Lettre à Son Éminence

La Lettre du cardinal Marc Ouellet



Mon­sei­gneur ­Marc Ouel­let,

Pri­mat de l’Égli­se ca­na­dien­ne.
Vo­tre Émi­nen­ce,
­Vous ­avez rai­son, cer­tains cu­rés ont «bras­sé» nos mè­res et des re­li­gieux ont agres­sé nos jeu­nes, por­tant om­bra­ge à l’hé­ri­tage de l’Égli­se au Qué­bec. ­Mais puis­que ­vous in­vi­tez vos fi­dè­les à cher­cher des ­voies de ré­conci­lia­tion ­avec les Qué­bé­cois, je ­vous sou­mets res­pec­tueu­se­ment mes com­men­tai­res.


Mes ­grands-mè­res Roy et La­voie ont eu 21 et 18 en­fants. ­Alors ­vous com­pre­nez que le «de­voir conju­gal», ­dans la fa­mille, on ­sait ce que ça vou­lait di­re! De ­bien bel­les fa­milles, ­mais ­avec le ­temps j’ai com­pris pour­quoi la mè­re de mon pè­re m’a ­confié, ­quand ­j’avais 17 ans, que le ­sexe, ce ­n’était pas ­très ri­go­lo...
Vo­tre let­tre m’a ­donc in­té­res­sé, ­mais j’ai bu­té sur la phra­se sui­van­te : «Com­me ar­che­vê­que de Qué­bec et pri­mat du Ca­na­da, je re­con­nais que des at­ti­tu­des étroi­tes de cer­tains ca­tho­li­ques, ­avant 1960, ont fa­vo­ri­sé l’anti­sé­mi­tis­me, le ra­cis­me, l’in­dif­fé­ren­ce en­vers les Pre­miè­res Na­tions et la dis­cri­mi­na­tion à ­l’égard des fem­mes et des ho­mo­sexuels.» ­Avant 1960? Pour­quoi s’ar­rê­ter là? N’est-ce pas com­plai­sant de de­man­der par­don ­pour les ges­tes ­faits par ses pré­dé­ces­seurs, ­sans met­tre en ques­tion les pra­ti­ques et les doc­tri­nes ac­tuel­les de l’Égli­se?
Un au­tre élé­ment de vo­tre let­tre m’a sem­blé in­jus­te : «Des mè­res de fa­mille ont été ra­brouées par des cu­rés ­sans ­égard ­pour les obli­ga­tions fa­mi­lia­les qu’el­les ­avaient dé­jà as­su­mées.» C’est ­vrai que cer­tains cu­rés ont ra­broué nos mè­res. Ma tan­te Ber­nar­di­ne (nom fic­tif) ­n’avait qu’un en­fant et en vou­lait d’au­tres. El­le ­était bou­le­ver­sée lorsqu’el­le sor­tait du confes­sion­nal. Le cu­ré lui re­pro­chait d’em­pê­cher la fa­mille.
­Mais ­n’était-ce pas les évê­ques qui dic­taient l’apos­to­lat des prê­tres? ­Pour en ­avoir ­connu plu­sieurs, je ­suis convain­cu que de nom­breux cu­rés, ­très ­près de ­leurs pa­rois­siens, au­raient été beau­coup ­plus com­pré­hen­sifs en­vers nos mè­res, n’eut été des pres­sions de ­leurs su­pé­rieurs.
­Vous dé­plo­rez, ­avec rai­son, les agre­sions sexuel­les com­mi­ses sur des jeu­nes par des prê­tres et des re­li­gieux. On ­sait main­te­nant que l’Égli­se a long­temps fer­mé les ­yeux sur ces cri­mes, pré­fé­rant dé­pla­cer cer­tains re­li­gieux plu­tôt que de les ­confier à la jus­ti­ce. Est-ce cor­rect de fai­re por­ter à ces ­seuls cu­rés et re­li­gieux ­l’odieux de ­leurs ges­tes, ­alors que l’épis­co­pat n’in­ter­ve­nait pas?
­Vous ­avez rai­son de di­re que l’Égli­se ­nous a lais­sé un hé­ri­tage pré­cieux, par­ti­cu­liè­re­ment ­dans nos éco­les et nos hô­pi­taux. ­Mais il est er­ro­né de pré­ten­dre que ­nous ac­cor­dons ­plus d’at­ten­tion au pas­sif de l’Égli­se qu’à sa contri­bu­tion à l’his­toi­re du Qué­bec. C’est la doc­tri­ne contem­po­rai­ne de l’Égli­se ­bien ­plus que ses er­reurs an­té­rieu­res à 1960 qui ajou­te au pas­sif et qui re­bu­te ­tant de ­gens, mê­me au ­sein du cler­gé ac­tuel.
Il est cor­rect de de­man­der par­don. ­Mais une bon­ne par­tie de ­ceux et cel­les à qui vo­tre de­man­de s’adres­se ­sont dé­cé­dés, et les boo­mers de ma gé­né­ra­tion ont ­fait une ­croix sur les sen­ti­ments de cul­pa­bi­li­té que l’Égli­se ­leur a ­fait vi­vre à l’ado­les­cen­ce... ­Ciel qu’on ­avait ­peur d’al­ler en en­fer, Émi­nen­ce! ­Vous ­avez sûre­ment vé­cu ça, non?
­Mais ça, c’est de l’his­toi­re an­cien­ne. ­Vous in­vi­tez les fi­dè­les à cher­cher «la ma­niè­re de re­con­naî­tre nos er­reurs et nos dé­fi­cien­ces». ­Puis-je, en ­tout res­pect, ­vous sug­gé­rer de scru­ter vos doc­tri­nes et vos pra­ti­ques ac­tuel­les? C’est là que se trou­vent les obs­ta­cles à une ré­conci­lia­tion de la so­cié­té ­avec son pas­sé chré­tien.
­Vous sa­vez, Émi­nen­ce, que mon mé­tier de chro­ni­queur m’amè­ne ha­bi­tuel­le­ment à com­men­ter le tra­vail des po­li­ti­ciens et non ce­lui des cu­rés. Si la dé­mar­che que ­vous an­non­cez s’ar­rê­te à 1960 et ne vi­se que le bas cler­gé, ­vous me par­don­ne­rez, je l’es­pè­re, d’y ­voir une dé­mar­che ­plus po­li­ti­que que re­pen­tan­te.
- source


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé