Les masques

L'esquive de M. Charest était néanmoins savoureuse. «Il faut faire confiance aux gens», a-t-il plaidé. C'est bien là le problème qu'illustre cette petite controverse: qui fait encore confiance à Jean Charest?

Actualité québécoise


Le premier ministre Charest a-t-il dormi dans le somptueux palais des Desmarais à Sagard? Lui a-t-on fourni les pantoufles et la brosse à dents?
Il ne fait aucun doute dans mon esprit que M. Charest s'est laissé dorloter par la famille royale québécoise. Bernard Landry a raison de dire que le premier ministre du Québec ne devrait jamais donner l'impression que des gens riches et puissants comme les Desmarais ont plus facilement accès à lui qu'un dirigeant de l'UPA, mais tout le monde sait bien que c'est le cas. D'ailleurs, si M. Desmarais était souverainiste, certains n'auraient peut-être pas les mêmes scrupules.
L'esquive de M. Charest était néanmoins savoureuse. «Il faut faire confiance aux gens», a-t-il plaidé. C'est bien là le problème qu'illustre cette petite controverse: qui fait encore confiance à Jean Charest?
Ce sera aussi le grand handicap du PLQ au cours de la prochaine campagne électorale. Au bout du compte, la question à laquelle les électeurs répondent dans l'urne est toujours la même: à qui puis-je me fier? M. Charest aura beau essayer de verdir son Plan Nord, il aura bien du mal à faire oublier la multitude de scandales, coups fourrés et autres entourloupettes des neuf dernières années.
L'éventualité d'un quatrième mandat libéral risque d'apparaître si déprimante que la seule façon d'amener les électeurs à s'y résigner sera d'évoquer des perspectives plus effrayantes encore, par exemple, si la CAQ prenait le pouvoir. Se présenter comme un moindre mal n'est peut-être pas très glorieux, mais c'est tout ce à quoi M. Charest peut encore prétendre.
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François Legault lui a offert un magnifique épouvantail avec sa promesse de rouvrir d'une manière ou d'une autre les conventions collectives signées l'an dernier avec les médecins et les enseignants. Le chef de la CAQ demande qu'on ne démonise pas ses propositions, mais c'est précisément ce à quoi ses adversaires vont s'employer.
Une campagne électorale se prête admirablement à la diabolisation. Au printemps 2003, on était tombé à bras raccourcis sur l'ADQ, accusée de vouloir faire table rase des acquis des quarante années précédentes. Parti en tête dans les sondages, Mario Dumont s'était retrouvé avec une petite poignée de députés.
La levée de boucliers des derniers jours a dû faire sourire M. Charest, qui a eu droit au même traitement quand il a voulu procéder à la «réingénierie» de l'État. Jamais on n'avait vu une lune de miel aussi courte. À peine élu premier ministre, il était abreuvé d'injures et pendu en effigie.
À l'époque, M. Charest répétait quotidiennement qu'il avait reçu des électeurs le «mandat clair» que réclame aujourd'hui M. Legault. Lui aussi avait misé sur le désir de changement, jusqu'à ce qu'il découvre que la crainte du désordre était encore plus forte.
Le chef de la CAQ, qui lui reproche aujourd'hui d'avoir manqué de courage, faisait pourtant partie des détracteurs de la «réingénierie». Les «gains d'efficacité» qu'il fait lui-même valoir étaient simplement un «mythe» et auraient pour effet de «mettre les services publics en péril», écrivait-il dans une lettre ouverte publiée en septembre 2003.
C'est maintenant le ministre de la Santé, Yves Bolduc, qui l'accuse de vouloir «démolir» le système de santé. Le bilan libéral à ce chapitre aurait quand même dû l'inciter à se garder une petite gêne.
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M. Charest a démontré depuis longtemps sa remarquable faculté d'ajuster ses principes à ses intérêts du moment. S'il fut un temps où le premier ministre se réclamait de Mike Harris et proposait de tourner la page sur la Révolution tranquille, il semble maintenant tout disposé à se faire le valeureux défenseur du «modèle québécois».
Dans cette étrange mascarade où les bons et les méchants s'échangent les rôles, le PQ ne le laissera certainement pas monopoliser la vertu. Hier, c'était à qui trouverait la meilleure façon de pourfendre ces coquins de caquistes. Pour une rare fois, le porte-parole péquiste en matière de finances, Nicolas Marceau, était du même avis que son vis-à-vis Raymond Bachand: les propositions de la CAQ constituent une menace pour l'économie.
Le programme adopté au congrès péquiste d'avril dernier prévoit pourtant certains engagements qui pourraient être repris intégralement par la CAQ. Ainsi, un gouvernement péquiste «procédera à une réorganisation majeure de l'État visant à le débureaucratiser». Mieux encore, il «introduira une véritable culture des résultats dans les réseaux publics». N'est-ce pas justement ce que vise l'évaluation des enseignants?
Peu importe, rien ne vaut un ennemi commun pour favoriser la réconciliation. Il y a tout juste deux semaines, le président de la CSQ, Réjean Parent, avait déclaré que, sous la gouverne de Mme Marois, le PQ vivait dans «le déni du mouvement syndical, du monde du travail». On peut penser qu'il ne le répétera pas. Quoiqu'on ne sait jamais: à entendre M. Parent vanter la paix industrielle qui règne actuellement au Québec et ses effets positifs sur la cote de crédit, on aurait juré un libéral. Tous ces masques finissent par être un peu mélangeants.


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