Une des conditions essentielles à la survie d’un gestionnaire public, sans parler de son ascension, est de ne jamais prendre les propos d’un ministre au pied de la lettre. Pense-t-il réellement ce qu’il dit ? Le pensera-t-il encore demain ? Au besoin, qui servira de bouc émissaire ?
À première vue, quand le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, déclarait au début de septembre qu’il importait d’adapter l’offre de services « à la capacité réelle de payer » des contribuables et qu’il fallait « avoir le courage de remettre en question certaines choses », cela semblait signifier que lesdits services pourraient éventuellement ne plus être fournis. Erreur ! « Ce type de comportement ne sera pas toléré », a expliqué M. Coiteux.
À l’aube d’une nouvelle ronde de négociations dans le secteur public, le président du Conseil du trésor n’a certainement pas contribué à la sérénité des discussions en montrant du doigt ceux qui « ne veulent pas faire les compressions là où ça leur ferait mal parfois à eux-mêmes dans l’administration ». Autrement dit, il y a des gens dans l’appareil gouvernemental qui choisissent délibérément de pénaliser la population et « font lever des pierres politiques » pour sauver leur emploi. Si la bureaucratie n’existait pas, les politiciens l’auraient inventée.
Dans un document intitulé « Le défi des finances publiques au Québec », qui était annexé au budget présenté le 4 juin dernier, on expliquait pourtant que la future Commission sur la révision permanente des programmes allait devoir répondre à la question suivante : « Est-il pertinent pour l’État de financer chacun des services publics qui sont actuellement dans le panier de services ? »
Force est aujourd’hui de conclure qu’il faut répondre par l’affirmative dès que l’abolition de ce service risque de devenir une source d’embarras pour le gouvernement. Même un ministre d’expérience comme Yves Bolduc ne l’avait manifestement pas compris quand il a proposé de faire des coupes dans les budgets des bibliothèques scolaires. Précisément, la carrière politique de M. Bolduc sera peut-être moins longue qu’il ne le prévoyait.
Ce serait un euphémisme de dire que le sens politique n’est pas la qualité première du ministre de l’Éducation, mais il faut bien reconnaître que les directives sont loin d’être claires. Le gouvernement s’est contenté de fixer des objectifs de compressions sans donner de cibles précises.
Jeudi, M. Coiteux a expliqué que les « services directs » à la population ne devaient pas être touchés. Vendredi, le premier ministre Couillard a plutôt dit que les « personnes vulnérables » ne devaient pas souffrir des compressions. Dans le cas des bibliothèques scolaires ou de l’aide aux devoirs, on peut sans doute parler de services directs, indéniablement utiles, mais s’adressent-ils spécifiquement à des personnes vulnérables au même titre que l’aide sociale ?
Il était assez savoureux d’entendre M. Couillard conclure son point de presse consacré à la lutte contre l’intimidation en jouant des gros bras aux dépens des commissions scolaires qui refuseraient de livrer la commande à la satisfaction du gouvernement.
Ce dernier a parfaitement le droit de revoir le rôle des commissions scolaires, voire de les abolir, comme le propose la CAQ, s’il estime qu’une autre formule permettrait d’offrir les mêmes services à un coût moindre, mais la preuve n’en a pas encore été faite. De toute manière, le réaménagement des structures et des responsabilités que cela exigerait ne permettrait pas au gouvernement de réaliser ses objectifs budgétaires dans les délais qu’il s’est fixés.
Depuis le début, le gouvernement refuse de reconnaître que les coupes nécessaires au retour à l’équilibre budgétaire auront un impact sur les services offerts à la population. Et si c’était le cas, ce serait la faute des gestionnaires publics qui auraient désobéi aux ordres. Les mises à la retraite massives de médecins et d’enseignants ont peut-être été une erreur, mais Lucien Bouchard avait au moins assumé ses responsabilités.
Le premier ministre sent périodiquement le besoin de rappeler que son gouvernement travaille aussi sur la colonne des revenus. Manifestement, le retour au pouvoir des libéraux n’a pas encore eu l’effet magique qu’il lui prêtait. Comme en écho à son prédécesseur Nicolas Marceau, qui avait reconnu s’être trompé dans ses prévisions budgétaires, le ministre des Finances, Carlos Leitao, reconnaît que les nouveaux emplois promis ne seront pas au rendez-vous.
Comme son prédécesseur, qui s’était longtemps entêté à nier l’évidence, M. Leitao ne peut pas renoncer à son échéancier budgétaire sans compromettre les efforts de son collègue du Trésor en provoquant une chute de pression dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental. L’heure est encore aux gros bras.
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