Machinations sénatoriales

Réforme du Sénat (Canada)


Tel qu'attendu, le premier ministre Stephen Harper a mis de l'avant la nomination de 18 sénateurs, hier. Il s'agit d'une cuvée inégalée dans l'histoire canadienne, mais les 18 vacances en même temps l'étaient probablement aussi. De façon générale, les premiers ministres ne tardaient pas à combler un poste au Sénat, une «récompense» qu'ils destinaient à des amis du régime.
Cette vision du Sénat comme d'un outil au profit des partis au pouvoir a justement mené au profond cynisme que les Canadiens portent depuis des décennies à l'endroit du Sénat, qui avait pourtant été conçu, dans les travaux préparatifs à la création de la fédération canadienne, dans les mois qui ont précédé le 1er juillet 1867, comme un contrepoids au pouvoir de la Chambre des communes et à celui des provinces.

De cynisme en cynisme, le Sénat a progressivement été raillé et dénaturé au point où ils sont nombreux les appels à sa réforme profonde, ou même à son abolition pure et simple. Le premier ministre Stephen Harper est de ce groupe, à l'image du Reform Party des années 1990 dont il est issu, et dont le Parti conservateur a adopté cet élément du programme réformiste.
C'est pourquoi des représentants de l'Opposition ont eu en M. Harper une cible facile, hier, dans les heures qui ont suivi la nomination de 18 personnes au Sénat. Pour un homme qui voulait réformer le Sénat, M. Harper s'en est servi comme tous les politiciens avant lui à des fins partisanes. Il a nommé une poignée d'amis du régime conservateur comme Irving Gerstein, le président du Fonds conservateur du Canada, Stephen Greene, l'ancien chef de cabinet du réformiste Preston Manning, le vice-président du Parti conservateur Michael MacDonald, et d'anciens députés ou candidats conservateurs tels Suzanne Duplessis, Fabian Manning, Yonah Martin, Percy Mockler et Richard Neufeld.
Dans le lot, il a récompensé aussi de grands Canadiens comme l'ex-skieuse olympique Nancy Greene, et les ex-journalistes Mike Duffy et Pamela Wallin. Il a aussi surpris en nommant l'autochtone Patrick Brazeau, un Algonquin de la réserve Kitigan Zibi, en Haute-Gatineau.
Grosso modo, M. Harper n'a ici fait ni mieux ni pire que ses récents prédécesseurs libéraux dont il critiquait les nominations.
Il sera intéressant d'évaluer si la base conservatrice reprochera ces faits à M. Harper, ou si elle sera d'accord avec ses arguments à l'effet que la perspective de perdre le pouvoir en janvier lui laissait peu de choix de ne pas utiliser les méthodes de ses adversaires. Il est vrai que la coalition libérale-néo-démocrate-bloquiste n'avait pas perdu une seconde en laissant entendre que si elle devait prendre le pouvoir le mois prochain, elle n'allait pas hésiter à combler les postes vacants au Sénat.
Il ne faut par ailleurs pas perdre de vue que l'un des postes de sénateur représentant l'Ontario qui a été comblé hier avait appartenu jusqu'en 2004 au Franco-Ontarien Jean-Robert Gauthier. La communauté francophone minoritaire avait perdu une voix forte à ce moment-là et on en était presque venu à se convaincre que le siège reviendrait d'office à un autre Franco-Ontarien. Il est dommage que M. Harper n'ait pas continué dans ce sens.
Les Franco-Ontariens ne comptent plus que sur la sénatrice Marie Poulin, du nord de l'Ontario, pour être leur voix minoritaire au Sénat, un rôle qu'elle n'a certes pas joué avec la même fougue que M. Gauthier. (Avec justice, d'autres membres issus des communautés minoritaires francophones sont au Sénat, comme Claudette Tardif, de l'Alberta, et le Néo-Brunswickois Mockler.)
Stephen Harper a joué la carte de la politique-réalité avec son enveloppe de nominations. Les 18 auraient accepté d'endosser ses idées d'un Sénat élu, égal et efficace. Cela ne changera cependant pas le fond de l'affaire : ce n'est ni l'affaire seule de M. Harper, ni des seuls sénateurs, de réformer le Sénat, mais bien à tous les partenaires du «contrat» confédératif canadien, les provinces. Tant que le premier ministre s'obstinera à ne pas dégager une majorité d'appuis dans le camp des provinces, ses machinations sur le Sénat seront mort-nées.
pjury@ledroit.com


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