CAQ et PLQ

Legault prend le relais de Couillard pour doubler le campus de McGill

Dubé, créature des Desmarais, accorde des avantages à McGill

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Chronique de Gilles Paquin

Il ne restait plus que trois mois avant les élections. Le gouvernement Couillard venait de clore la dernière session de son mandat quand trois de ses ministres ont annoncé en douce, le 22 juin 2018, que l’État allait donner l’ancien hôpital Royal Victoria et un grand terrain sur le Mont-Royal à l’université McGill. Le ministre de la Santé Gaétan Barrette, ainsi que ses collègues Hélène David et Pierre Arcand, ajoutaient à ce cadeau une généreuse subvention de 35 millions $ pour étudier la transformation de cet immeuble patrimonial en pavillon universitaire, et cinq millions de plus pour en dresser les plans.


Laminés par la Coalition Avenir Québec de François Legault au mois d’octobre suivant, les libéraux n’ont pas eu le temps de mener le projet de Gaétan Barrette à terme avant de céder le pouvoir. Les dirigeants de McGill, qui rêvaient depuis des années d’acheter le site de l’ancien hôpital, n’allaient pas renoncer à étendre leur campus maintenant qu’on leur offrait le tout gratuitement.


Première francophone à devenir principale et vice-chancelière de cette institution en 2013, Suzanne Fortier arrivait à point pour tisser des liens avec la CAQ. Elle ne pouvait cependant jouer les pleureuses puisque la riche université anglophone venait de s’installer dans un complexe d’une valeur de trois milliards de dollars, soit la moitié du budget total prévu par le Québec lors de la construction des deux nouveaux super hôpitaux de Montréal, le CHUM pour la majorité francophone du Québec et le CUSM pour la minorité anglophone.


En arrivant à l’Assemblée nationale avec ses nouveaux députés un peu avant Noël, François Legault avait peut-être des préoccupations plus urgentes que le sort de l’ancien hôpital ou l’avenir de cette enclave de dix acres dans le parc du Mont Royal. Mais c’était sans compter sur les subterfuges bureaucratiques et, sans doute aussi, sur la complaisance de quelques hauts fonctionnaires. En effet, alors qu’ils étaient sur le point de céder le pouvoir à la CAQ, les libéraux avaient demandé à la Société québécoise des infrastructures (SQI) de voir à la gestion et à l’aliénation de ces biens publics patrimoniaux à McGill. La SQI a confié la direction générale de la « requalification du site du Royal Victoria » à l’architecte Sophie Mayes, une ancienne de McGill, naguère chef de l’équipe de Stratégie centre-ville sous l’administration Coderre. Cette dernière travaille étroitement avec la direction de l’université et a aussi commencé à rencontrer des groupes de citoyens inquiets de voir ce bien public disparaître dans les volutes de la pseudo concertation.


Le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, s’est pour sa part contenté d’inscrire le projet « d’aménagement de l’Université McGill sur une partie du site de l’hôpital Victoria » dans la liste des grands projets d’infrastructures publiques du Québec à l’étude dans son budget des dépenses de mars dernier. Aucun chiffre n’accompagne cette liste où figurent également quatre autres investissements du domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. Et c’est ainsi qu’une manoeuvre politicienne devient vérité technocratique.


Personne ne s’étonnera de ce que les libéraux aient, selon leurs habitudes, pris soin des privilèges de leur clientèle. Toutefois, on s’explique mal que le gouvernement Legault se laisse mener par le bout du nez dans pareille affaire. La CAQ n’a rien promis et n’a rien à gagner à cautionner une telle injustice. Ce gouvernement si soucieux d’intégrité n’a pas encore compris qu’il y a quelque chose de scandaleux à brader le patrimoine public et privatiser un domaine sur la Montagne. On n’aliène pas un trésor national. On lui donne une vocation publique qui lui sert d’écrin. Le céder à une organisation privée sans consultation ni débat, sans que l’Assemblée nationale ne soit saisie des motifs d’un tel choix, n’est pas de nature à convaincre du bien fondé de ce don. Encore moins de la légitimité de ces manières de faire.


Les caquistes semblent indifférents face à la privatisation d’un vaste domaine sur la Montagne, ne remettent aucunement en question la politique de leurs prédécesseurs et agissent comme si cela allait de soi. Pourtant, la population du quartier a souvent manifesté son intérêt pour ces immeubles et plusieurs groupes ont suggéré de les mettre au service des besoins plus urgents de ses habitants en matière de santé publique. Il en va de même pour les millions promis à McGill que l’on pourrait certainement refiler aux écoles et hôpitaux en mal de restauration.


L’hôpital Royal Victoria a ouvert ses portes en 1893 et il est demeuré en activité jusqu’à ce que les médecins de McGill suivent leurs patients vers le nouveau Centre hospitalier de l’université, campus Glen, en 2015. La même année, une firme de construction, génie et gestion avait obtenu le mandat de voir à la planification et la transformation de l’ensemble afin d’agrandir et de développer ce site d’une valeur inestimable sur la Montagne. Un an plus tard, McGill parlait déjà de la construction de nouveaux immeubles et d’un vaste projet de transformation des anciens édifices d’une valeur de plus de 782 millions $. Un pactole, un de plus, pour consacrer les vieux privilèges.


Le site et les bâtiments doivent rester de propriété publique. Au pire, des baux de location peuvent être accordés si jamais les usages le justifiaient. Mais encore, faudrait-il faire la preuve publiquement que l’intérêt général en serait bien servi. Il est urgent et – heureusement encore temps – d’éviter une embardée de plus pour angliciser davantage le centre-ville de la métropole et appauvrir le trésor public. De nombreuses pistes peuvent être explorées pour décider sereinement de ce que le gouvernement pourrait faire pour réparer les dégâts. Voilà une occasion pour le Premier ministre de jouer son rôle de chef d’État et démontrer qu’il gouverne dans l’intérêt national.


Le ministère de la Santé pourrait, par exemple, s’inspirer de la solution adoptée le mois dernier par sa contrepartie française des hôpitaux de Paris, lorsque l’entretien et le coût de la restauration de l’historique Hôtel-Dieu parisien sont devenus trop lourds à porter pour le budget de cette institution. La direction a lancé un appel d’offres pour trouver une nouvelle vocation à l’hôpital. Plusieurs entreprises ont manifesté de l’intérêt et l’une d’entre elles a offert de louer, à cent quarante millions d’euros pour 80 ans, le tiers de l’immeuble historique, voisin de la cathédrale Notre-Dame. Selon la direction, ce loyer permettra la restauration des autres deux tiers des espaces et d’y maintenir des services de santé au coeur de la capitale.  L’offre a été acceptée, l’Hôtel-Dieu demeurera un bien public.



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Gilles Paquin32 articles

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Ancien directeur de la section politique au quotidien La Presse. Journaliste pendant 35 ans, il a aussi travaillé à la radio et à la télé de Radio-Canada ainsi qu'aux quotidiens Le Droit à Ottawa et au Montréal-Matin. Il a été correspondant et envoyé spécial dans de nombreux pays en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie.