Quand il était radiologiste, Gaétan Barrette s'est retrouvé au coeur d'un conflit dévastateur à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. Devenu ministre de la Santé, il a tenté d'abolir l'un des principaux champs de pratique de trois de ses anciens collègues. La Presse a enquêté sur les méthodes musclées de celui qui a été maintes fois décrit comme un intimidateur au cours de sa carrière. Une enquête d'Isabelle Hachey.
Sept ans après avoir menacé de « tout faire pour nuire au département » de radiologie de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont et de « détruire un à un » ses anciens collègues, le ministre de la Santé Gaétan Barrette a tenté d'abolir l'un des principaux champs d'expertise de trois radiologistes de cet hôpital.
En novembre 2016, le ministère de la Santé, dirigé par Gaétan Barrette, a proposé de supprimer l'échographie cardiaque du champ de pratique des radiologistes afin de réserver cet acte médical aux cardiologues, qui l'exécutent désormais en grande majorité au Québec.
La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a rejeté cette proposition, qui aurait surtout touché trois anciens collègues du Dr Barrette à Maisonneuve-Rosemont. À eux seuls, ces trois médecins ont pratiqué plus de la moitié de toutes les échographies cardiaques encore réalisées par des radiologistes au Québec.
À la fin des années 2000, un conflit dévastateur a opposé le Dr Barrette à l'ensemble de ses collègues du département de radiologie de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont - exception faite de sa femme, la Dre Marie-Josée Berthiaume.
Les tensions ont culminé en septembre 2009, quand la Dre Berthiaume a intenté une poursuite pour harcèlement et atteinte à la réputation contre les 12 radiologistes du département.
L'affaire s'est retournée contre la Dre Berthiaume, qui a non seulement été déboutée, mais condamnée à verser 375 000 $ à ses collègues pour avoir entrepris des procédures abusives à leur endroit.
Le 3 septembre 2009, Gaétan Barrette a téléphoné au chef du département, Robert Filion, et menacé de « tout faire pour nuire au département », « d'attaquer personnellement tous les associés » et de les « détruire un à un », peu importe les « dommages collatéraux » que cela pourrait causer, lit-on dans la décision rendue en avril 2013 par la Cour supérieure.
Le Dr Filion fait partie des trois radiologistes qui pratiquent des échographies cardiaques à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, avec Patricia Ugolini et Stéphane Carignan. Tous trois étaient visés dans la poursuite de la Dre Berthiaume.
Ironiquement, le Dr Carignan a été recruté par Gaétan Barrette lui-même, en 2000, pour ses connaissances approfondies en imagerie cardiaque. À l'époque, le Dr Barrette était chef du département. « Il m'a recruté pour faire ça. Il voulait de l'expertise en imagerie cardiaque », se souvient-il.
Nous sommes sous le coup d'une fatwa. M. Barrette a dit qu'il nous détruirait et a mis ses menaces à exécution. C'est exactement ce que j'ai vécu.»
Le Dr Stéphane Carignan
Le ministre Barrette se défend d'avoir voulu exercer une vendetta à l'endroit d'anciens collègues de Maisonneuve-Rosemont. « Cela n'a aucun rapport, il y en a d'autres, dans le CHUM, il y en a dans le CUSM, il y en a très peu parce que c'est un examen en voie de disparition », a-t-il affirmé hier.
Selon des chiffres compilés par l'Association des radiologistes du Québec (ARQ), aucune échographie cardiaque n'a pourtant été pratiquée par un radiologiste au CHUM en 2015-2016. Une seule a été pratiquée au CUSM. Pendant la même période, 2330 ont été pratiquées à Maisonneuve-Rosemont.
« Il n'y avait aucune raison valable de retirer l'échographie cardiaque aux radiologistes de cet hôpital. Pour moi, c'est grave qu'on essaie sans justification d'empêcher des médecins de pratiquer des actes pour lesquels ils sont compétents », a souligné le président de l'ARQ, Vincent Oliva, lorsqu'appelé à réagir par La Presse.
Selon le ministre Barrette : « Les cardiologues ont la capacité de faire cet examen et souhaitent le faire. Actuellement, on a une problématique d'accès pour l'échographie, qui est faite par les radiologues, et en ce qui me concerne, les radiologues doivent faire ce dont la population a besoin. »
« UNE GOUTTE D'EAU DANS LE BUDGET DE LA SANTÉ »
Le président de l'Association des cardiologues du Québec, le Dr Arsène Basmadjian, indique toutefois avoir été « surpris » par la proposition du Ministère. Les cardiologues, dit-il, n'ont jamais remis en question l'expertise des radiologistes en ce domaine. « Ce n'est pas pertinent qu'on leur retire cet acte-là parce qu'ils rendent service à la communauté. »
Le Dr Carignan est convaincu que cette mesure chirurgicale était destinée à lui nuire, ainsi qu'à ses deux collègues. « Nous sommes parmi les derniers radiologistes de la province à faire de l'échographie cardiaque. La mesure représentait une goutte d'eau dans le budget de la Santé, mais écorchait pas mal Maisonneuve. Tout le monde a fait cette conclusion-là. »
Bien que la proposition ait été retirée des négociations, le Dr Oliva constate un « certain acharnement sur les radiologistes » de la part du ministre Barrette.
Il rappelle que l'an dernier, le ministre a décrété la couverture publique des frais d'échographie en cabinet privé afin de réduire le temps d'attente pour ce type d'examens. Cependant, le décret ne ciblait que les échographies réalisées par les radiologistes.
Autrement dit, les patients doivent toujours payer pour obtenir une échographie pratiquée, par exemple, par un obstétricien en clinique privée.
C'est une mesure incohérente et inéquitable. Ce n'est pas une activité médicale, mais une profession qui est visée.»
Le Dr Vincent Oliva
président de l'ARQ
Selon lui, la mesure a fragilisé plusieurs cliniques de radiologie de la province, à différents degrés, dont celle affiliée à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. Au plus fort du conflit, la Dre Berthiaume avait été expulsée de cette clinique par ses associés, ce qui avait provoqué la colère du Dr Barrette.
« Dans un souci d'éviter une situation d'apparence de conflit d'intérêts, un ministre ne devrait-il pas s'imposer un devoir de réserve dans des décisions qui visent au premier plan d'anciens collègues et, indirectement, des proches ? La question mérite d'être posée », indique le Dr Oliva.
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