Il n’y a pas à dire, François Legault a fait un sacré bon job de relations publiques.
« C’est très sérieux », a-t-il martelé en point de presse, jour après jour après jour après jour, l’air sombre. « C’est une question de vie ou de mort. »
Les Québécois lui ont fait confiance. Ils se sont pliés aux consignes. Ils se sont encabanés. Ils ont dénoncé, en masse, les récalcitrants.
M. Legault a été si convaincant que plusieurs d’entre nous considèrent désormais les joggers comme des assassins en puissance. Sur les trottoirs, on s’évite, on se contourne, on se méfie les uns des autres.
Bref, on est terrifiés. Depuis un mois, on a été conditionnés à l’être par notre bon gouvernement.
Et voilà que ce même gouvernement nous dit qu’il songe à nous faire sortir, très bientôt, de nos tanières ?
Avouez que c’est un choc…
Jeudi, M. Legault a provoqué une levée de boucliers en évoquant la réouverture des écoles le 4 mai. On l’a accusé de vouloir transformer les enfants en cobayes, de sacrifier leurs enseignants à l’autel de l’économie.
Manifestement, le premier ministre a sous-estimé l’anxiété collective qu’il a lui-même contribué à instaurer. Face au torrent d’indignation, il a tenté de rattraper le coup en soulignant que tout ce qui comptait, pour lui, c’est la santé.
Mais il faudra bien qu’on sorte, tôt ou tard.
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D’instinct, on préférerait plus tard que tôt. Beaucoup plus tard. Le plus tard possible.
Quand j’ai entendu M. Legault, jeudi, j’ai tout de suite pensé aux longues nuits d’hiver passées aux urgences avec mon garçon, en proie à une crise d’asthme, cherchant son air, un masque d’oxygène collé au visage.
Est-ce que ça m’a donné envie d’envoyer mon fils se frotter à ses amis – tous autant de vecteurs potentiels d’une maladie pulmonaire mortelle – sur les bancs d’école, dans trois semaines ? Pas une seconde. Non. Niet. Nope.
Je ne suis pas la seule à avoir réagi de la sorte. C’est une réaction normale, dans le contexte.
On nous répète sans cesse que nos vies sont en jeu… et tout d’un coup, on veut exposer nos enfants au virus ?
On lâche la police contre les voisins, on installe du plexiglas devant les caisses des supermarchés, on ferme les parcs, on annule les festivals… mais on veut remettre, vite, vite, l’économie en branle ?
On abandonne des personnes âgées dans leurs excréments, on fait chaque jour le macabre décompte des morts dans les CHSLD… mais on nous jure que ça va bien aller ?
Et puis, il n’y a pas que les vieux qui tombent malades. Je veux dire, vraiment malades. Mardi encore, La Presse rapportait le témoignage d’un Montréalais de 36 ans, à peine sorti des soins intensifs. « J’avais mal à la peau », a-t-il confié à Ariane Lacoursière. Il a surtout failli la perdre. « Être chez soi, en un morceau et en vie, ça n’a pas de prix. »
Pas de prix, vraiment ?
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Pour la première fois de son histoire, le Québec plonge volontairement dans la récession, en appliquant des mesures de confinement qui paralysent son économie entière.
On peut imaginer la pression que subit le gouvernement, ces jours-ci, pour en relancer certains secteurs. Le premier ministre a d’ailleurs annoncé, lundi, la réouverture des chantiers de construction.
Certains y verront l’espoir d’un retour à la normale. D’autres n’y verront que des calculs comptables. Cyniques. Sinistres. La courbe est en voie d’être aplatie, le pire a été évité, les hôpitaux ne sont pas submergés ; on peut se permettre plus de malades. Plus de morts.
Un peu comme si le gouvernement choisissait, tout compte fait, de sauver le PIB plutôt que grand-papa, qui serait mort de toute façon, d’ici quelques mois, oublié dans un coin du CHSLD…
La réalité, bien sûr, est loin d’être aussi simple.
Tout n’est pas aussi manichéen. Personne ne procède à des calculs cyniques. Personne n’est en train de choisir, cruellement, entre la bourse ou la vie.
On l’a peut-être un peu oublié, mais le coronavirus ne disparaîtra pas. Pas tout de suite, en tout cas. Or, on ne pourra pas rester confinés éternellement.
Une nouvelle étude conclut que le confinement actuel ne sera pas suffisant pour maîtriser la pandémie. Des mesures de distanciation sociale pourraient devoir se poursuivre jusqu’en… 2022.
Aplatir la courbe, ça n’a jamais voulu dire empêcher tout le monde de contracter le coronavirus. On veut plutôt étaler dans le temps les infections, pour éviter de surcharger le système de santé et de perdre le contrôle, comme en Italie.
Autrement dit, à moins de s’enfermer à double tour jusqu’à la découverte d’un vaccin, dans 18 ou 24 mois, on finira probablement par choper le coronavirus.
Je sais. Ça me fait peur, moi aussi.
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À travers le monde, les autorités sanitaires redoutent maintenant une deuxième vague du virus, plus meurtrière encore que la première, qui pourrait frapper dans plusieurs mois, comme l’a fait la grippe espagnole.
C’est pour éviter d’être submergés par ce second tsunami que le Dr Horacio Arruda insiste sur l’importance de rouvrir le Québec tout doucement, précautionneusement, en ajustant le rhéostat à chaque étape.
Et c’est pour ça que le gouvernement songe à rouvrir les écoles en mai. Les enfants, qui présentent des symptômes très légers de la COVID-19, pourraient favoriser l’immunité collective.
Est-ce que cela fait d’eux – et de leurs enseignants – de vulgaires cobayes ?
Pas si l’on considère que le coronavirus sera encore parmi nous en septembre, tapi dans l’ombre, guettant le retour du temps froid pour se propager de plus belle.
Ce que je veux dire, c’est que les enfants et leurs profs ne seront pas davantage protégés en septembre qu’en mai…
Alors, on fait quoi ?
Si on attend l’automne avant de rouvrir le Québec d’un seul coup, la deuxième vague pourrait frapper en même temps que la grippe saisonnière, qui fait déjà déborder les hôpitaux chaque hiver.
Pour le gouvernement, c’est un dilemme cornélien. En matière de santé publique, cependant, ouvrir les écoles le 4 mai ne semble pas dénué de sens.
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Donald Trump l’a écrit en majuscules sur Twitter : LE REMÈDE NE DOIT PAS ÊTRE PIRE QUE LE PROBLÈME.
On a bien sûr critiqué le président des États-Unis pour son manque de sensibilité, mais il faut avouer que, pour une fois, il n’avait pas complètement tort.
Même le très respecté Dr Anthony Fauci l’a admis au New York Times : des mesures de confinement trop strictes pourraient être « catastrophiques » pour la société. Si on ferme tout, trop longtemps, on risque de faire plus de tort que de bien.
Plus le confinement s’étirera, plus la pénurie de médicaments sera grave, plus les opérations seront reportées, plus de femmes et d’enfants resteront prisonniers de foyers violents, plus d’entreprises feront naufrage, plus de travailleurs perdront leur gagne-pain, plus de personnes âgées souffriront d’isolement, plus de vies seront brisées.
La récession ne sera pas qu’économique. Elle sera aussi sociale. Et ses victimes seront innombrables.
Alors non, il n’est pas inhumain de mesurer la « balance des inconvénients » de cette terrible crise, comme le dit François Legault. Au contraire.