L’explosion du nombre d’étudiants étrangers qui ne maîtrisent pas le français menace l’équilibre linguistique à Montréal. Dans un nouvel essai à paraître le 7 octobre, que Le Devoir a obtenu, le chercheur Frédéric Lacroix braque les projecteurs sur ce qu’il considère comme un angle mort du projet de loi 96 : le recrutement massif de futurs citoyens du Québec par la porte d’entrée de l’enseignement en anglais.
L’arrivée de milliers d’étudiants internationaux est en train de changer le visage de Montréal, qui risque de devenir une « cité-État anglophone » si Québec ne réagit pas, affirme Frédéric Lacroix. Il livre ce plaidoyer dans l’ouvrage Un libre choix ? Cégeps anglais et étudiants internationaux : détournement, anglicisation et fraude, édité par le Mouvement Québec français [ISBN : 9782981924223].
Pour l’auteur, il ne fait aucun doute que le « bonjour / hi » extrêmement répandu dans les commerces du centre-ville est dû en bonne partie au recrutement de milliers d’étudiants étrangers n’ayant aucune maîtrise du français. Ces jeunes étudient, travaillent et consomment en anglais. Ce n’est pas de cette façon qu’ils deviendront des citoyens à l’aise avec la langue nationale, estime l’auteur.
« On socialise ces nouveaux arrivants en anglais. On les intègre au Québec anglophone, après on les accepte comme immigrants permanents et on prétend les franciser en leur offrant un cours. Cette stratégie-là est démentielle à mes yeux. Au mieux, ils auront des connaissances en français, mais ils n’auront pas l’usage du français », affirme l’auteur au Devoir.
Son ouvrage Pourquoi la loi 101 est un échec, publié en 2020, a remporté le prix du président de l’Assemblée nationale remis à l’essai politique de l’année. Frédéric Lacroix espère que son nouveau livre aura autant de retentissement dans la classe politique, tandis que le projet de loi 96 visant à renforcer le français est étudié en commission parlementaire.
L’auteur ne remet aucunement en question le droit de la communauté anglophone du Québec à l’éducation, aux soins de santé et à une série d’autres services dans sa langue. La fréquentation des universités et des cégeps de langue anglaise dépasse toutefois largement le poids de la minorité anglaise à cause de l’engouement des francophones et des allophones pour l’enseignement supérieur dans la langue de Shakespeare.
Cela augure mal pour l’avenir des cégeps francophones, malgré la hausse de près de 22 000 étudiants dans le réseau prévue d’ici 2029, estime Frédéric Lacroix. Il croit que le gel de l’effectif des cégeps anglais au niveau de 2019, décrété par Québec, est insuffisant : les anglophones sont déjà minoritaires dans les cégeps anglais de Montréal, où ils forment environ 40 % de l’effectif. Les allophones (38 %) et les étudiants ayant le français comme langue maternelle (21 %) continueront de peupler massivement les cégeps anglais de l’île, au détriment des établissements francophones.
« Facteur majeur d’anglicisation »
Le libre choix de la langue d’enseignement au collégial est un « facteur majeur d’anglicisation de Montréal », dénonce l’auteur. Il est convaincu que le gouvernement Legault doit étendre la loi 101 au réseau collégial, y compris aux collèges privés non subventionnés, qui rappellent les fameuses « écoles passerelles » permettant d’accéder à l’éducation en anglais au primaire et au secondaire.
Des collèges privés non subventionnés profitent largement de cette « marchandisation de l’éducation ». Radio-Canada et Le Devoir ont documenté comment ces collèges remplissent leurs classes de jeunes venus de l’Inde en offrant à gros prix de courtes formations en anglais, qui mènent à un permis de travail, puis à la résidence permanente pour les étudiants et leur famille. Ces collèges vendent d’abord et avant tout l’accès au Canada, fait valoir Frédéric Lacroix.
Des étudiants du collège Dawson. La hausse des étudiants étrangers a été fulgurante au collégial, où leur nombre a plus que triplé entre 2014 et 2019. |
Le Québec a pu demeurer largement francophone grâce à une série de facteurs, y compris la sélection d’immigrants familiers avec la langue française, rappelle l’auteur. Or, Ottawa a ouvert les vannes de l’immigration temporaire — sur laquelle le Québec n’a pas de prise — au cours de la dernière décennie pour attirer des travailleurs dont le pays a bien besoin : la vaste majorité des immigrants arrivent désormais au Canada par des permis temporaires d’études et de travail, qui mènent par la suite à une résidence permanente.
Le recrutement massif d’étudiants étrangers fait partie de la stratégie d’immigration du gouvernement fédéral. L’objectif était de doubler le nombre d’étudiants venus d’autres pays entre les années 2014 et 2022.
Cette immigration temporaire de travailleurs et d’étudiants était autrefois marginale. Elle est devenue la principale porte d’entrée au pays, et c’est majoritairement en anglais que cela se passe, même au Québec, déplore Frédéric Lacroix.
Une hausse fulgurante
« Quand on regarde les chiffres, c’est vraiment renversant. Il y a eu une croissance exponentielle du nombre d’étudiants internationaux et de l’immigration temporaire. En moins de 10 ans, on est passés d’une situation où ce n’était pas sur l’écran radar à un facteur majeur d’anglicisation », dit-il.
Le nombre d’immigrants temporaires au Canada a été multiplié par sept entre 2000 et 2018, pour atteindre 429 300 personnes. En 2019, le Québec a accueilli 158 965 immigrants temporaires (et 40 565 permanents).
La courbe du nombre d’étudiants étrangers suit la même tendance. En 2019, il y avait 73 505 étudiants étrangers de niveau postsecondaire au Québec, la majorité pouvant s’exprimer en anglais. Plus de 70 % d’entre eux (63 050) étaient inscrits sur l’île de Montréal. La hausse a été fulgurante au collégial, où leur nombre a plus que triplé en cinq ans (de 6285, en 2014, à 22 805 en 2019). Ce bond de 16 520 étudiants équivaut à deux fois l’effectif du collège Dawson.
Les universités et les cégeps orientent ainsi une part importante de l’immigration en fonction de leurs propres intérêts, souligne Frédéric Lacroix. La solution serait d’exiger que les candidats à la résidence permanente aient suivi un programme d’études en français.