000 milliards. On a donné de l’argent à ces voleurs et ces requins de la spéculation. Ils ont réglé leur faillite et ils sont repartis de plus bel vers l’économie virtuelle de la spéculation (de l’argent Monopoly) au lieu d’investir dans l’économie réelle des moyens de production, d’équipement et d’infrastructure.
    Je suis atterré de constater que tu as de l’admiration pour Georges Soros qui est un misanthrope sans âme. Je te réfère à l’article suivant :
    http://www.solidariteetprogres.org/article4411.html
    Bonne lecture