Les enjeux de la réforme du Sénat

Réforme du Sénat (Canada)



Le gouvernement fédéral formé par le Parti conservateur et les provinces de l'Ouest favorisent, pour la réforme du Sénat, la formule «triple E», qui désigne un Sénat «élu, égal et efficace», inspiré du Sénat australien.
Chaque province serait représentée par le même nombre de sénateurs et ceux-ci seraient élus au suffrage universel direct. Ce nouveau Sénat, ainsi revêtu d'une légitimité démocratique semblable à celle de la Chambre des communes, pourrait exercer les mêmes pouvoirs que cette assemblée. La modification de la représentation actuelle des provinces au Sénat (le nombre de sénateurs par lesquels chacune est représentée) demanderait des changements formels à la Constitution de 1867, ce qui semble exclu dans le contexte actuel.
Par contre, la modification du mode de désignation des sénateurs pourrait se faire sans changement constitutionnel formel, grâce à un stratagème: le premier ministre du Canada continuerait à désigner les sénateurs, comme la Constitution le prévoit actuellement, mais il nommerait des personnes préalablement élues par la population. Le gouvernement du Québec s'oppose fermement à une telle réforme. Nous allons voir pourquoi.
Sénateurs et partis politiques
Il faut bien comprendre les conséquences qu'entraînerait l'élection des sénateurs dans le contexte d'un système parlementaire de type britannique, caractérisé par le principe de la responsabilité ministérielle, la tendance au bipartisme et la discipline de parti. Tout comme les élections à la Chambre des communes, les élections au Sénat se feront par l'intermédiaire des partis politiques et les sénateurs devront donc leur élection à leur présentation par un parti (il pourra occasionnellement arriver qu'un sénateur indépendant réussisse à se faire élire, mais cela restera l'exception plutôt que la règle).
Dès lors, tout dépendra de la composition partisane des deux chambres Si le gouvernement est majoritaire dans les deux Chambres, la discipline de parti fera en sorte que le Sénat se contentera généralement d'entériner les décisions adoptées par la Chambre des communes. Dans cette hypothèse, l'existence du Sénat se trouvera donc dépourvue d'utilité. Si on veut éviter que les élections ne produisent pas une duplication des deux chambres, la façon la plus sûre consiste à utiliser pour chacune un mode de scrutin différent.
À l'australienne
C'est la solution adoptée en Australie, où les députés sont élus au scrutin majoritaire et les sénateurs à la représentation proportionnelle. Avec un tel système, il n'est pas impossible que le même parti politique obtienne la majorité dans les deux chambres (c'est le cas à l'heure actuelle en Australie), mais les probabilités d'une telle situation sont faibles.
Comme le montre encore l'expérience australienne, si le parti qui forme l'opposition à la chambre basse obtient la majorité des sièges au Sénat, il se trouvera en mesure de bloquer la machine parlementaire et gouvernementale, avec comme conséquence la nécessité de nouvelles élections (c'est ce qui est arrivé à deux reprises en Australie dans les années 70).
Si, par contre, ni le gouvernement ni l'opposition officielle n'ont de majorité au Sénat, la balance du pouvoir y étant détenue par un ou plusieurs tiers partis, le gouvernement sera obligé de composer avec ces derniers et le Sénat pourra jouer un rôle utile de contre-pouvoir à l'omnipotence de l'exécutif appuyé sur sa majorité à la chambre basse. En effet, tous les observateurs s'accordent pour constater que dans les systèmes parlementaires de type britannique, comme le Royaume-Uni, le Canada et l'Australie, le principal problème est la trop grande concentration des pouvoirs entre les mains du premier ministre.
Chambre fédérale
Par ailleurs, un Sénat élu serait-il en mesure de jouer le rôle d'une «chambre fédérale» destinée à défendre les intérêts des provinces au sein du système politique central? C'est bien sûr le rôle que le gouvernement du Québec voudrait lui voir jouer. Si les sénateurs sont élus, la discipline de parti les portera à voter en s'alignant sur les consignes partisanes plutôt que sur la défense des intérêts des provinces ou des régions.
Comme le montre l'exemple du Sénat australien, dont le fonctionnement est généralement dominé par la politique partisane fédérale, l'élection des sénateurs a pour conséquence d'affaiblir plutôt que de conforter leur capacité d'agir en tant que représentants des États membres de la fédération. Au Canada, la nomination des sénateurs par le gouvernement central empêche également le Sénat de représenter les provinces ou les régions et le mène à se comporter en chambre partisane.
On constate donc qu'en régime parlementaire, un Sénat élu par la population se comporte de la même façon qu'un Sénat dont les membres sont nommés par l'exécutif fédéral. Par contre, dans un système présidentiel comme les États-Unis, où une stricte discipline de parti n'existe pas, les sénateurs pourront davantage voter en fonction d'une logique fédérale ou régionale, et on peut voir se former au Sénat des blocs régionaux pour la défense d'intérêts précis.
Pour faire en sorte que la loyauté des membres du Sénat aille aux provinces qu'ils sont censés représenter plutôt qu'aux partis qui les ont fait élire, le meilleur moyen consiste à les faire désigner, directement ou indirectement, par les gouvernements provinciaux. C'est la solution que réclame le gouvernement du Québec mais qui ne semble pas recueillir beaucoup d'appuis ailleurs au Canada.
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José Woehrling, Professeur de droit constitutionnel à l'Université de Montréal
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