Les sauvages

Si les Mia Farrow de ce monde réussissent à nous arracher une larme en dénonçant la triste réalité du Darfour, il faut espérer que le film de Desjardins saura percer, lui aussi, le mur de notre indifférence.

17. Actualité archives 2007


Dans L'erreur boréale, le chanteur Richard Desjardins dénonçait la coupe à blanc dans la forêt québécoise. Le documentariste engagé récidive ces jours-ci avec un autre film coup de poing, Le peuple invisible, qui décrit la dure réalité des Algonquins - les Anishnabe - du Québec. Cette fois-ci, les arbres sont debout, bien droits. Ce sont les Indiens qui sont par terre.


Au cours des dernières années, le poète et son complice, le réalisateur Robert Monderie, ont promené leur caméra chez leurs «voisins», dans les villages indiens de l'Abitibi et du Témiscamingue. Au Québec, il y a environ 10 000 Algonquins qui comptent parmi les plus pauvres de tous les peuples autochtones. Contrairement aux Cris, ils n'ont toujours pas bénéficié d'une entente avec le gouvernement qui aurait pu leur garantir une meilleure santé financière.
Résultat: quelque chose qui ressemble au tiers-monde.
En un peu plus de 90 minutes, l'auteur de Nataq nous résume la triste histoire des 200 dernières années de ce peuple qui, au fil des ans, a perdu ses repères et sa dignité. Une vision beaucoup plus hard que ce qu'apprennent les enfants sur les bancs d'école. Desjardins nous rappelle comment les gouvernements fédéral et provincial se sont approprié leur territoire, comment les oblats ont participé à leur assimilation à la culture canadienne-française à coup de strap et d'agressions sexuelles. Ils nous font découvrir une communauté aujourd'hui ravagée par le désoeuvrement, la drogue et la violence. Par le manque d'espoir aussi. La situation des enfants est révoltante, il n'y a pas d'autres mots.
Le danger avec ce genre de film, c'est qu'il ne suscite qu'émotion et culpabilité, deux réactions qui contribuent habituellement au sentiment d'impuissance.
Heureusement, le film de Desjardins ne tombe pas dans ce piège car il parle d'abord de responsabilité. Celle des Blancs, bien sûr, car on ne peut la nier. Mais aussi celle des autochtones. Les aînés le reconnaissent, les Algonquins devront se prendre en main s'ils veulent s'extirper de leur misère. Cela dit, attention! On peut bien prôner la responsabilité, encore faut-il qu'on soit outillé pour l'assumer. Quand on a coupé les jambes d'un homme, on ne doit pas s'attendre à ce qu'il réapprenne à marcher seul. Malgré tout, cette responsabilisation est possible comme nous l'illustre Desjardins en nous présentant la réserve de Kitigan Zibi, à Maniwaki, où les Algonquins contrôlent désormais leur activité économique. L'autonomie demeure encore le meilleur remède contre la perte d'estime de soi.
Il y a deux semaines, Montréal accueillait le Sommet du millénaire, un événement caritatif d'envergure internationale réunissant certains des porte-parole les plus audibles de la cause des enfants dans le monde. L'an prochain, l'organisateur Daniel Germain devra ajouter le nom de Richard Desjardins à sa liste d'invités. Ou mieux encore, celui d'un leader algonquin. Car leur situation n'a rien à envier à celle de l'Afrique sur le plan de la misère humaine. Une situation d'autant plus absurde qu'elle se déroule à quelques kilomètres de nous, dans une société d'abondance.
Si les Mia Farrow de ce monde réussissent à nous arracher une larme en dénonçant la triste réalité du Darfour, il faut espérer que le film de Desjardins saura percer, lui aussi, le mur de notre indifférence.
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