Quel avenir pour la SAQ ?

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«Le public doit rester public»





« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » disait Bossuet. Alors que la Société des alcools du Québec (SAQ) perd de sa force à cause de l’application de pratiques proches de celles du privé, les habituels chantres du tout-au-marché nous cassent les oreilles avec la nécessité de la privatisation intégrale. Il serait donc intelligent de soigner les actuels maux de la société d’État en lui insufflant encore plus de ce qui les cause. Pour d'autres, il faut plutôt abolir le monopole mais conserver la société d'État sans la vendre au privé. La Coalition Avenir Québec fait circuler ces jours-ci une pétition en faveur de la dernière option.


J’ai consacré plusieurs écrits, dont un ouvrage, à la transformation de l'État et de ses leviers pour le bien d'intérêts d'affaires. Les gens issus du privé, motivés par une vision « à but lucratif » de l’économie, ont pris le contrôle des CA des sociétés d’État, y sabotant leur caractère public. Je le précise d'emblée : j'ai un grand respect pour les entrepreneurs, mais le public doit rester public. Cependant, la SAQ a une situation un peu particulière en tant que société d’État, n’offrant pas un service de base comme Hydro-Québec et n’étant pas, non plus, un outil de développement économique comme la Caisse de dépôt. On pouvait donc légitimement croire qu’une société vouée à la distribution de biens de consommation puisse gagner à acquérir une certaine culture issue du privé. Erreur !


La SAQ, en tant que monopole public, a ses avantages.


Le principal est celui d’offrir une belle gamme de produits et, oui, de prix. Je vois déjà certains d’entre vous bondir. Les détracteurs de la SAQ nous sortent toujours l’image de la bouteille à 3 euros en France. De quoi faire l’envie des grands consommateurs d’ici. C’est oublier que le Québec est surtout un importateur et non un producteur. Et ça, ça change tout. Pour comparer les comparables, c’est donc le prix d’une bouteille au Québec et celui du même produit, dans le pays d’origine, qu’il faut observer. Or, malgré l’importation, il n’est pas rare de voir des bouteilles de haute qualité êtres moins chers au Québec que dans le pays producteur.


Les produits de basse qualité sont effectivement souvent plus chers ici que dans le pays d’origine. Cela fait partie d’une stratégie de la SAQ, laquelle a l’approbation du gouvernement. Nul besoin de chambouler les structures pour y remédier : le gouvernement n’a qu’à demander à baisser les prix. Mais il faudra vivre avec les baisses de recettes budgétaires. Ces produits constituent, de toute manière, des exceptions sur les 8000 qui sont offerts par le réseau de distribution. Il demeure que des vins populaires à bas prix sont de moins en moins disponibles, créant une légitime insatisfaction. Nous y reviendrons un peu plus loin.


Les anti-SAQ nous disent que pour éviter de perdre les généreuses recettes de la société, véritable vache à lait pour l’État québécois, nous n’avons qu’à mettre en place des taxes sur l’alcool. Dans ce cas, le privé aurait à payer cet impôt. Or, le privé veut son profit. Et pour continuer à faire du profit tout en payant cet impôt, il lui faudra augmenter ses prix. Adieu les belles promesses.


La SAQ est aussi un centre de réseautage, permettant de faire connaître des petits producteurs et des formations fournies par les employés sur place, rehaussant une activité qui n’existe pas ailleurs. Un des aspects hautement bénéfiques de la SAQ est d’offrir au petit marché de consommateurs du Québec un accès à des produits diversifiés de qualité. Le monopole permet par ailleurs que les mêmes produits soient disponibles dans l’ensemble des succursales, à la grandeur du Québec. Les vins étant l’objet de débats et de discussions, la SAQ offre des spécialistes partageant leurs connaissances avec le client, qui peut alors en apprendre sur les rituels et les techniques. On me rétorquera que tous ne sont pas intéressés à en savoir plus sur le vin et qu’ils ne veulent qu’un accompagnement à leur souper. C’est justement pourquoi il est pertinent d’avoir accès à un expert à même de suggérer un vin au client en fonction de son budget et de ses besoins et intentions.


Les opposants à la SAQ laissent miroiter qu’une baisse des salaires serait bénéfique et permettrait de faire baisser prix de l’alcool vendu aux clients. Il s’agirait donc de ne plus traiter les employés en succursale comme des spécialistes mais comme de simples commis. Pourtant, les coûts d’opération des employés des magasins ne représentent que 4 pourcent des ventes. Mettrait-on les employés en magasin au salaire minimum –ce qui aurait des conséquences sur la masse salariale au Québec- que le changement sur le budget serait microscopique. Prétendre que baisser les salaires permettra de vendre le vin moins cher est donc fallacieux.


Il faut aussi mentionner que la concurrence existe déjà. Les 400 points de vente de la SAQ font face à des milliers de dépanneurs et épiceries. Certains vins se trouvent à la fois à la SAQ et dans les épiceries, comme le Bu de Jessica Harnois ou le Yellow Tail. Mais épiceries et dépanneurs n’ont pas la capacité à vendre le vin -ne représentant pour eux qu’un produit parmi d’autres sans que les employés n’aient de formation particulière dans le domaine- comme la SAQ le fait. Les épiceries et dépanneurs n’ont pas non plus à se conformer aux objectifs de l’État. Si la SAQ est en retard dans ses chiffres par rapport aux sommes qu’elle doit remettre à l’État, elle appliquera des rabais sur certaines bouteilles pour vendre davantage et rétablir la situation. 


Dans les épiceries, le vin est vendu selon l’offre et non selon la clientèle. Le vin est mis sur les tablettes en fonction d’un paiement d’espace. Cela signifie que le vin qui se trouve en dépanneur ou à l’épicerie est le résultat d’une négociation et d’un paiement par le représentant des compagnies privées. Autrement dit, les bouteilles qui se trouvent en épicerie y sont parce qu’on a payé pour qu’elles y soient. Mais la SAQ accorde aussi une place grandissante à ces espaces.


C’est là où le bât blesse : la SAQ se travestit de plus en plus en compagnie privée.


S’il y a toujours un espace cellier, c’est-à-dire composé de produits généralement choisis par les spécialistes en fonction de la clientèle, la part des espaces de paiements y grandit sans cesse. Cela a aussi entraîné la quasi-disparition des espaces dits flexibles. Ceux-ci, présentant des bouteilles à bas prix, étaient consacrés aux produits demandés par le public. Ces espaces flexibles avaient le malheur de nuire à la place des espaces de paiements, ceux qui font le bonheur des compagnies qui savent le mieux s'y positionner. Beaucoup de produits à prix modique ont alors été enlevés des rayons.


Qui a dit que le marché aidait à avoir une offre diversifiée ? C’est plutôt la loi du plus fort qui règne. Que le plus profitable survive, tant pis pour les autres. 


Alors, quel avenir pour la SAQ ? La privatisation, la fin du monopole, ou encore le pur et simple statu quo ?


Aucun des trois !



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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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