Les raisons de la colère

Pour contourner l’omerta des maîtres censeurs, il faut lire Michaud plutôt que lire ce qu’on écrit sur lui.

Recensement 2006 - Langue française


Pour les commentateurs politiques qui sévissent dans nos quotidiens, Yves Michaud est le représentant d’une vieille garde revancharde au Parti québécois, les purs et durs, nationalistes aux penchants ethniques, réactionnaires, souvent intolérants, obsédés par la question linguistique, qu’il faudrait chasser pour faire place aux nouveaux souverainistes, modernes et cosmopolites, urbains et métissés.
Mais pour l’homme de culture, Yves Michaud est un patriote à l’ancienne qui cultive les vieilles vertus nationales et lutte pour l’indépendance de son peuple. Pour contourner l’omerta des maîtres censeurs, il faut lire Michaud plutôt que lire ce qu’on écrit sur lui. À la manière d’Olivar Asselin, l’homme a beaucoup écrit, surtout des articles et des conférences, mais peu de livres. Il a rassemblé dans Les raisons de la colère plusieurs de ses écrits du dernier demi-siècle. On y retrouve un homme libre qui, à travers le journalisme, la politique active, le militantisme ou la diplomatie, a servi les intérêts du Québec avec ou sans l’accord des élites en place et des modes intellectuelles qui font du nationalisme une doctrine périmée plutôt qu’une vertu politique indispensable au bon gouvernement des hommes. Éditoriaux, articles, conférences, lettres personnelles, la matière est touffue et la culture de l’auteur apparaît pour ce qu’elle est : authentique, riche, profonde, travaillée par la lecture des grandes oeuvres de l’intelligence occidentale.
Les raisons de la colère est divisé en cinq chapitres, « L’Affaire Michaud », « Le journaliste », « Le député et le diplomate », « Robin des banques » et « Le militant ». Les premiers textes sont parus dans Le Clairon de Saint-Hyacinthe, les derniers nous sont contemporains. Les autres s’étalent sur cinquante ans de vie active. On y suit le parcours de Michaud, journaliste, député, fondateur du Jour, délégué général du Québec à Paris, militant indépendantiste, défenseur de la langue française et aujourd’hui critique d’un certain capitalisme qu’il croit ennemi de la richesse des nations. Michaud pose les questions qu’il faut à son temps et suit le peuple québécois dans son évolution, quelquefois avec un peu de retard, d’autres fois en le précédant. Le fait mérite d’être relevé. Sans être tardive, la conversion de Michaud à l’indépendance n’est ni précoce, ni spontanée. Il n’est pas des premiers indépendantistes et vote encore pour le Parti libéral de Robert Bourassa en 1970 en accusant les séparatistes de conduire le Québec à la « catastrophe nationale ». Il garde une certaine défiance envers le nationalisme intégral - encore en 68, Michaud affirme n’avoir jamais été un « nationaliste d’école » et se permet contre eux quelques flèches en précisant qu’il n’est « pas issu des milieux qui ont longtemps véhiculé chez nous le nationalisme classique ou traditionnel dont les figures de proue étaient Bourassa, le chanoine Groulx et un peu plus tard le journaliste André Laurendeau » (p.150). Et s’il rejoint, au tournant des années 70, les partisans de l’indépendance, c’est parce qu’il accède à la conviction que c’est l’avenir même du fait français en Amérique qui est menacé au sein des frontières canadiennes.
Ceux qui connaissent un peu l’histoire de l’affirmation linguistique québécoise savent le rôle exemplaire de Michaud dans la résistance au Bill 63 du gouvernement Bertrand. Michaud est appelé à jouer dans une nouvelle pièce : il sait quel rôle il y tiendra ; celui d’un gardien de la langue et de l’intégrité du combat souverainiste. Pendant longtemps, il sert le mouvement en participant toujours assez directement à sa direction politique - Michaud n’est pas éloigné du pouvoir péquiste. Au tournant des années 2000, son engagement national prend une nouvelle dimension suite à la conversion en masse des élites souverainistes au multiculturalisme. La délirante Affaire Michaud servira de révélateur de ce nouvel état d’esprit. Michaud n’était pas un nationaliste d’école ; il l’est devenu, et incarne de ce fait ce qu’il y a de mieux dans la lutte pour l’indépendance. Il s’approprie Groulx, dénonce l’amnésie volontaire des nouveaux souverainistes, et se fait professeur d’énergie nationale. Pour cela, il passe désormais pour un pur et dur. En fait, s’il détonne dans l’espace médiatique, c’est parce qu’il refuse de congédier la mémoire et les prétentions légitimes de la majorité historique française. La désertion passe généralement pour une marque de lucidité sur un champ de bataille que même les généraux ont fait le pari d’abandonner. Michaud n’est pas de cette pâte molle dont sont faits les hommes d’aujourd’hui. Clémenceau aimait rappeler que « dans la guerre comme dans la paix, le dernier mot est à ceux qui ne se rendent jamais ». Michaud refuse de renoncer à la lutte nationale, et particulièrement au combat linguistique. Michaud est un résistant. Dans un petit texte qui date de 2004, le militant nationaliste proposera une image positive de l’aile la plus militante du Parti québécois.
