Commission Bastarache

Les premiers dérapages

Au rythme où vont les choses, elle passera à l’histoire pour son insignifiance

Chronique de Richard Le Hir

Comme le souligne aujourd’hui fort à propos Victor-Lévy Beaulieu dans son billet intitulé « Le petit jeu libéral – discréditer Marc Bellemare »,

« Par deux fois on a interdit à Monsieur Marc Bellemare de « déborder » du mandat de la Commission Bastarache en faisant allusion au financement des partis politiques, l’avocate de M. Jean Charest [du Gouvernement] faisant objection chaque fois. Or le procureur de la Commission, M. Battista, a questionné sans encombre Monsieur Bellemare sur le financement de sa campagne électorale à la mairie de Québec, ce qui « déborde » sans conteste ce fameux mandat de la Commission Bastarache qui ne doit faire la lumière que sur la nomination des juges ».

Par contre, la même avocate s’est immédiatement objectée à ce que Marc Bellemare évoque le financement du PLQ par l’industrie de la construction. Deux poids, deux mesures, et le président de la Commission, l’ex-juge Bastarache sait fort bien, justement que parce qu’il a déjà été juge, et à la Cour suprême par surcroît, que les règles d’équité dont il se trouve à être le garant à la tête de cette Commission l’obligent à protéger une partie qui n’est pas représentée par avocat.
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Voilà donc un premier exemple de dérapage auquel il faut ajouter celui de l’avocate du Gouvernement qui ne semble pas très bien comprendre qui est son client (le Gouvernement du Québec), et la délicate situation dans laquelle elle se trouve placée du fait de la double identité de son mandataire. En effet, le Gouvernement du Québec est d’abord une institution avant d’être le gouvernement de Jean Charest. L’avocate de ce gouvernement ne peut donc s’aventurer sur le terrain partisan, en soulevant par exemple, comme elle l’a fait, des questions sur les accointances politiques de qui que ce soit, sans sombrer dans le maccarthysme le plus primaire (Êtes-vous membre ou avez-vous déjà été membre du parti communiste ?).
Posées par les avocats du PLQ ou de Jean Charest, l’opprobre de ces questions rejaillirait sur leurs clients respectifs et non sur le Gouvernement du Québec.
Par ailleurs, comme le soulignent déjà plusieurs observateurs de la scène politique et non les moindres (André Pratte), la Commission Bastarache n’a désormais plus de raison d’être, le tribunal de l’opinion publique ayant déjà rendu son verdict. La lourdeur et les maladresses du contre-interrogatoire de Marc Bellemare aujourd’hui illustrent à la perfection le défi auquel la Commission et les avocats des diverses parties (toute identifiées à Jean Charest et au PLQ) sont désormais confrontés.
Qui plus est, la possibilité évoquée par certains que Marc Bellemare demande maintenant le statut de participant pour pouvoir être représenté devant la Commission par avocat a de quoi donner des sueurs froides à toute personne qui pourrait jusqu’ici avoir été tentée de profiter de son absence pour venir déverser son fiel devant la Commission sans crainte d’être malmenée en contre-interrogatoire, et Jean Charest est du nombre, ce qui rend son témoignage éventuel devant la Commission encore plus hypothétique. Quant à Franco Fava, gageons qu’il se montrera moins entreprenant, ce qui est toute une défaite pour un entrepreneur.
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Certains journalistes en mal de copie tentent encore de faire croire à leur public que la partie n’est pas jouée, et que Marc Bellemare peut encore perdre la face. Soit qu’ils sont franchement de mauvaise foi ou qu’ils ne connaissent pas la règle de droit que j’expliquais dans mon texte précédent (Tout repose sur la valeur probante du témoignage de Marc Bellemare) quant au caractère plus probant d’une affirmation qu’une chose s’est effectivement produite (l’invitation de Jean Charest à Marc Bellemare de ne rien divulguer sur la participation des argentiers du PLQ au processus de nomination des juges) que son contraire.
En fait, et comme je le soulignais dès le premier jour de la Commission, [la partie est jouée et Charest a perdu->29956]. Il ne lui reste plus qu’à prendre acte de sa défaite et à s’en aller. Malheureusement pour lui, ce ne sera pas sur la pointe des pieds mais avec pertes et fracas. Pour tenter d’éviter le pire (une commission d’enquête sur l’industrie de la construction), il a en effet aggravé sa situation en créant la Commission Bastarache. Non seulement celle-ci lui pète-t-elle au nez dès le premier jour, mais en plus sa simple existence soulève avec encore plus d’insistance la question de ce que Charest cherchait tant à cacher en la créant plutôt qu’en acceptant de faire la lumière sur les liens entre le pouvoir et l’industrie de la construction.
La vraie Commission reste à venir, et comme je l’écrivais il y a quelques jours en paraphrasant ironiquement feu Saddam Hussein, ce sera « la mère » de toutes les commissions. Ce jour-là, le PLQ mourra de sa belle mort.
En attendant, nous allons assister à l’agonie très rapide de la Commission Bastarache. Son maintien ne se justifie même plus pour tenter de sauver les apparences. Au rythme où vont les choses, cette commission passera à l’histoire pour son insignifiance, chose qui ne se serait pas produite si le bon commissaire s’était donné la peine de relire Les Fourberies de Scapin avant d’accepter son mandat. « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » http://www.site-moliere.com/pieces/scapi207.htm


