Après avoir pesté pendant des décennies contre les grands patrons de presse ligués contre la souveraineté, les militants péquistes se réjouissent, et on peut le comprendre, d’avoir enfin réussi à en recruter un, et non le moindre.
Pierre Karl Péladeau est un des rares membres de Québec inc. à avoir embrassé la cause, et certainement le plus prestigieux. Plusieurs espèrent qu’il réussira à conjurer l’insécurité économique qui fait encore hésiter une majorité de Québécois à rompre le lien fédéral.
Tout cela ne justifie cependant pas l’aveuglement dont les péquistes font preuve face au conflit d’intérêts évident que crée son ambition de succéder à Pauline Marois tout en conservant ses actions de Québecor. Si un des frères Desmarais envisageait de devenir chef du PLQ sans se départir de ses intérêts dans Power Corporation, ils se déchaîneraient.
Jean-François Lisée a parfaitement raison : dans une démocratie qui se respecte, il est inconcevable que l’actionnaire principal du plus gros conglomérat médiatique soit aussi le chef de l’opposition, à plus forte raison premier ministre. Il tombe sous le sens que la situation dans laquelle se trouve PKP constitue un « énorme problème ». Qu’une telle évidence puisse faire l’objet d’un débat est tout simplement renversant.
Le chef intérimaire du PQ, Stéphane Bédard, a pris la tête de la parade des autruches en déclarant sur les ondes du 98,5 : « Ce n’est pas à nous autres de traiter ça. » Il est vrai que l’application d’un code de déontologie auquel les membres de l’Assemblée nationale sont soumis relève du commissaire à l’éthique et n’impose pas à un simple député, ce qui inclut le chef de l’opposition, de se départir de ses actions ou de les placer dans une fiducie sans droit de regard.
La présente situation exige toutefois de s’élever au-dessus d’un légalisme aussi étroit. Québecor n’est pas une entreprise de déménagement ou d’entretien ménager. L’énorme influence qu’elle exerce au sein de la société québécoise impose à l’évidence de limiter le rôle politique que peut jouer son actionnaire de contrôle. Même une fiducie sans droit de regard ne constituerait pas une garantie suffisante. Tout le monde serait conscient que M. Péladeau reprendra un jour les commandes et agirait en conséquence.
Que M. Lisée ait lui-même joué à l’autruche au printemps dernier, en donnant l’absolution à PKP quand il s’est présenté dans Saint-Jérôme, démontre peut-être qu’il n’hésite pas à adapter ses principes à ses intérêts du moment, mais cela ne change rien au fond de la question. Ceux qui l’ont prié d’éviter les attaques personnelles et de s’en tenir aux idées semblent oublier que l’éthique est au centre du débat politique québécois depuis des années.
Que personne au PQ n’ait voulu faire écho aux propos de M. Lisée a inspiré à un adjoint de François Legault, Martin Koskinen, une comparaison avec ce qui s’était passé au conseil général du PLQ en novembre 2010, quand personne n’avait voulu appuyer la proposition d’un délégué, Martin Drapeau, qui voulait discuter de l’opportunité d’une commission d’enquête sur la corruption dans l’industrie de la construction. Bien entendu, personne n’accuse PKP de quoi que ce soit, mais ce refus de voir la réalité en face est du même ordre.
Le président du PQ, Raymond Archambault, a reconnu que la question était « difficile » et « délicate », mais à l’exception de M. Lisée, le silence des rivaux de M. Péladeau dans la course au leadership est assourdissant. Il est vrai qu’il a la réputation d’avoir la mémoire longue, et l’avance dont le créditent les sondages a de quoi inspirer la prudence à ceux qui travailleront un jour sous ses ordres.
Le désir de ne pas écorcher le futur chef est un réflexe normal au sein d’un parti politique. Le même phénomène s’était produit en 2005, quand la consommation de cocaïne d’André Boisclair était un sujet tabou, même si tout le monde savait bien que cela constituait aussi une « bombe à retardement ».
D’ailleurs, l’engouement un peu irrationnel pour PKP rappelle beaucoup la Boisclairmanie de 2005. À l’époque, les membres du PQ, hantés par l’idée que leur parti pourrait avoir été celui d’une seule génération, avaient vu dans la jeunesse de l’ancien ministre un passeport pour l’avenir.
De la même façon, alors que les appuis à la souveraineté semblent s’effriter d’année en année, M. Péladeau est perçu comme celui qui pourra lui donner un souffle nouveau. Cela demande toutefois un gros acte de foi. Même s’il semble disposé à s’accommoder du minimum de social-démocratie exigé d’un chef du PQ, ses talents de politicien n’ont jamais été testés et ne semblent pas évidents. Chez Québecor, il évoluait dans un environnement qu’il contrôlait parfaitement. Le monde politique est nettement moins prévisible et il en aura plein les bras face à Philippe Couillard.
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