Cet homme extraordinaire nous a quitté il y a dix ans. Son héritage au service de ceux qu'affligent les souffrances mentales, les pires qui soient, est exceptionnel. Ce qu'il a fait pour notre bonheur national est plus spectaculaire encore.
Notre histoire nous avait permis, grâce en particulier à notre taux de natalité hors du commun, de conserver un des éléments les plus formidables de notre patrimoine collectif: la langue française. Cette langue est un des plus beaux instruments de pensée, de culture et d'art de vivre de toute l'histoire humaine. Elle n'est pas la plus parlée, mais elle est toujours l'une des plus importantes du monde, grâce à l'Afrique en particulier. C'est celle de quelques deux cent millions d'êtres humains. À l'heure de l'intense liberté de circulation de l'information, dans le contexte de la mondialisation, ce n'est pas rien! À ce sujet le mot "courriel" créé au Québec, symbolise bien notre contribution à l'épanouissement de l'univers francophone.
Or cet héritage inaliénable a été fortement menacé chez nous après la deuxième guerre mondiale. Le Québec, comme par devoir et intérêt, a accueilli fraternellement un grand nombre d'immigrants. La presque totalité d'entre eux choisissait alors de s'assimiler à la minorité anglophone.
L'appartenance au Canada, perçu mondialement comme un État essentiellement anglophone, et qui avait dès cette époque emprunté la voie la de l'assimilation de presque toutes ses minorités hors Québec, envoyait aux nouveaux arrivants un puissant message d'anglicisation. Notre situation de colonisés, à laquelle la révolution tranquille n'avait pas encore mis fin, ne nous rendait pas très attirants non plus. L'extraordinaire rayonnement mondial de la langue anglaise et notre nord-américanité faisait le reste: la catastrophe s'annonçait. Le gouvernement de René Lévesque a pris acte de la situation et confié à Camille Laurin la tâche d'amorcer le redressement. Avec son intelligence exceptionnelle, sa culture, son humanisme, son calme et sa détermination, il était le personnage prêt à poser les gestes salvateurs.
La loi 101 fut donc votée en 1977. Son élément fondamental était d'amener les enfants de ceux que nous accueillions, à fréquenter les mêmes écoles que nos propres enfants.
Cette simple mesure fut âprement combattue par les anglophones, ce qui se comprend facilement après tant d'années de leur domination généralisée. Plus surprenante fut la protestation d'une partie importante de l'élite francophone dont il faut espérer que les survivants en constatent aujourd'hui l'aberration. Surtout en entendant Stéphane Dion parler de cette loi comme d'une "grande loi canadienne"!
Camille Laurin fut accablé d'injures abjectes et grossières, en elles-mêmes comme par rapport à leur cible. Le Premier ministre du Canada, Pierre Elliott-Trudeau, pourtant issu de la nation québécoise, a dit qu'il s'agissait "d'une loi de fou". Un pan important de la Charte des droits et libertés, qu'il a imposée unilatéralement au Québec, n'avait d'autre but que de démolir la loi 101. Ce qu'il réussit partiellement à faire, avec le concours zélé de la Cour suprême du Canada.
Encore aujourd'hui, après un jugement aberrant de notre Cour d'appel, rédigé par un juge qui est un ancien pilier d'Alliance-Québec, organisation clé de la lutte à la loi 101, la Cour suprême du Canada se voit demander d'ouvrir l'accès des écoles anglaises à des enfants qui auraient étudié pendant un an à l'école privée anglophone. Des enfants du Québec, issus de l'immigration, pourraient ainsi ne pas fréquenter les mêmes écoles que nos enfants et petits-enfants parce que leurs parents auraient eu les moyens de payer des frais de scolarité dans une institution anglophone. Il est à souhaiter que la Cour suprême, dont les penchants sont connus, n'approuvera pas une telle infamie condamnable culturellement que socialement.
Camille Laurin a donc bravement fait sa part, et contribué puissamment à consolider notre destin national. Notre combat n'est pas gagné pour autant. Plusieurs chiffres alarmants se profilent et n'ont pas tendance à s'améliorer. La moitié des enfants des nouveaux arrivants choisissent de fréquenter des collèges anglophones. Camille Laurin n'avait pas prévu qu'une telle chose pouvait arriver, non plus qu'il n'avait anticipé que dans une majorité de foyers montréalais, on parlerait une autre langue que la langue officielle.
Notre État national peut faire bien des choses, il en a faites et il devra en faire encore. Mais les citoyens ont la responsabilité civique de compléter dans leur vie quotidienne, l'oeuvre de Camille Laurin. Passer à l'anglais, dès qu'un nouvel arrivant le désire, n'est pas respectueux pour lui malgré certaines apparences de bienveillance. Le véritable respect, c'est de lui faire comprendre à chaque occasion que ses chances de bonheur et d'épanouissement résident dans son intégration à son nouveau pays, dont la langue est un élément incontournable.
Chronique #10
Merci Camille Laurin
L'opinion de Bernard Landry
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé