Les pieds dans la même bottine

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est un dictionnaire!

Chronique de Robert Laplante


Il faudra bien, un jour, réunir dans une anthologie tous ces morceaux qu'on nous assène de Commission Laurendeau-Dunton en Lac Meech, de colloque sur le nationalisme civique en pédant discours d'Ignatieff sans rien oublier de la morgue de Stéphane Dion ou des retours à l'essentiel de Gérard Bouchard.
Notre peuple est-il un peuple, formons-nous une nation acceptable, avons-nous vécu sans tare, pouvons-nous témoigner d'un parcours irréprochable, nos chefs ont-ils péché? Que nous faudra-t-il encore endurer pour avoir droit à la simple existence soumise des peuples tenus à la marge de leur propre histoire? Beaucoup d'inepties, sans aucun doute.
Nous en avons à pleines pages depuis que les inconditionnels du Canada s'agitent autour des empoignades que soulèvent les fumisteries d'Ignatieff pour semer ses adversaires dans la course au leadership du Parti libéral du Canada. Comme il fallait s'y attendre, ils sont de plus en plus nombreux les souverainistes à se laisser aspirer dans ce cirque et à faire la ronde des impuissants. Il s'en trouve encore pour se prendre au sérieux en faisant des pas-de-deux au rythme du hochet qu'agitent ceux-là qui veulent se soumettre sans rien recevoir des honneurs de la guerre et qui sont prêts à se contenter de n'importe quelle formule creuse pour mieux se grandir sous la carpette canadian. Les échanges entre Bernard Landry et Benoît Pelletier n'auront même pas suffi à faire déborder le vase.
Il en a rajouté à l'Assemblée nationale, le valeureux Pelletier. Une nouvelle ronde constitutionnelle serait inévitable... éventuellement. Dans la semaine des trois jeudis, quand le fruit sera mûr, selon l'expression de Jean Charest. Il faut être patient, paraît-il, parce que « le Québec ne peut pas se permettre d'autres échecs» (Le Devoir, 4 novembre) de conclure le preux chevalier sans nous dire pourquoi ce serait si grave. Parce que cela épuiserait le répertoire des alibis? Allons donc! Pour les inconditionnels, il n'y aura jamais rien de tel. Le destin du Québec, c'est de voguer d'échec en échec jusqu'au Canada final.
Nous avons donc eu droit aux savantes distillations sur le sens de la nuit des longs couteaux, qui n'en fut peut-être pas une, qu'il faudrait peut-être voir autrement qu'avec les yeux séparatistes, etc., etc. Cela nous a valu des pages et des pages de pisse-copie. Et cela va durer encore et encore. Tous nos «infodivertissants» pourront compter sur du matériel bon marché qui leur tombera d'abondance. On va faire semblant que c'est intéressant, tenter de se convaincre que ce sont là de vrais débats.
Cette manie du dialogue dans l'espace de l'oblitération dans lequel nous circonscrit le Canada est aussi vieille que notre lutte nationale. Il y a quelque chose d'aussi désolant que de prévisible à voir repartir les moulins à définition toutes les fois que le combat politique s'embrouille dans la conduite velléitaire des chefs, dans le suivisme des troupes et dans la fabrication des alibis pour ne pas se voir dans un rapport de forces désavantageux. Ainsi faut-il comprendre le nouvel intérêt que suscite le débat sur la nation à la veille d'un rendez-vous électoral que les deux partis souverainistes en lice ne veulent pas inscrire dans le combat pour l'indépendance. À défaut de pratiquer une lecture véritablement nationale de notre conjoncture, au lieu d'y mener une lutte reposant sur un cadre stratégique que nous définissons et contrôlons et à la place des actions de mobilisation qui permettraient de reprendre l'initiative, les partis se perdent dans les registres dilatoires où les tiennent médias et adversaires.
On comprend mieux l'attitude des politiciens de la petite politique à prétention souverainiste quand on voit le combat national gaspiller ses énergies à chercher le vent dans tous les courants d'air et à s'imaginer que c'est la brise du large qui souffle ainsi dans la chambre close de la pensée annexée. Le Canada ne nous nie jamais mieux que dans les discours et interrogations qu'il tient sur la reconnaissance de notre existence nationale. Il ne sert donc à rien de se forcer pour y voir autre chose qu'un leurre et une distraction. Faisons notre Histoire, il n'aura d'autre choix que d'en prendre acte.
Il est temps de sortir «des temples de paroles» dont parle Félix Leclerc. Nous n'avons à répondre d'aucune injonction, nous n'avons pas à répondre aux mises en demeure de décliner notre identité dans les termes que le Canada voudra bien agréer. Il ne faut pas laisser nos adversaires définir nos priorités et nous imposer leur langage. Pas plus qu'il ne faut laisser les politiciens prétendre que l'électoralisme à courte vue servira mieux notre cause en les laissant s'installer dans les rôles prévus pour la gouverne provinciale et la loyale Opposition de Sa Majesté. Il faut exiger qu'ils se comportent en acteurs nationaux et qu'ils témoignent de ce que nous sommes et de ce que nous voulons. Nous ne voulons pas qu'ils s'en expliquent et s'en justifient.
Notre peuple existe. Notre nation est empêchée. Et le premier des empêchements qui l'entravent réside dans cette inouïe propension à éviter de se poser dans l'adversité pour mieux se convaincre que les choses pourront advenir sans rupture. Piégés dans l'infernale mécanique du minoritaire, nos politiciens n'en finissent plus de la reproduire en fabriquant sans cesse des alibis pour mieux minimiser les pertes et laisser entendre que nous avons tout notre temps, que ce qu'il en coûte pour croupir dans ce Canada n'est jamais trop cher payer. On comprendra que les exercices de sémantique sur la nation ne servent qu'à soutenir le cours de la monnaie de singe pour acquitter les salaires de l'impuissance.
Il faudra bien, un jour, pratiquer l'indépendance d'esprit pour construire l'indépendance. Ceux qui ne font qu'en parler nous lassent. Surtout quand ils se tiennent le nez dans les dictionnaires pour mieux garder les pieds dans la même bottine.

