Médias - Notre part d'ombre

On peut s'offusquer de la soumission et de la connivence idéologiques. On ne doit pas s'en surprendre.

Les médias québécois


Le Québec francophone aime tellement les empires de presse qu'il aime mieux en avoir deux. Une paire de Citizen Kane, nos jumeaux surpuissants.
Chaque semaine ramène son lot de surprises venant de l'un ou de l'autre über-camp, de leur constante rivalité aussi. Gesca, Quebecor: deux mégamaisons réputées d'égale dignité, qui, d'anciennes querelles, en viennent à de nouvelles mutineries, pour pasticher un célèbre prologue.
Une récente bisbille concernait les rôles respectifs du public et du privé dans le financement des arts et de la culture. Tout au marché, criait l'une. Et ne touche pas à la perfusion étatique, répondait l'autre. Les chroniqueurs des deux camps ont tiré leurs salves sans que personne bouge le moindrement de sa position idéologique, évidemment. Rendu là, on n'écoute pas: on crie.
Bonne question
Une histoire chasse l'autre. La chicane reprend de plus belle au sujet d'un câble diplomatique de WikiLeaks révélé la semaine dernière par Le Devoir. Dans cette correspondance de décembre 2009, l'ambassadeur américain au Canada s'interroge au sujet de l'influence de Power Corporation sur le premier ministre Jean Charest. David Jacobson se demande pourquoi Québec a soudainement cessé de critiquer les politiques environnementales d'Ottawa à la Conférence sur le climat organisée par les Nations unies, à Copenhague, du 7 au 18 décembre 2009. Maudite bonne question.
Le diplomate écrit que «l'influence sur le milieu fédéral et provincial de cette [entreprise] est indéniable». Il ajoute que, dans un éditorial du 17 décembre, La Presse a défendu la position d'Ottawa sur les sables bitumineux. Power Corp détient des intérêts financiers majeurs dans cette industrie polluante, en plus de contrôler Gesca qui possède le quotidien montréalais. Tout semble se tenir.
«Il est difficile de dire, observe l'ambassadeur, si Charest réagissait à la position de La Presse, à une pression de la famille , ou en fonction d'autres facteurs, mais à la fin de la conférence, il a adopté un profil bas, laissant passer plusieurs occasions médiatiques de critiquer le gouvernement Harper.»
Le premier ministre a tout nié en bloc et a répété se tenir debout devant le fédéral. Les milliardaires de Power Corp, agacés, ont aussi tout rejeté.
Chose certaine, dans La Presse du 17 décembre 2009, l'éditorialiste en chef passait un sévère savon aux premiers ministres de l'Ontario et du Québec décrits comme des «irresponsables» aux arguments «consternants». Un columnist en rajoutait le lendemain en disant que le Canada et le monde ont besoin du pétrole provenant des sables bitumineux, un point c'est tout.
Vendredi, dans Le Journal de Montréal, Richard Martineau rappelait que son quotidien avait dénoncé publiquement, à peu près en même temps que l'ambassade, les apparences de collusion entre Gesca et Power. «Il aura fallu qu'un diplomate américain soulève la question pour que, soudainement, l'élite médiatique se réveille et prenne la chose au sérieux», écrit-il en parlant d'un «réflexe de colonisé».
Qui colonise qui? Tout porte à croire que l'ambassadeur, nommé à Ottawa en octobre 2009, a tout simplement repiqué les analyses du Journal de Montréal publiées dès le 12 décembre. Après tout, beaucoup de textes du Cablegate ne font que relayer vers Washington les meilleures histoires dénichées par les médias étrangers. C'est de la diplomatie à coups de revues de presse...
Le fin fond de l'histoire médiatico-idéologique n'en demeure pas moins captivant. Le professeur de journalisme Marc-François Bernier, de l'Université d'Ottawa, appelle «part d'ombre» cette zone obscure où se concentrent les conflits d'intérêts et les contradictions d'un média. À chacun la sienne, au service du propriétaire, d'une classe, d'une cause.
Habituellement, il appartient aux universitaires indépendants et aux autres médias d'éclairer la portion enténébrée d'une télé, d'une radio, d'un journal ou d'un conglomérat. Cette fois, un ambassadeur maniait le «spot» et merci WikiLeaks, encore une fois.
On peut s'offusquer de la soumission et de la connivence idéologiques. On ne doit pas s'en surprendre. Pas besoin d'être marxiste pour savoir que les grandes compagnies influencent les gouvernements. Pas besoin d'un doctorat en politique pour comprendre que les «intellectuels organiques du pouvoir» monopolisent et manipulent les opinions des médias, de tous les médias. C'est d'ailleurs précisément pour cette raison que les empires de presse (ou Le Devoir) les embauchent: pour défendre des intérêts, des idées, des valeurs.


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