La secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Michaëlle Jean, a dépensé un demi-million de dollars de fonds publics pour aménager la résidence officielle louée pour elle à Paris.
Cette somme a servi à l’achat d’équipement et à des travaux dans l’appartement de fonction qu’elle habite depuis deux ans, indiquent des documents obtenus par notre Bureau d’enquête. La résidence est située dans le prestigieux 7e arrondissement de la Ville Lumière, près de la tour Eiffel.
Pourtant, le locataire des trois années précédant la venue de Mme Jean, l’ex-ambassadeur canadien à l’UNESCO, Jean-Pierre Blackburn, juge que l’état des lieux était relativement bon malgré quelques problèmes d’eau chaude et de climatisation.
«Dire que c’est en mauvais état serait exagéré», affirme-t-il.
L’appartement de trois chambres à coucher, dont il estime la superficie à près de 3000 pieds carrés, est situé à un endroit «extraordinaire».
«C’est beau, là», dit M. Blackburn, qui est aujourd’hui candidat à la mairie de Saguenay.
Fonds publics
L’OIF est financé par 84 États et reçoit des contributions obligatoires de 15 M$ du Canada et de 1,5 M$ du Québec chaque année. L’organisme ne publie pas les dépenses de sa dirigeante. C’est une source dont nous préservons l’anonymat qui nous les a fournies.
En entrevue, le numéro deux de l’OIF, Adama Ouane, estime que l'appartement de fonction ne correspondait pas aux normes attendues.
L’organisation a l’obligation «de loger les secrétaires généraux dans des conditions dues à leur statut», explique celui qui porte le titre d’administrateur de l’OIF.
M. Ouane a une opinion différente de celle de M. Blackburn sur l’état des lieux avant l’arrivée de Michaëlle Jean. «L’appartement n’était pas habitable», dit-il.
Mme Jean a refusé d’accorder une entrevue sur le sujet.
Piano à 20 000$
Un porte-parole de l’OIF, Bertin Leblanc, indique que les travaux avaient pour but de faire de la résidence officielle un lieu permettant également «la tenue d’événements publics». Il précise que le processus a été mené «dans un souci d’économie et de réduction des coûts».
Mme Jean, ex-gouverneure générale du Canada, a pris ses fonctions à la tête de l’OIF au début de 2015, après avoir été élue lors d’un sommet des chefs d’États et de gouvernements francophones à Dakar.
Ce n’est pas la première fois que ses dépenses font la manchette. En avril 2016, le journal français L’Opinion révélait que la dirigeante s’était fait payer un piano à queue d’environ 20 000 $ par l’Organisation.
Sa résidence officielle est louée par l’OIF au coût annuel de 103 000 euros, soit environ 13 000 $ par mois.
L’aménagement de la résidence officielle
Dépenses totales en 2015-2016 | 500 000 $*
Électricité, plomberie, maçonnerie, pose de parquet, peinture 320 000 $
Mobilier neuf 75 000 $
Installation informatique, connexion internet et sécurisation du système 57 000 $
Rachat de meubles déjà dans l’appartement 27 000 $
Achat d’un piano 20 000 $
*Tous les montants en euros ont été convertis à un taux moyen en dollars canadiens.
Aucune garantie de récupérer l’argent
La Francophonie n’a aucune garantie de récupérer le demi-million investi dans l’appartement de fonction de Michaëlle Jean, puisqu’elle n’est que locataire et non propriétaire des lieux.
«La garantie, je ne l’ai pas», admet dans une entrevue l’administrateur de l’OIF, Adama Ouane.
L’appart du fédéral
C’est le gouvernement canadien qui possède l’appartement situé à quelques pas du siège de l'OIF, à Paris. Il s’en servait avant pour loger son ambassadeur à l’UNESCO.
M. Ouane a bon espoir que l’OIF réussira à éviter de perdre les sommes placées.
«Je ne pense pas que ce que nous avons investi est à perte, parce que nous avions l’accord du gouvernement [du Canada] pour les travaux.»
Au moment où les rénos ont été commencées, l’OIF espérait pouvoir acheter l’appartement. «Les possibilités d’entrer dans une négociation d’acquisition nous ont emmenés à investir dans cet appartement pour le mettre à niveau», a dit l’administrateur.
Mais l’élection du nouveau gouvernement fédéral dirigé par Justin Trudeau, en 2015, a changé la donne.
«C’est resté bloqué, au point mort», dit M. Ouane.
Une porte-parole du ministère canadien des Affaires mondiales, Jocelyn Sweet a déclaré à notre Bureau d’enquête qu’«aucune décision n’a été prise sur la vente de la propriété».
L’OIF en bref
Nombre d’États ou de gouvernements membres de plein droit 54
Budget 2017 | 107 millions $*
Contributions statutaires (obligatoires) prévues en 2017
59 millions $
Canada 15 millions $
Nouveau Brunswick 145 720 $
Québec 1,5 million $
France 21,9 millions $
Suisse 5,9 millions $
*Tous les montants en euros et ont été convertis à un taux moyen en dollars canadiens.
Les voyages coûtent cher
L’OIF a largement dépassé les budgets de voyages prévus pour sa dirigeante depuis deux ans, même si elle est aux prises avec des problèmes financiers, a constaté notre Bureau d’enquête.
Michaëlle Jean et son entourage ont dépensé 907 000 $ pour leurs déplacements l’année dernière, soit 40 % de plus que prévu.
Cette somme s’ajoute aux 891 000 $ consacrés à ses missions en 2015, qui dépassaient aussi les prévisions.
L’administrateur de l’OIF, Adama Ouane, explique que le budget de 645 000 $ prévu pour chacune de ces deux années a été augmenté pour répondre aux invitations faites à Mme Jean.
«Le montant a été révisé à la hausse pour des raisons claires et évidentes. Il y a une demande de présence», a-t-il dit dans une entrevue accordée depuis Abidjan, où il était lui-même en déplacement.
«Sans calculer»
«Je ne suis pas en train de regarder dans le rétroviseur. Il y a un mandat excitant et je le mets en œuvre, sans calcul, avec l’efficacité évidemment», fait remarquer le numéro deux de l’OIF.
Lorsqu’elle se déplace, la secrétaire générale est accompagnée de son garde du corps, d’une assistante et d’un conseiller.
Au même moment, l’organisation reconnaît qu’elle devra réduire les coûts de ses programmes en 2017 et 2018.
Adama Ouane explique que des hausses de salaire et une révision des conditions de retraite de ses employés entraînent notamment un manque à gagner de 600 000 euros. «L’OIF manque de fonds», dit-il.
En novembre dernier, la commission administrative et financière de l’organisation a autorisé une diminution des dépenses de programme de 2,1 % ainsi que l’indexation de 1,5 % des cotisations de ses membres.
Il n’a pas été possible de savoir si les frais de déplacement de Mme Jean, qui ne font pas partie de la programmation, seront revus à la baisse également.
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