L'individu contemporain est un original. Le contenu anthropologique de l'homme démocratique se révèle présentement dans toutes ses carences. L'imaginaire de la spécialisation, de la maîtrise rationnelle et de la marchandisation (l'imaginaire central capitaliste-libéral) a engendré des réflexes de désengagement et de procuration et, ultimement, l'érosion d'une autonomie apte à décadenasser le champ des possibles.
Ce principe d'abdication n'opère pas seulement dans le cadre de la démocratie représentative. Il est à l'oeuvre partout. Les gouvernements, accaparés par le parti majoritaire et par des instances politiques extraparlementaires, gèrent le statu quo et promulguent des politiques avec une absence d'imagination embarrassante.
Dans ce contexte difficile, nous accordons notre confiance aux médias en les laissant assumer la fonction critique, favoriser la circulation de l'information et encadrer l'irruption des débats de société. Nous avons assisté récemment à une détérioration de ce devoir primordial. C'est ainsi que la chef du Parti québécois, Pauline Marois, fut subitement crucifiée et déifiée dans la même semaine, sans parler du sort réservé à Gilles Duceppe. Les allégations qui fusaient à son endroit avaient l'allure d'un thriller d'espionnage. Ce qu'il faut reconnaître, c'est que les médias jouent le jeu des partis politiques et se laissent duper par leurs stratégies de communication. Ils négligent le rôle «consistant à faire vivre la conversation de la culture [...] et à élargir les frontières de l'entendement», pour citer James W. Carey.
Si les médias persistent à relayer sans discernement les points de vue du pouvoir, s'ils continuent de se comporter en arbitre manipulé par les élites, traitant les citoyens en consommateurs de spectacles préfabriqués, tout ce que la société sera capable de faire, c'est d'élire des partis à encéphalogramme plat.
Les médias entretiennent les significations imaginaires sociales reproduites par les institutions qui forment l'environnement normatif de notre époque. Les médias qui ne font que régurgiter l'information fabriquée par les principaux dirigeants n'agrandissent pas le «forum public». Ils sont en partie responsables de la perpétuation d'un mode de vie aliénant.
Les effets de ce manque de rigueur sur les dispositions générales des individus sont sérieux. Perte de confiance dans notre aptitude collective à faire oeuvre, refuge dans la thérapie personnelle qui remplace la participation à la vie communautaire, rapport trouble avec un passé qui n'est plus considéré comme un réservoir de sens légitime et avec un futur qui capitule devant le tout-puissant présent, déploiement dans le virtuel des potentialités d'une génération techno-ludique, accès au monde du travail encouragé davantage par les salaires que par la passion du métier, système éducatif privilégiant l'employabilité au détriment des savoirs généraux et enfin, méfiance envers les utopies.
Nous perdons le sens de ce qu'est une société et, par le fait même, nous perdons les moyens de penser sa transformation. À l'avenir, nous saurons transformer génétiquement l'homme, mais nous aurons renoncé à réfléchir à la façon dont il pourrait s'insérer plus positivement dans l'ensemble social qui le fait être. Si les médias assument leur fonction sans perspective et se laissent berner par les élites politiques et économiques, ils manipulent ceux qui les lisent et les écoutent. Dans ces conditions, le changement social n'adviendra pas de sitôt, et l'enlisement nous conduira plus bas.
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Olivier Boisvert, libraire à Jonquière
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