Samedi matin, à l'ouverture du conseil général de l'ADQ, Gérard Deltell était ravi de brandir le dernier sondage Léger Marketing-Le Devoir, qui accordait 18 % des intentions de vote à son parti, soit le même niveau qu'au début de la campagne électorale de 2007.
L'histoire se répète cependant moins souvent qu'on le dit. Au sein de la petite députation adéquiste, on sait gré à M. Deltell d'avoir empêché que le navire sombre définitivement après la course au leadership totalement loufoque de 2009, mais ils savent parfaitement que leurs chances de réélection seraient bien meilleures avec François Legault.
Le chef de l'ADQ a visiblement pris goût à son nouveau métier, et son succès inattendu lui permet d'être plus exigeant, mais il est conscient de ses limites et il consentirait sans doute à lui céder sa place, pour autant que cela se fasse dans des conditions honorables. Il était peut-être préférable pour lui d'être premier en Gaule que second à Rome, mais M. Deltell n'a rien d'un César.
Personne n'est dupe de ses timides assurances sur sa présence à la tête des troupes adéquistes lors des prochaines élections, mais il n'a aucun intérêt à précipiter les choses. Sa position de négociation ne peut que se renforcer à l'approche des élections. Celui qui risque le plus de manquer de temps est M. Legault.
Dans un parti à forte saveur idéologique, les militants sont souvent moins pragmatiques que les élus, qui apprennent très rapidement à composer avec la réalité politique. On a pu observer le même phénomène au PQ depuis sa fondation.
Le sondage Léger Marketing-Le Devoir indiquait que le quart (26 %) des sympathisants adéquistes s'opposent résolument à une fusion avec la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ) dirigée par M. Legault. Aux yeux de certains, l'ancien ministre péquiste sera toujours trop à gauche. Sans parler de ses convictions souverainistes, qu'il n'a jamais reniées, même s'il les a mises en veilleuse.
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Inversement, M. Legault ne peut qu'être rebuté par l'anti-étatisme et l'antisyndicalisme qui demeurent virulents à l'ADQ, comme on a pu le constater en fin de semaine, malgré les efforts pour en prévenir les débordements.
Déjà, les propositions de la CAQ en matière d'éducation ont fortement indisposé les syndicats en remettant en question la sécurité d'emploi des enseignants. M. Legault ne tient certainement pas à jeter de l'huile sur le feu.
Depuis un bon demi-siècle, le modèle politique québécois a reconnu un droit de cité aux centrales syndicales. Soit, l'ADQ ne cherche plus à les faire disparaître par l'abolition de la formule Rand, comme elle l'a déjà proposé, mais sa volonté de les exclure du débat public reflète une conception assez inquiétante de la démocratie.
Le «recentrage» dont on a fait état demeure très relatif. Il a fallu l'intervention du père fondateur, Jean Allaire, qui craignait une réaction négative de la population, pour convaincre les délégués au conseil général de renoncer à la privatisation de la division transport d'Hydro-Québec, mais ils s'en sont quand même pris à Loto-Québec, à la SAQ et à Investissement Québec. Laissés à eux-mêmes, ils auraient également fait un mauvais parti à la Caisse de dépôt.
D'un congrès de l'ADQ à l'autre, il est toujours étonnant de voir autant de gens qui veulent interdire au gouvernement d'emprunter, même pour financer les immobilisations. François Bonnardel a dit que M. Legault était «l'adéquiste au Parti québécois». En réalité, les deux partis ont sans doute un caractère trop idéologique à son goût. S'il veut un mariage avec l'ADQ, il ne devra cependant pas être trop regardant sur le trousseau.
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Le soudain intérêt de M. Deltell pour la question nationale, que lui-même voudrait laisser de côté, a dû lui paraître un peu suspect. Jusqu'à présent, elle avait semblé laisser le chef de l'ADQ plutôt indifférent et voilà qu'il se présente à une entrevue au Journal de Québec en compagnie de Jean Allaire, constate une «nouvelle dynamique constitutionnelle» au Canada et affirme que personne ne peut prétendre diriger le Québec sans avoir de politique constitutionnelle.
On croit comprendre des propos de M. Deltell qu'il n'insisterait pas outre mesure pour que M. Legault réactive le dossier, mais simplement définir une position acceptable à la fois pour les souverainistes et les fédéralistes que la CAQ entend réunir constitue tout un défi.
La question la plus délicate demeure cependant la place qu'il convient d'accorder au secteur privé dans le système de santé. Au fil des ans, l'ADQ a abandonné plusieurs de ses propositions les plus controversées, comme le taux d'imposition unique, l'abolition de la formule Rand ou les «bons d'études», mais jamais elle n'a renoncé à introduire la mixité dans la pratique médicale.
Aussi bien à l'époque où il était ministre de la Santé que depuis, M. Legault a toujours été fortement opposé à une «médecine à deux vitesses». S'il ferme complètement la porte à la mixité dans le document qu'il rendra public ce matin, ce sont les adéquistes qui pourraient trouver des objections au mariage.
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mdavid@ledevoir.com
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