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 septembre 2010

    La clique libérale fédéraliste est en déroute dans le moment. Leurs réseaux d'influence sont mis à mal.
    Ils sont si habitués de gagner qu'ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ils ont l'air de nous dire « ça ne se peut pas...»

  • Archives de Vigile Répondre

    1 septembre 2010


    La partie est effectivement jouée et le coach Charest l'a perdue. Mais son avocat Ryan a effectué une vicieuse mise en échec après le coup de sifflet, vraisemblablement avec l'accord ou à l'incitation du coach. «Une petite saloperie» (traduction libre), a dit l'avocat de Bellemarre. L'arbitre Bastarache a regardé passer ça avec la placidité d'une vache qui regarde passer un train. Il aurait dû faire ce que les arbitres font en pareil cas: expulser l'avocat de Charest. Il ne l'a pas fait. Pourquoi? Le niveau de bassesse de l'incident illustre bien dans quelles eaux nage Bastarache.

  • Archives de Vigile Répondre

    31 août 2010

    Si j'étais le premier ministre ayant déclenché une commission d'enquête, visant apparemment à faire la lumière sur un certain problème, et que d'autre part que j'étais foncièrement convaincu de n'avoir absolument rien à me reprocher, alors je demanderai sans la moindre hésitation de comparaitre devant cette commission d'enquête que j'ai déclenché en étant littéralement branché sur le polygraphe: mais pourquoi donc me demanderaient mes principaux conseillers?
    Pour convaincre le juge nommé à la tête de cette commission d’enquête que je suis blanc de tout soupçon par rapport à ce que le principal témoin a soulevé durant son témoignage? Non. Car je sais dans mon fort intérieur que peu importe ce que va dire le rapport de ce juge, que l’opinion publique elle, a déjà forgé son jugement, et que la seule chose qui pourrait me sauver la face est un polygraphe venant révéler à la face de cette opinion publique que j’affirme la vérité, totalement ou entièrement sans faux-fuyant dans toute cette histoire face au principal témoin.
    Malheureusement je ne suis pas le premier ministre : je ne suis que le pauvre « con »tribuable obligé d’assister à toute cette mascarade qui ne fera jamais la lumière sur les vérités que je voudrais voir apparaître en pleine lumière. Alors je vois ce système démocratique que j’affectionne tant être vicié par des gens sans scrupules à l’égard de que ce système à de plus cher et de plus précieux : le noble service du peuple et désintéressé de tout intérêt personnel.
    Devant tout cela il ne me vient qu’une seule pensée à l’esprit, et c’est le mot de Camus : « Il y a de quoi en avoir la nausée ». Demandez-moi si j’ai encore envie de refaire un jour de la politique devant autant de théâtre, de saleté et de pestilence?
    J'ignore pourquoi, mais j'ai soudainement envie d'écouter l'Alouette en colère de Félix!
    Normand Perry
    De Soulanges au Québec.

