Contre toute attente, la Coalition avenir Québec est parvenue le 7 avril 2014 à éviter une disparition annoncée. La CAQ s'en est même tirée avec un résultat honorable. Malgré un nombre de votes inférieur à son résultat d'il y a deux ans, un François Legault particulièrement combatif lors du second débat des chefs a permis une fulgurante remontée en l'espace d'une semaine, laquelle a littéralement empêché le multipartisme d'échoir. Voilà maintenant que la Coalition réclame un «Québec fort dans un Canada», alors que François Legault ne cesse de marteler que c'est à contrecœur qu'il remet de l'avant l'enjeu national, qu'il le fait sous le poids de la contrainte que fait peser sur lui «l'effet PKP».
La CAQ s'affirme ainsi comme «parti nationaliste» parce qu'elle n'avait plus vraiment le choix de se trouver une étiquette, de l'aveu même de son chef. La polarisation sur l'indépendance disparaitrait-elle que Legault se départirait immédiatement de son «statut particulier» de la même manière qu'il le fit avec ses actions d'Air Transat. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la CAQ a un Lac Meech de retard sur le réel.
La CAQ a bien rempli la fonction que les canadianistes lui avaient accordée au tout début: s'imposer comme formation «bleue» divisant le vote des Québécois pour permettre aux libéraux de se maintenir au pouvoir ad vitam æternam. C'est là une simple question mathématique : caquistes et libéraux pouvaient bien se disputer le terrain des «vraies affaires» et la région de Québec, c'est véritablement pour supplanter le Parti québécois que Charles Sirois et consorts ont mis sur pied l'initiative, qui a rapidement fait fuir les quelques nationalistes (Joseph Facal, Christian Dufour, Guy Laforest, etc.) qui s'y étaient aventurés.
Le multipartisme constitue une embûche majeure à la victoire (majoritaire) d'un parti nationaliste ou indépendantiste, lequel doit impérativement s'assurer de l'union du Québec français derrière lui. La CAQ est dès lors la formation qui peut au pire empêcher le PQ de coaliser l'électorat québécois, au mieux le remplacer en tant que parti national. Si l'Action démocratique du Québec s'est écrasée suite à l'élection de 2007, principalement à cause de l'incompétence de ses élus, rappelons-nous que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit: le PQ aurait tort de s'attendre simplement à ce que le scénario se répète uniquement parce qu'il s'est déjà produit dans le passé. La recette de Legault est une actualisation de celle de l'Union nationale jadis, soit celle d'un nationalisme provincial et essentiellement rhétorique.
Lors de la dernière élection, Legault avait beau accuser son homologue libéral de «jouer au Bonhomme Sept Heures» et de «faire peur au monde» en agitant continuellement le spectre référendaire, il n'était guère différent de lui à ce chapitre. Que l'autonomisme creux et le «Québec d'abord» constituent toujours des avenues alléchantes aujourd'hui a de quoi surprendre si tant est que le cul-de-sac que constituent ces positions soit évident pour quiconque possède un tantinet de lucidité politique. Mais l'absence prolongée de discours indépendantiste dans l'espace public a favorisé un déplacement de l'univers politique vers le monde des utopies compensatoires.
Le talon d'Achille de la CAQ se situe dans sa position mi-figue mi-raisin sur une question nationale pour l'heure discréditée, mais qui transcende toute l'histoire du Québec et qui ne saurait être évacuée d'un coup de balai.
La logique autonomiste repose sur ce que Robert Laplante appelle la dédramatisation des pertes. Au départ, l'indépendance du Québec était perçue par le courant autonomiste comme une solution de dernier recours ou comme un moyen de pression pour obtenir un rapport de force face à Ottawa. Si vous ne nous donnez pas ce que nous voulons, nous allons quitter le Canada. Mais le seuil fixé par les autonomistes a connu un abaissement constant jusqu'à sa disparition, sans jamais que la rupture ne soit sérieusement envisagée : du réaménagement égalitaire et biculturel du Canada de Daniel Johnson à la société distincte de Robert Bourassa, il y eut nivellement par le bas - quantitativement et qualitativement - des exigences adressées au reste du Canada sans jamais que l'indépendance ne soit réalisée, laquelle était pourtant au départ présentée comme la solution en cas de fin de non-recevoir. Au cours de la décennie 2000, Mario Dumont lui-même refusait de récupérer les revendications du Rapport Allaire qui avaient pourtant été à l'origine de la création de l'ADQ.
Aujourd'hui, l'autonomisme n'est plus que rhétorique et ne se traduit par aucune exigence concrète, ce qui constitue sans doute la posture la plus prudente de par le caractère irréformable du Canada. L'an dernier, lorsque l'historien Frédéric Bastien révéla les conditions obscures dans lesquelles le rapatriement de 1982 s'était opéré, la réponse de Legault fut que «la Constitution n'intéresse personne», s'inscrivant totalement dans le vocable provincialiste des dernières années. Or, un texte constitutionnel touche étroitement le présent et l'avenir d'une communauté.
Sur quoi repose l'autonomisme de François Legault? Il ne le savait trop, mais a cherché à combler le vide avec son «statut particulier». Mais bien des questions demeurent sans réponses. Comment la CAQ se positionnerait-elle si Philippe Couillard tentait une réouverture des négociations afin, comme il le promettait il y a peu, que le Québec adhère au régime constitutionnel canadien pour 2017? Comment réagirait-elle en cas de référendum sur l'indépendance du Québec?
Puisque la politique est chose imprévisible, la polarisation autour de la question nationale pourrait exposer la vacuité de la position nationaliste de François Legault, tout comme elle pourrait lui donner un second souffle en en faisant le repère des non-alignés, des lassés de la querelle de drapeaux. Legault propose assurément une fraude intellectuelle doublée d'un retour vers le futur, offrant de replonger dans une vieille recette de quémandage qui a démontré par le passé qu'elle n'était qu'une impasse, mais elle pourrait s'avérer encore attirante pour plusieurs. Les souverainistes ont ainsi pour défi de s'assurer que leur projet quitte le seul clivage Oui/Non qui a fait de l'indépendance essentiellement un enjeu symbolique et déconnecté du réel.
Le «statut particulier» selon la CAQ: si ça existait, on l'aurait!
L'étouffement tranquille manifesté sous forme politique
Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles
Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale...
Cliquer ici pour plus d'information
Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé