(Québec) L’avenir politique de Dominique Anglade paraît plus que jamais incertain, selon un coup de sonde mené auprès de plusieurs libéraux, encore sous le choc de la défaite cuisante, historique, de leur parti le 3 octobre.
Si, comme on a vu mercredi dernier, à Yamachiche, les libéraux réunis en caucus postélectoral font front commun derrière leur cheffe, du moins en public, c’est une tout autre histoire à l’abri des caméras. Soudain, les langues se délient et les couteaux s’aiguisent.
Au cours des derniers jours, La Presse Canadienne a mené des entrevues auprès d’une douzaine de libéraux, souvent militants de longue date, ayant côtoyé de près la cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ), dont plusieurs ex-députés, des candidats défaits et une présidente d’association. Tous ont accepté de livrer leurs états d’âme à la condition que leur identité demeure confidentielle.
L’heure n’est pas à l’optimisme dans les rangs libéraux. De toutes les personnes interviewées, personne ne s’est risqué à prédire que Mme Anglade serait toujours cheffe du parti lors du prochain scrutin, en 2026, et personne ne s’est engagé à l’appuyer lors du vote de confiance qui doit avoir lieu lors du prochain congrès d’ici un an.
Au contraire, certains, qui n’hésitent pas à tenir des propos très durs envers elle, disent demeurer membres du parti précisément pour pouvoir voter contre elle lors du vote de confiance et ainsi accélérer son départ. Qu’elle sorte victorieuse du vote de confiance serait carrément une « tragédie pour le parti », selon une ex-députée qui siégeait à ses côtés il y a quelques mois à peine.
Plusieurs prétendent que le grenouillage visant à lui trouver un successeur avait même commencé avant la campagne électorale, tellement on appréhendait le pire.
« Elle a presque tué le Parti libéral » depuis qu’elle en est la cheffe, juge catégoriquement un ancien ministre libéral, membre du caucus Anglade jusqu’à tout récemment, qui ne cache pas son aigreur et son dépit, la tenant personnellement responsable des déboires du parti.
Le 3 octobre, le PLQ a obtenu le pire score de son histoire, avec 21 députés et 14 % du suffrage populaire (6 % à Québec, 3 % au Saguenay), chutant au quatrième rang des cinq principaux partis en termes d’appui populaire, derrière le Parti québécois et Québec solidaire. Le PLQ a donc 10 députés de moins et récolté 10 points de moins qu’en 2018, au moment où le parti avait enregistré sa pire performance de tous les temps. Depuis 2014, le PLQ aura perdu plus de 1,1 million de votes. L’électorat francophone a pratiquement désavoué massivement le PLQ.
Devant ces chiffres « catastrophiques », on sent la panique grandir dans les rangs libéraux. Le spectre de l’Union nationale hante les esprits.
« Le PLQ n’est pas à l’abri de disparaître » lui aussi, craint un candidat défait et militant de longue date, qui a mordu la poussière dans une ancienne forteresse. « Jusqu’où on va s’enfoncer ? », se demande une autre, inquiète.
D’où l’importance aux yeux des libéraux de pouvoir miser sur la bonne personne pour inverser la tendance et éviter au parti des Jean Lesage, Robert Bourassa et Jean Charest une lente et inexorable agonie.
Dans les circonstances, Mme Anglade, qui a annoncé sa ferme intention de demeurer cheffe, doit avant tout être « lucide », dira un candidat défait, et tirer les conclusions qui s’imposent.
« Elle ne passe pas », renchérit une ancienne membre du caucus Anglade, tant auprès de l’électorat qu’auprès des militants. Pour illustrer son propos, celle-ci dit connaître des libéraux de longue date qui ont renoncé à voter pour le PLQ le 3 octobre, parce qu’il est dirigé par Mme Anglade.
« Les gens ne voulaient pas la voir » durant la campagne électorale, quand elle se présentait dans une circonscription, assure cette ex-députée.
Tout en reconnaissant les grandes qualités de Mme Anglade, plusieurs libéraux conviennent que la connexion entre elle, sa base militante et les électeurs ne s’est jamais produite.
« Elle ne pogne pas », a résumé une ancienne députée, dans un jugement lapidaire, persuadée qu’« il va falloir qu’elle débarque » pour le bien du parti.
Son style de leadership fait grincer des dents la douzaine de libéraux contactés. On lui reproche plusieurs choses : son manque d’écoute, sa tendance à faire le vide autour d’elle et à s’entourer de gens sans expérience, son éloignement des valeurs libérales, son incapacité à attirer davantage de membres et de sources de financement, et surtout d’avoir laissé à l’abandon toute la structure bénévole en régions, ce que l’ex-premier ministre Jean Charest appelait « l’épine dorsale » du parti.
Mme Anglade aura eu deux ans et demi, donc tout le temps requis « pour faire ses preuves et ça n’a pas marché », conclut une ex-élue qui avait appuyé sa candidature au leadership en 2020 et qui désormais réclame son départ.
Cette ex-élue note ce qu’elle qualifie de « climat toxique », extrêmement tendu, qui régnait dans le caucus libéral, ce qui augurait mal pour la campagne électorale. Son constat a été confirmé par plusieurs autres sources.
Si la cheffe de l’opposition officielle n’a pas su unifier son caucus de 27 personnes, n’a pas réussi à le rassembler autour d’objectifs communs, comment s’étonner, demande une ex-membre de ce caucus, qu’elle n’ait pas séduit davantage d’électeurs le 3 octobre ?
Son départ devient selon elle d’autant plus inévitable que toute sa stratégie électorale misait sur sa personnalité, la « vraie Dominique », un pari risqué qu’elle aura perdu.
Les positions prises par la cheffe depuis deux ans, surtout son virage nationaliste et environnemental, ont donné le tournis à bien des libéraux qui ne reconnaissaient plus leur formation. Au début, « elle a trahi les idéaux du parti », opine une ex-élue. Puis, dit-elle, « elle a cherché à se reprendre », à corriger le tir, « mais c’était trop tard », le mal était fait, la confiance envolée. Un parti n’est pas « une marque de yogourt », illustre-t-elle.
Confiance ou méfiance ?
Dans ce contexte, une candidate défaite, ayant vécu « une élection de marde », véritable cauchemar sur le plan de l’organisation, a dit souhaiter que le congrès du parti ait lieu rapidement, avant l’été, « pour passer à autre chose ». Elle se dit partagée quant à la suite des choses, multipliant les critiques envers sa cheffe, mais réclamant de la stabilité pour son parti. Elle vante l’importance de se rallier, craignant que le PLQ « devienne comme le PQ », qui a changé de chef à plusieurs reprises ces dernières années.
Certains se risquent à dire qu’elle devrait viser un score d’au moins 75 % pour conserver un minimum de légitimité et éventuellement rester en place. Mais que vaut un vote de confiance ?
En 1997, Daniel Johnson avait reçu 80 % d’appui des militants libéraux réunis en congrès. Quelques mois plus tard, il se faisait montrer la porte, pour laisser la place à Jean Charest.
« Depuis quand le PLQ va garder une personne qui lui a fait perdre les élections ? », demande une ancienne élue, persuadée que Mme Anglade n’est plus à sa place. En 1998, Jean Charest, tout juste débarqué d’Ottawa, avait perdu aux mains du PQ de Lucien Bouchard, mais il avait gagné le vote populaire et avait pris le pouvoir en 2003.
De toute façon, « c’est sûr qu’elle va sauter » lors du vote de confiance, prédira un candidat défait, fataliste.
D’ici là, chose certaine, Mme Anglade devra « asseoir son autorité sur son caucus, sinon, elle est faite », est convaincue une ex-députée, décrivant la situation actuelle de la cheffe comme étant « très, très, très difficile ».
La cheffe libérale ne semble pas « prendre acte » de la défaite du 3 octobre et d’en mesurer toute l’ampleur, fait valoir une ancienne élue. Elle vit « dans le déni », car si elle en prenait vraiment conscience « elle tirerait sa révérence », dès maintenant, à son avis. « Elle s’accroche », renchérira une ancienne collègue.
Désorganisation
Toutes les personnes interviewées ont dénoncé l’organisation « complètement déficiente » de la campagne électorale.
Le PLQ était pourtant reconnu dans le passé pour sa redoutable « machine » sur le terrain, capable de mobiliser ses troupes partout au Québec et de gagner une élection.
Aujourd’hui, on cherche les bénévoles. Une vingtaine d’associations de comtés n’avaient pas de président. Dans certaines circonscriptions, le président avait plus de 80 ans. Quand elles existent encore, les associations de comtés ne prennent même plus la peine de se réunir. « Les troupes sont démotivées, démoralisées », résume une présidente d’association, qui constate l’exode des militants.
Signe additionnel de désorganisation, une dizaine de candidats manquaient à l’appel quand la campagne a débuté, du jamais vu.
Les personnes sondées blâment la cheffe pour ce cafouillage et veulent voir les têtes rouler, surtout celles de la directrice générale du parti, Julie Martel, de l’organisateur en chef, Jean-François Helms, et du responsable des communications, Jérémy Ghio, tous des gens choisis par la cheffe.
Le grenouillage a commencé
Les plus cyniques diront que l’avantage actuel de Mme Anglade réside dans le fait qu’on ne se bouscule pas au portillon pour lui succéder.
N’empêche que plusieurs ex-élus et ex-candidats prétendent que le grenouillage a débuté avant même la campagne électorale. Certains « ont commencé à faire des appels » en vue de démarrer la chasse au « sauveur » potentiel, assure un ex-ministre.
Si Mme Anglade avait démissionné le soir du scrutin, le député de La Fontaine, Marc Tanguay, se positionnait déjà pour prendre la relève dès le lendemain et assurer l’intérim, ont indiqué plusieurs sources.
Pour l’instant, peu de noms de « sauveurs » éventuels circulent. Le député André Fortin avait été pressenti la dernière fois, mais il avait décliné, pour des raisons familiales. La députée Marwah Rizqy, qui doit accoucher d’une journée à l’autre, avait elle aussi envisagé de se porter candidate, mais avait renoncé.