Les crucifix dans les édifices publics sont protégés

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Legault fait une petite concession à l'électorat catholique


Le gouvernement Legault a discrètement mis les crucifix à l’abri d’actions judiciaires qui auraient pu forcer les institutions publiques à les décrocher. Un amendement ajouté à la dernière minute dans les heures précédant l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État, en juin, empêche tout citoyen de demander le retrait d’un symbole religieux.


« Le gouvernement se trouve à neutraliser d’éventuelles actions judiciaires », a constaté le professeur spécialisé en droits et libertés de la personne Louis-Philippe Lampron, en entrevue au Devoir.


Si la première mouture du projet de loi 21 avait été adoptée telle quelle, des citoyens athées auraient pu lancer une poursuite pour amener la cour à trancher la question des symboles religieux encore accrochés aux murs des écoles publiques et des hôpitaux. Il aurait alors fallu prouver que le crucifix avait une valeur religieuse et non patrimoniale, comme cela avait été fait par le Mouvement laïque québécois contre la prière au Saguenay, a précisé M. Lampron.


Or, l’article 17 ajouté lors du bâillon du 16 juin stipule que le principe de laïcité de l’État ne peut être interprété pour exiger que les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires retirent ou modifient les symboles religieux dans leurs immeubles — crucifix, croix, statues —, qu’ils soient amovibles ou non.


« En ajoutant ça, on se trouve à accorder l’équivalent d’une valeur patrimoniale à tout symbole religieux déjà accroché dans les institutions publiques, a expliqué le spécialiste. Si c’est sur un immeuble, on ne peut pas demander de le retirer. »


Cette règle uniforme va donc plus loin que la protection qui avait d’abord été offerte dans le projet de loi « aux éléments emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel du Québec ».


L’attachée de presse adjointe du ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, a confirmé cette interprétation. « La modification vise à s’assurer que la loi soit sans effet sur tout immeuble ou bien meuble qui orne un immeuble, a indiqué Élisabeth Gosselin par courriel. Les éléments ainsi protégés le sont sans égard à la religion à laquelle ils sont associés. »


Le gouvernement a plutôt décidé de donner le choix aux organismes publics de décrocher ou non les crucifix de leurs murs, comme cela a été fait à l’abri des regards par l’Assemblée nationale mardi.



On se trouve à accorder l’équivalent d’une valeur patrimoniale à tout symbole religieux déjà accroché dans les institutions publiques




 

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, et la ministre de la Santé, Danielle McCann, ont choisi, au lendemain de l’adoption de la loi, de ne pas énoncer de directives pour qu’on décroche ce symbole religieux, à l’inverse de leur collègue Sonia LeBel qui a demandé qu’on retire les 17 crucifix accrochés dans les salles d’audience des palais de justice québécois.


Cette approche au cas par cas est peu souhaitable, selon Louis-Philippe Lampron. Il estime que le gouvernement du Québec aurait dû faire le tri dès l’adoption de la loi. « Une solution pragmatique, surtout dans une démarche de laïcité, c’est de poser un avant et un après, a-t-il expliqué. Ça avait été fait en France en 1905, a-t-il évoqué. Il y avait eu un avant et un après à la Loi sur la séparation de l’Église et de l’État. »


La France avait alors interdit « d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics » ou les emplacements publics, à l’exception des lieux de culte, des cimetières et des musées, après la promulgation de sa loi.


Nouveaux crucifix permis


Rien dans la loi québécoise n’empêche une institution publique d’accrocher de nouveaux symboles religieux à ses murs, même si elle stipule aussi que les citoyens ont « droit à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques ».


« L’ajout n’est pas interdit, mais le gouvernement invite évidemment toutes les personnes à amorcer une réflexion à l’égard du principe de la laïcité de l’État qui est établi avec la loi et à le respecter », a confirmé l’attachée de presse du ministre Jolin-Barrette.


La Loi sur la laïcité de l’État pourrait donc protéger des symboles religieux récents. Selon Louis-Philippe Lampron, il aurait été préférable que le gouvernement consulte des historiens pour choisir une date à partir de laquelle les signes religieux ne peuvent plus être considérés comme ayant l’équivalent d’une valeur patrimoniale. Un exemple serait de choisir la fin de la Révolution tranquille.


Sauf que cette valeur se mesure d’abord par le sens qu’on donne à l’objet de culte, selon le professeur retraité en histoire de l’art Laurier Lacroix. « C’est plutôt une question de comment on s’identifie et comment on considère un objet du passé », a-t-il expliqué.


« L’idée d’une date ne devrait pas être l’élément principal, a-t-il ajouté. C’est l’importance, la valeur, la signification de cet objet-là [qui comptent] plutôt qu’une date précise de réalisation. »


Par exemple, en décrochant le crucifix du Salon bleu, l’Assemblée nationale lui a retiré un rôle politique et religieux pour lui accorder un rôle patrimonial.


L’approche au cas par cas demeure donc la meilleure façon de faire le tri, selon l’historien de l’art, car elle permet de juger chacun des symboles religieux dans son contexte et de déterminer s’il garde une valeur esthétique ou historique.



Peu de jurisprudence


La Cour suprême n’a jamais tranché la question des symboles religieux accrochés dans les édifices publics. La question avait pourtant été soumise par Alain Simoneau, le citoyen qui avait poursuivi la Ville de Saguenay et son maire de l’époque, Jean Tremblay, pour mettre fin à la prière à l’hôtel de ville en 2008. Il était alors appuyé par le Mouvement laïque québécois. Sa plainte déposée à la Commission des droits de la personne concernait également le crucifix et une statue du Sacré-Coeur disposés dans les salles du conseil municipal. Or, la Commission a seulement choisi d’enquêter sur la prière pour une raison qu’elle n’a jamais expliquée publiquement.La cause s’est rendue jusqu’en Cour suprême qui, faute d’enquête, ne s’est pas prononcée sur la présence de ces symboles religieux à l’hôtel de ville. Le Tribunal des droits de la personne avait d’abord ordonné à la Ville de les retirer, mais la Cour d’appel a ensuite conclu qu’il n’avait pas la compétence pour le faire. Elle avait tout de même estimé qu’il s’agissait « d’objets d’art dépouillés de connotation religieuse » et donc qu’ils n’interféraient pas « avec la neutralité religieuse de l’État ». La statue et le crucifix ont été enlevés depuis.








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