"Les Québécois" - Marcel Rioux

Livres-revues-arts 2011



Compte rendu par Luc Turgeon - Ouvrage destiné d'abord à un public français, Les Québécois, de Marcel Rioux, explore différents aspects de la psychologie collective des Québécois francophones, de même que leur enracinement sur le continent nord-américain. Il touche à des sujets aussi différents que la langue parlée, le climat québécois ou encore la tradition orale québécoise. Publiée dans une collection qui explore différentes civilisations (Gaulois, Incas, Byzantins), l'étude ethnographique de Rioux « fait un long détour dans le passé pour tenter de montrer comment cette ethnie s'est constituée dans une vie étale et obscure dont l'histoire des peuples n'a presque rien retenu. » (p. 149)

L'ouvrage présente certains des concepts et des thèses qui ont fait de Rioux l'un des plus importants sociologues québécois de sa génération : le Québec comme société globale, la Révolution tranquille comme idéologie de rattrapage et de changement, et le Québec comme société en état quasi-perpétuel de dépendance. Le passage de la colonisation politique (anglaise) à la colonisation économique (américaine), élément central de la pensée de Rioux, constitue d'ailleurs une constante de la trame historique qu'il présente. Il affirme ainsi en conclusion de l'ouvrage, à propos des transformations survenues lors des années 1960 avec la Révolution tranquille, que « prendre conscience, d'abord à l'intérieur du Canada, de leur état de dominé et de colonisé, a été pour les Québécois, au cours de ces 10 dernières années, une première étape, à partir de laquelle ils sont maintenant à même de remonter aux causes plus profondes de leur subordination, (sic) à savoir l'impérialisme américain et le système capitaliste mondial dont les États-Unis sont le chef d'orchestre et dans lequel le Québec joue le rôle de troisième violon. » (p. 166) Malgré la diversité des thèmes abordés par Rioux, trois retiennent particulièrement son attention : les thèmes de la survivance, du retard et de la figure de l'autre (le Canadien anglais).


Le combat pour la survivance est, dans un premier temps, celui du colon français qui doit faire face à la rigueur de l'hiver canadien. Cette bataille permanente contre les éléments de la nature influence non seulement le mode d'insertion des Québécois sur le continent nord-américain et leur diète, mais également leur sens de l'humour. Pour le Québécois, selon Rioux,

« Il faut vivre quand même et l'apitoiement sur soi-même ne mène nulle part et menace de briser la volonté de ceux qui ont décidé de durer, de continuer, malgré les obstacles. C'est pourquoi chez lui le rire n'est jamais loin des pleurs et son humour est avant tout une résistance et une défense contre lui-même d'abord et contre son milieu. » (p. 62)


Dans un deuxième temps, le combat pour la survivance est celui pour le maintien sur le continent américain d'un peuple d'expression française, en particulier à la suite de l'échec des rébellions de 1837-38. Dans ce combat, les Québécois bénéficient de l'appui d'un clergé catholique soucieux de maintenir sa présence en terre d'Amérique.

Cette place prédominante de l'Église catholique dans l'organisation de la vie sociale québécoise est, à plusieurs égards selon Rioux, responsable du retard des Québécois par rapport au reste de l'Amérique du Nord avant 1960. Retard culturel d'abord, dans la mesure où les Québécois, retranchés dans leur campagne, maintenus dans la société traditionnelle par l'idéologie clérico-conservatrice, sont étrangers à la vie moderne et industrielle du reste de l'Amérique. Retard économique ensuite, puisque le capital anglophone contribue à maintenir les Québécois dans un état d'infériorité économique. C'est dans cette perspective que la Révolution tranquille constitue un moment majeur de l'histoire du Québec, puisqu'elle permet aux Québécois de reprendre en main leur histoire et leur développement. Les Québécois, selon Rioux, passent ainsi de l'idéologie de la survivance à l'idéologie du changement.

La Révolution tranquille ne constitue pas seulement une période de manifestations spectaculaires de contestation sociale et de libération nationale. Plus que tout autre chose, cette période marque une transformation majeure de la personnalité des Québécois. Rioux contraste la personnalité des Québécois francophones, qu'il qualifie de peuple dionysiaque en opposition au peuple apollinien que sont les Anglo-Saxons, peuple réputé pour son flegme et sa maîtrise de lui-même. Le contact avec ce peuple apollinien, dominant l'industrie comme la politique, aurait mené selon Rioux à une certaine
« dépossession de soi », puisque le dominé en serait venu à vouloir imiter les comportements du dominant. La Révolution tranquille aurait cependant permis au Québécois de renouer avec sa nature profonde. Selon Rioux, « il semble bien qu'il s'est assumé et qu'il ose se manifester tel qu'il est profondément, c'est-à-dire exubérant, chaleureux, expansif, en un mot : "chaud". » (p. 94)


Certains des passages du livre apparaîtront comme fortement caricaturaux aux yeux du lecteur, en particulier certains passages sur les différences entre Québécois francophones et anglophones. L'étude des « caractères nationaux » a été vivement critiquée depuis plusieurs années par de nombreux spécialistes des sciences sociales. Au Québec, l'école révisionniste en histoire a de plus fortement remis en question au cours des deux dernières décennies le fait que le Québec ait été considérablement en retard sur le reste de l'Amérique du Nord. Le livre de Rioux a tout de même le grand mérite d'analyser la question du Québec non pas seulement dans sa dimension politique, comme de nombreux ouvrages, mais également dans ses manifestations quotidiennes.

Note(s) de référence :
1 RIOUX, Marcel, Les Québécois, Paris, Éditions du Seuil, 1974.


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