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Robert Laplante173 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    8 novembre 2006

    Monsieur Laplante
    Je ne sais pas si nous avons les pieds dans la même bottine, mais nous cherchons, dans les différentes chapelles souverainistes ou dans celles qui hébergent des personnes qui prétendent l'être, à critiquer bien plus les bottines dont se chaussent les fédéralistes plutôt que de vérifier si les indépendantistes sont capables de marcher avec les bottines qu'ils portent.
    Depuis des décennies, les péquistes, les bloquistes, tous les autres «ismes» font la critique du système fédéraliste, mais ils sont incapables, à cause des visées électoralistes, de montrer le chemin qui mène à l'indépendantisme.
    Depuis des décennies, je prône la sortie des partis politiques pour mener à bien notre libération nationale. Le temps est venu de le faire. Et vite, car si vous voulez mon avis, ce n'est pas avec le jeune diplôme de Harvard qu'on va trouver le chemin pour arriver à bâtir le pays à faire. Et ce n'est pas non plus avec les égarés bloquistes qui s'incrustent à Ottawa, pour faire semblant de trouver le pays qu'ils pensent trouver, alors qu'ils passent leur temps à critiquer le régime qui les paient et les engraissent si bien, pensions à vie comprises.
    L'Inde a trouvé la libération de son peuple avec un leader nu. Le Timor oriental en a fait autant. Le Monténégro vient de nous faire la leçon. Comment expliquer qu'ici, au Québec, on soit incapable de trouver quelqu'un qui rassemble plutôt qui divise?
    Tout simplement parce que l'on croit que ceux qui sont en place pour réunir, utilisent exactement la tactique contraire: ils divisent eux-même entre purs et impurs, entre durs et mous, entre caribous et kangourous pour aller chercher dans les terrains marécageux et boueux, le nombre de votes pour leur donner un siège à Québec. Là-dessus, mon tiroir est plein d'exemples...
    Ou bien, on se détache de la petite politique pour en faire de la GRANDE, ou on se la ferme et on s'assimile. A votre disposition pour cet unique combat!
    Nestor Turcotte
    Matane
    418.566.2110

  • Bruno Deshaies Répondre

    7 novembre 2006

    Montréal, 7 novembre 2006
    Monsieur Laplante,
    Vous n'insisterez jamais assez pour mettre un terme à la logomachie québécoise qui concerne la souveraineté. De Facal à Landry en passant par Parizeau et Bouchard ou entre François Legault et Mario Dumont ou encore, Pierre-Marc Johnson et son frère Daniel et que dire de Ryan et Pelletier (Gérard ou Benoît), de Josée Legault et Denise Bombardier ou de Foglia et Pratte, la liste de noms devient interminable. En plus, les porte-parole du nationalisme québécois peuvent changer de camp comme ce très brillant hypocrite ou ce sépulcre blanchi qu'est notre « bon » québécois Stéphane Dion qui a préféré exercer ses « talents » à Ottawa plutôt qu'à Québec. Combien sont-ils dans ce style qui, comme Trudeau, estime que les Québécois devraient prendre leur place à Ottawa pour exercer leur influence. Finalement, ils sont tous aspirés par une autre majorité qui est canadian.
    Cela dit, il faut passer à autre chose. Il est plus urgent de chercher à unir le plus rapidement possible toutes les forces indépendantistes sous une seule bannière que de gaspiller son temps et de s'éparpiller en autant de subtilités sur la souveraineté du Québec qu'il y a de souverainistes ou de nationalistes. Le grand mouvement indépendantiste doit naître de l'union des pensées. Il faut une concertation autour d'une doctrine indépendantiste solide. Ce ne sont pas les études sur le fédéralisme et la démocratie qui vont nous faire avancer d'un iota dans la voie de la compréhension du principe de l'indépendance.
    Quelle démarche entreprendre ? Elle consisterait, par exemple, à réunir une première fois sous l'égide de L'Action nationale les chroniqueurs bénévoles au journal Internet de Vigile qui permettrait de mieux baliser le discours indépendantiste. Les indépendantistes québécois ne peuvent pas aller sur le front politique et national en rang dispersé et chacun dans sa bulle. Comme vous le dites vous-même : « ...quand on voit le combat national gaspiller ses énergies à chercher le vent dans tous les courants d'air », il devient grand temps de siffler la fin de la récréation des mots croisées et des recherches dans le dictionnaire ! L'indépendance, c'est plus qu'une définition, c'est pour les Québécois un objectif. Et qui dit objectif, dit ACTION. Pour l'action, il est nécessaire de faire naître un grand mouvement national qui sait de quoi il parle lorsqu'il traite de l'indépendance du Québec. Dans l'action, la parole sans l'acte est sans conséquence. C'est ce qui fait que le Québec tourne en rond, non seulement depuis plus de trente ans, mais depuis la Conquête.
    Bruno Deshaies