On se rappellera de l'épisode du « miroir » au congrès du Parti Québécois de 1996, où Lucien Bouchard, pour justifier sa position de non-recevoir envers le retour de l'affichage unilingue français, avait déclaré par une formule stylisée qu'il voulait continuer à se regarder dans le miroir tout en sachant qu'il n'aurait pas corroboré « la suspension de droits fondamentaux ». Le sort en était jeté : vingt ans après l'adoption de la Charte de la langue française, certaines de ses dispositions les plus fondamentales visant à donner au Québec un visage résolument français, devenaient une atteinte aux droits fondamentaux, une impardonnable entorse à la démocratie.
Ce triste épisode, outre sa dimension anecdotique, révèle probablement beaucoup plus qu'une simple conversion individuelle aux affres de la repentance. Il révèle me semble-t-il, ce que le sociologue Jacques Beauchemin avait situé comme relevant d'une « mauvaise conscience » qui affligerait les élites souverainistes au lendemain des déclarations de Jacques Parizeau, dont Beauchemin considérait, au moment de l'écriture de son ouvrage, qu'elles continuaient de « nous hanter ».
Or, malgré le « virage identitaire » du Parti Québécois, il semble bien qu'une certaine culture politique proprement péquiste n'en ait pas exactement fini avec le culte de la repentance qu'elle se plait à ériger tel un gage d'une prétendue grandeur d'âme associée au démocratisme le plus pur. Il semble de surcroît qu'elle ait fini par intérioriser les paramètres de la critique trudeauiste dont elle est toujours la cible.
Au moment de porter renfort à une Charte de la langue française assurément devenue « une grande loi canadienne » car souscrivant désormais aux ordonnances de la Cour suprême, institution phare destinée à éclairer de ses lumières l'ensemble de l'humanité, on notera la résurgence de cette tendance démissionnaire qui gangrène encore certains milieux « souverainistes ». Ce renfort, ici entendu comme l'extension de loi 101 au Cégep, me semble receler en son sein plus que la possibilité de réorienter le parcours scolaire de quelques cégépiens; il détient en lui la possibilité de l'extension d'une loi faisant encore figure de symbole identitaire chez bon nombre de Québécois. Mais de tels symboles, dans une société qui oublie, et où l'oubli fait désormais figure de politique nationale avec le nouveau cours « d'histoire », demandent évidemment à être réactivés plus ou moins fréquemment.
C'est évidemment dans une telle perspective que l'extension de la loi 101 doit être envisagée. Non plus comme une mesure désincarnée visant uniquement à promouvoir la normalisation d'une « langue publique commune » mais comme une langue nationale, comme principal vecteur d'une culture donnée, d'un fragment d'humanité, d'une éthique de vivre associée au vécu du collectif majoritaire du Québec. Ainsi entendu comme politique de vigueur nationale, dans sa dimension existentielle, je fais le pari qu'elle sera encensée par une majorité de Québécois.
Conséquemment faut-il se méfier d'un certain « péquisme » comme culture politique investie de technocratisme et dénationalisée qui semble avoir perdu de vue à qui le souverainisme véritable est prioritairement destiné. L'ascendant au Parti Québécois de cette culture politique n'est peut-être pas étranger à sa stagnation dans les sondages. Peut-être que la nation québécoise a possiblement moins besoin de politiques de gestion efficace (ce qui ne veut pas dire qu'elle n'en a pas besoin!) que de la réfection de ses symboles identitaires et de la revalorisation de son existence. Il est probable que le principal défi de notre époque soit celui de redonner un sens à l'existence nationale beaucoup plus que de la laisser seule face au relativisme ambiant et à son goût pour un certain consumérisme compensatoire ne pouvant mener qu'à davantage de fragmentation sociale, d'individualisme.
Qu'on trace un trait définitif sur cette tendance démissionnaire, résolue à se complaire dans une gestion proprement provinciale des actifs de la nation. Qu'on refasse corps avec la trame historique qui est la nôtre. Qu'on laisse les apôtres de la repentance et les élites du renoncement national à leur repentance éternelle, à leur relativisme malfaisant.
Vouons-nous collectivement au déploiement de l'existence nationale, faisons montre d'un indépendantisme véritable qui ne peut qu'être celui, d'abord et avant tout, d'une disposition de l'esprit à l'assomption de la subjectivité qui nous est propre. Évitons à tout prix la mise en œuvre de notre abâtardissement collectif.
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