  • Archives de Vigile Répondre

    31 août 2010

    Jer vous réitère mon commentaire de l'autre jour : attendons encore un peu, monsieur Le Hir. On a vu ce midi par les courriels choisis par les gens de RDI que le rouleau compresseur est en marche (cinq pour le doute et zéro contre, ce qui est le contraire des courriels d'hier. À mon avis, il y a eu une directive qui a été émise, les gens ne changent pas d'idée pour si peu. Il est clair que Radio-Can, Gesca et toute la machine à pub fédérale est maintenant sur un pied de guerre.
    Alors attendons la fin parce que si on s'emballe trop vite, tout ça va se retourner contre nous et je comprends madame Marois de s'abstenir de tout commentaire présentement.
    Réjouissons-nous donc intérieurement pour l'instant.En tous les cas moi, j'adore le show et je réserve mes commentaires pour la fin, à la sortie du théâtre...
    André Vincent

  • @ Richard Le Hir Répondre

    31 août 2010

    Trois choses rapides à rajouter...
    1. Hier, Marc Bellemare a « mouillé » Jean-Marc Fournier, ce qui ne serait peut-être pas arrivé si Fournier n’avait plus été « dans le portrait ». Hélas pour lui et pour Jean Charest, son retour au poste de leader du gouvernement en chambre le place directement sur la ligne de feu de l’Opposition.
    En effet, Jean-Marc Fournier aurait moussé une candidature pour un poste de juge qui aurait été rejetée pour des motifs de « sécurité ». La Commission Bastarache est désormais tenue de convoquer Jean-Marc Fournier pour qu’il s’explique sur son intervention. De quelle candidature s’agissait-il donc, et quels étaient les motifs de son rejet ? Notons qu’il doit s’agir d’un motif grave, donc de liens présumés avec des activités à caractère criminel. La construction ?
    Ce nouveau développement démontre que l’idée du « strip-poker » que j’évoquais dans mon article sur la Commission est bel et bien confirmée. À chaque nouvelle comparution devant la Commission, Marc Bellemare trouve le moyen de lever le voile sur un nouvel aspect de ce scandale.
    2. Le contre-interrogatoire de ce matin par l’avocate du Gouvernement du Québec s’est révélé désastreux pour le Gouvernement. Bellemare a été en mesure d’expliquer que les jeux étaient faits avant même l’étude des dossiers. Qui plus est, l’avocate s’est faite rappeler par un des avocats présents et le Commissaire Bastarache de s’en tenir à représenter le Gouvernement du Québec et de ne pas faire de commentaires partisans, ce qui confirme ce que vient confirmer ce que j’écrivais plus haut.
    Non seulement Bellemare a-t-il été capable de revenir sur son témoignage incriminant de la semaine dernière, mais l’avocate du Gouvernement s’est trouvée très imprudemment à lire elle-même une des phrases les plus éloquentes de son témoignage. C’est ce qui s’appelle tirer dans son propre filet.
    3. Le Commissaire Bastarache avait peine à dissimuler ce matin l’embarras devant lequel se trouve sa Commission. Il réalise maintenant qu’il n’aura plus d’autre choix, si les travaux de sa Commission se poursuivent jusqu’à terme (et c’est désormais un gros « si »), de condamner les pratiques du Gouvernement qu’il l’a nommé.