« Pendant ces années de déliquescence, il fallait bien que des purs et durs gardent la vieille maison de l’indépendance. Ils ont été honnis, conspués, le sont toujours par une majorité muette et obéissante aux diktats de l’appareil du Parti. Certains ont quitté la scène, emportant avec eux leur rêve évanoui. D’autres restent, humiliés et offensés, espérant contre toute attente que le peuple deviendra enfin maître en sa demeure. Le temps passe. Plusieurs sont morts dans un pays inachevé. Comme porteurs de mémoires nous leur devons d’avoir travaillé à une grande oeuvre. L’histoire retiendra qu’ils auront labouré les champs de l’avenir ».
À sa manière, Yves Michaud donne l’impression d’être un vieux gaulliste contemporain de la résistance, compagnon de la Libération, qui appelle les siens au redressement parce qu’il voit sa patrie s’affaler. « J’irai jusque dans la désespérance pour apporter ma contribution, si modeste soit-elle, au lever du jour où le Québec entrera dans l’Histoire par la grande porte de l’indépendance » (p.349). Au moment de l’Affaire qui porte son nom, le compagnon Michaud invitait les souverainistes à « faire barrage aux tentatives suicidaires de renouvellement d’un discours souverainiste prêchant l’entrée dans l’ère du vide et du déracinement, rapetissant ainsi la société québécoise à une atomisation de citoyens férocement individualistes et n’ayant d’autres raisons de vivre que d’assouvir leur rage de consommation » (p.36). On ne peut faire la souveraineté au nom d’un peuple qu’on refuse de nommer. Michaud empêche la conscience nationale de s’assoupir. « L’aspiration à la souveraineté se transmet de génération en génération, l’une molle, l’autre indifférente, la suivante conquérante » (p.357). Il y a derrière le mouvement souverainiste contemporain deux siècles et demi d’histoire. Or, pour que cette aspiration ne s’éclipse pas pour la prochaine génération, il faut d’urgence rénover les idées nationales et réinvestir le discours souverainiste du souffle qui traverse la conscience historique francophone. C’est au nom du passé, comme le disait De Gaulle, que Michaud plaide pour un État français indépendant.
J’ai des certitudes profondes et tranquilles qui me viennent du fond de notre histoire et la mémoire toujours présente de ceux et celles qui ont fait fleurir, ici, un îlot de civilisation de langue française dans l’immense océan anglo-saxon. Ma parole n’est que l’écho et le prolongement de la leur. Elle gêne, dérange, provoque, irrite, choque, les tenants de la bien-pensance et de la rectitude politique (p.347).
Pour faire l’indépendance d’un peuple, il faut l’inviter à se dépasser en lui parlant le langage de l’histoire et non de la comptabilité, du nationalisme et non du multiculturalisme. Qu’on le veuille ou non, Michaud est un des seuls aujourd’hui à tenir un tel langage dans le mouvement souverainiste.
Avouons-le : nous aimons Yves Michaud. Bernanos, dans son Journal d’un curé de campagne, se désolait des ravages du monde moderne sur la rudesse des hommes et leur force de caractère.
Je me demande ce que vous avez dans les veines aujourd’hui, vous autres jeunes prêtres ! De mon temps, on formait des hommes d’Église - ne froncez pas les sourcils, vous me donnez envie de vous calotter - oui, des hommes d’Église, prenez le mot comme vous voudrez, des chefs de paroisse, des maîtres, quoi, des hommes de gouvernement. Ça vous tenait un pays, ces gens-là, rien qu’en haussant le menton. Oh ! je sais ce que vous allez me dire : ils mangeaient bien, buvaient de même, et ne crachaient pas sur les cartes. D’accord ! Quand on prend convenablement son travail, on le fait vite et bien, il vous reste des loisirs et c’est tant mieux pour tout le monde. Maintenant les séminaires nous envoient des enfants de coeur, des petits va-nu-pieds qui s’imaginent travailler plus que personne parce qu’ils ne viennent à bout de rien. Ça pleurniche au lieu de commander. Ça lit des tas de livres et ça n’a jamais été fichu de comprendre - de comprendre, vous m’entendez !- la parabole de l’Époux et de l’Épouse.
Bernanos voyait juste. On peut méditer son propos en remarquant la médiocrité croissante des hommes appelés au service public. La récente course à la chefferie en a donné souvent l’exemple. Le monde moderne peine à produire des hommes - il fabrique en série des personnes qui cherchent à s’épanouir. Yves Michaud, et c’est à son honneur, nous parle à la manière d’un représentant du vieux monde avec l’assurance, la confiance, la solidité d’un homme droit qui n’entend pas se soumettre
Michaud aime se dire jaurésien. Créditons-le d’une telle filiation même si les jaurésiens sont rares aujourd’hui sur la rive gauche du monde des idées politiques. Jaurès avait toutefois compris l’essentiel : la nation est le seul bien des pauvres. C’est parce qu’elle donne aux hommes l’appartenance à un monde commun avec les obligations qui le fondent que la nation est le véritable ciment de l’amitié humaine. Mais pour la plupart des esthètes cosmopolites, la patrie est un horizon étroit, une pièce trop petite qui rend claustrophobe. Pour les apôtres du mondialisme, appartenir à un peuple est une contrainte fâcheuse dont le progrès saura les délivrer. En 1940, c’est Drieu qui faisait moderne et De Gaulle passait pour ringard. Passons pour démodés avec le compagnon Michaud.
On pourra bien rebâtir la tour de Babel. Elle finira toujours par s’effondrer.
Mathieu Bock-Côté
L’ACTION NATIONALE. Novembre-Décembre 2005. p. 190-196


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