Monsieur Drainville, ne punissez pas les vire-capot!

Dans notre régime représentatif, le mandat octroyé à l’élu n’a rien d’impératif

Démocratie québécoise - réformes, portraits et débats


Dans notre système politique ayant fait le choix de la représentativité, le rôle d’un député ne saurait être cantonné à celui de béni-oui-oui.
On apprenait mercredi que le ministre responsable des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, réfléchissait à la possibilité de mettre en place des dispositions visant à freiner les ardeurs de ceux que l’on a coutume d’appeler, de façon bien peu élégante, les transfuges politiques, voire les vire-capot. Cette réflexion confine à l’échec pour trois raisons qui tiennent de la tradition démocratique, du fondement juridique et, enfin, du simple bon sens.
Une marge de manoeuvre
Concernant le premier aspect, nos sociétés occidentales ont fait le choix de la représentativité. Elles ont rejeté le principe de ce qui a été qualifié de « mandat impératif ». Le philosophe Jean-Jacques Rousseau avait évoqué l’idée d’élus contraints par un mandat. Dans la logique de Rousseau et du « mandat impératif », ceux-ci ne pouvaient donc être des « représentants » du peuple ; ils n’en étaient que des « commissaires ». Les députés de notre système représentatif disposent au contraire d’une marge de manoeuvre qui leur permet de ne pas être aliénés. Sinon, l’assemblée ne serait plus qu’un lieu d’échanges de positions déjà exprimées et, par définition, inamovibles. Dans un régime représentatif, l’assemblée peut devenir l’outil indispensable visant à l’émergence du consensus dans l’intérêt de la nation. La qualité des débats et la capacité d’argumentation et de persuasion qui en résultent permettent des évolutions, des cheminements, qui peuvent alors naturellement se traduire par l’évolution philosophique puis partisane d’un représentant élu. En outre, l’élu n’ayant pas vocation à représenter de façon sectaire ses quelques points de pourcentage glanés le jour d’une élection, son mandat est de représenter toute la population de sa circonscription, incluant donc ses adversaires, auxquels il doit s’ouvrir en dépit de divergences. En bref, on voit clairement que le rôle d’un député ne saurait être cantonné à celui de béni-oui-oui. En dernier lieu, il pourrait aussi être utile de rappeler brièvement que la naissance des partis politiques s’est notamment réalisée dans un objectif de mutualisation des moyens, afin que chaque citoyen puisse se présenter à une élection sans être titulaire personnellement de quelques capitaux que ce soit. Au risque de dénaturer profondément le jeu partisan, on ne saurait donc borner la liberté intellectuelle et philosophique de l’élu par un outil d’émancipation vis-à-vis des capitaux fortement perverti.
L'individu d'abord
Vient ensuite l’argument selon lequel le député, élu sous une quelconque bannière, trahirait la confiance de ses électeurs et de sa formation politique en rejoignant un autre parti. Il faut se rappeler que notre système électoral ne fait pas la part belle aux partis dans le processus électoral. L’idée pourrait avoir du sens dans l’hypothèse d’un scrutin proportionnel de liste où les citoyens voteraient pour une équipe soudée représentant une communauté de vue et d’action. Or, dans un scrutin uninominal comme le nôtre, les électeurs apportent leur soutien à un individu, libre, qui se reconnaît au moment de l’élection dans une formation politique qui, en contrepartie, accepte de lui apporter son soutien. C’est d’ailleurs pourquoi les partis sont invités à reconnaître l’affiliation partisane d’un candidat pour que celui-ci puisse s’afficher. Ceci étant, à l’exception d’aspects administratifs tels que les dépenses électorales, à aucun moment notre loi électorale n’accorde plus d’importance aux partis dans la question des candidatures. Le mode de désignation des candidats est une question tout à fait interne aux partis et qui ne concerne guère ceux qui ne souhaitent pas y prendre part. Qu’il y ait pu avoir des assemblées d’investiture de militants n’a donc pas à entrer en ligne de compte. Tout au plus, cela relève donc de la seule éthique personnelle de l’élu et du respect de sa parole donnée, mais n’est pas justifié par un quelconque détournement de la loi ou de son esprit.
Des positions qui évoluent
Enfin, de simples éléments de sens commun méritent d’être rapidement évoqués. Le ministre part du postulat qu’un parti politique dispose d’une ligne de conduite claire, prévue par sa plateforme et prévisible dans son application. Mais comme toutes les organisations, les partis sont soumis à des lignes de force qui fluctuent à un moment ou un autre. En clair, un élu peut donc aisément, en l’espace de quelques mois, passer de l’adhésion à l’inconfort le plus total dans une formation. Que le parti et l’élu aient divergé après l’élection, pour quelque raison que ce soit, n’a pas à remettre en cause le lien de confiance qui a pu s’établir entre un candidat et ses commettants au moment du scrutin. Surtout, on sait que les circonstances politiques peuvent être tout à fait labiles à certaines périodes de l’Histoire ; l’échec des accords du lac Meech au début des années 1990 l’illustre bien. Advenant de grands bouleversements, des accélérations formidables des événements, il serait tout à fait absurde de nier que l’élu ou son parti puissent évoluer dans leurs positions. Et, après tout, que l’on préfère que l’élu siège en tant qu’indépendant d’ici la prochaine élection ou qu’il rejoigne formellement un nouveau groupe parlementaire, cela ne changerait que peu de choses dans le fond des débats, car ce que l’équipe ministérielle conteste ici au premier chef, c’est le changement d’étiquette partisane, ce qui ne nous semble guère être une priorité si l’on souhaite lutter contre la méfiance vis-à-vis des institutions.
Il n’est pas de notre volonté de nier la volonté réelle et probablement sincère de M. le ministre Drainville de dépoussiérer notre démocratie. Son travail, à ce jour, est remarquable. Malheureusement, il semble être teinté de la même candeur qui l’avait conduit à suggérer que le premier ministre soit élu au suffrage universel, en dépit de toute logique dans l’équilibre des pouvoirs au sein d’un régime parlementaire dit « système de Westminster ». Si la réflexion qu’il a introduite relève de l’impérieuse nécessité, elle mérite bien plus que quelques ballons d’essai.

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Florent Michelot8 articles

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- Diplômé de Science politique de Lille 2, étudiant à l'ENAP
- Ancien directeur de cabinet adjoint au Conseil général
d'Ille-et-Vilaine
- Conseiller national des Jeunes radicaux de gauche (JRG) en charge du
programme
- Membre des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)





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