Les soldats de paille

pourquoi la classe moyenne appuie-t-elle des mesures qui vont à l’encontre de ses propres intérêts ?

La Dépossession tranquille


Par lutopium – Samedi le 23 octobre 2010 : quelques centaines de québécois participent aujourd’hui à la première rencontre organisée par le Réseau Liberté-Québec. Suite à de nombreux échanges sur les réseaux sociaux virtuels et après avoir écouté ou lu religieusement Joanne Marcotte et Éric Duhaime sur les ondes des radios-poubelles, du Canal V et du Journal de Québec ; les orphelins de la droite politique québécoise auront l’opportunité d’entendre les grands ténors (…) du conservatisme fiscal canayen.
Depuis quelques semaines et, surtout, suite à l’arrivée surprenante d’un François Legault annonçant le retour malhabile des lucides de la deuxième génération, ceux qui suivent l’actualité politique se demandent si ces orphelins désirent fonder un nouveau parti politique ou simplement se donner un espace de discussion qui pourra influencer le discours politique. On sait très bien qu’il n’est pas facile de lancer une nouvelle formation qui serait en mesure de présenter 125 candidats aux prochaines élections générales. C’est un autre mystère qui entoure la vieille capitale aujourd’hui : quelles sont les réelles ambitions des fondateurs du RLQ ?
Évidemment, Gérard Deltell et Maxime Bernier tenteront de récupérer la sympathie des participants afin de donner un nouveau souffle à l’ADQ et au Parti Conservateur. C’est évident, les deux formations politiques jouissent d’une sympathie exceptionnelle dans la grande région de Québec. Cependant, ils savent fort bien que la popularité est éphémère et que les citoyens de la vieille capitale hésitent aujourd’hui entre la réduction de la taille de l’état et le financement public d’un gros aréna qui permetrait le retour du hockey professionnel. Lors d’une entrevue à la méchante gauchiste Radio-Canada, un des fondateurs du RLQ a déclaré que leur objectif était de créer un laboratoire d’idées (think tank) similaire au Manning Centre. Bon, ça nous donne une piste afin de mieux comprendre ce qu’ils aimeraient faire au cours des prochains mois. D’ailleurs, le Manning Centre y sera représenté par Tasha Kheiriddin qui ne ratera certainement l’occasion de faire la promotion des services de cette organisation.
Un centre de méninges
En regardant d’un peu plus près la mission du Manning Centre, on comprend qu’il s’agit d’abord et avant tout d’une école de formation pour conservateurs convaincus, mais malhabiles dans la diffusion de leurs idées. Fondé par le réformiste Preston Manning, le centre offre une multitude de services afin de permettre aux militants de la droite canadienne de parfaire le discours néolibéral en utilisant de grands principes accrocheurs. Pas question ici de présenter des propositions concrètes qui pourraient ébranler le sentiment de solidarité des canadiens. On cherche plutôt à poser des constats sur tout et n’importe quoi tout en tissant des liens un peu tordus entre de grands principes philosophiques et des pistes de solutions ambiguës. Leur grande trouvaille, inspirée par le mouvement libertarien, cherche à convaincre les citoyens qu’ils ne sont pas réellement libres et qu’ils sont irresponsables.
Grâce à une savante utilisation de paralogismes et de fausses analogies (voir Normand Baillargeon), les militants devenus disciples réussiront à convaincre les citoyens que l’offre unique en soins de santé brime leurs libertés fondamentales, justifiant ainsi la privatisation et la concurrence. Cette maîtrise de la fourberie mentale, permettra également aux diplômés du Manning Centre de suggérer la disparition des services sociaux, en prétendant que ses bénéficiaires sont des paresseux et qu’il n’est aucunement question que les impôts puissent servir à les supporter, préférant croire que les organismes de charité sont plus efficaces que les services publics. Et il en va de même pour l’éducation, les services municipaux, etc…
Vous comprendrez que pour fonder un nouveau laboratoire d’idées conservatrices, ça prend du pognon. Il est difficile de croire qu’un nouvel organisme de charité, dont la mission première est de former des évangélisateurs politiques, puisse facilement trouver des sources de financement afin d’assurer ses opérations quotidiennes. Cependant, si les liens se tissent entre le RLQ et l’establishment québécois, la pression augmentera d’un cran. Alors, quels sont les joueurs économiques qui pourraient être gagnants si ces idées font leur petit bout de chemin ? On pourrait penser à Power Corporation, intéressée par la privatisation des services municipaux (Suez) ou par le démantèlement de la Régie de l’assurance-maladie (London Life). Ou encore à la Banque Nationale et le Mouvement Desjardins qui pourraient augmenter leurs revenus si la Société de l’assurance-automobile retournerait du côté du privé. Évidemment, l’empire Quebecor n’aurait plus à compétionner contre Radio-Canada si elle ne pouvait plus compter sur son financement public. Et pourquoi pas Couche Tard, qui pourrait gonfler ses coffres si on lui offrait la Société des Alcools ? Et Gaz Métropolitain et l’albertaine Enbridge qui seraient ravies de prendre quelques actions d’Hydro-Québec…
Pas facile pour les gens d’affaires de créer de nouvelles opportunités d’affaires ou d’exporter leurs marchandises vers l’étranger par les temps qui courent. Il m’apparaît donc évident que mettre le grappin sur le patrimoine public est une opportunité en or pour les membres des chambres de commerce et commanditaires de l’Institut Économique de Montréal.
En croyant faire la promotion de beaux principes, nos soldats de paille deviennent les nouveaux ambassadeurs de l’establishment. Aveuglés par des concepts abstraits et incapables de prouver que leurs propositions seraient bénéfiques pour l’ensemble de la population, ils deviennent des complices de premier plan dans le démantèlement de l’état et l’appauvrissement de la collectivité. On a qu’à regarder ce que les conservateurs britanniques feront subir à la population. D’un côté on donne aux banques et aux très riches et, de l’autre, on enlève tout aux pauvres et à la classe moyenne. Comme le demandait pertinemment Thomas Frank : mais pourquoi la classe moyenne appuie-t-elle des mesures qui vont à l’encontre de ses propres intérêts ?
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