Protection du français

Nationaliser notre langue nationale?

Crise linguistique au Québec 2012


La langue maternelle du colonisé,
_ celle qui est nourrie de ses sensations, ses passions et ses rêves,
_ celle dans laquelle se libèrent sa tendresse et ses étonnements,
_ celle enfin qui recèle la plus grande charge affective,
_ celle-là précisément est la moins valorisée. [...]
_ Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé,
sa langue maternelle est l'humiliée, l'écrasée
— Albert Memmi


«Maudit qu'on est colonisés!» Combien de fois ai-je entendu cette expression autour de moi au cours des derniers mois? Que ce soit à propos du dossier des hydrocarbures et du gaz de schiste, de la moyenâgeuse loi sur les mines que tente de nous faire avaler le gouvernement Charest avec son Plan Nord ou encore de l'apathie généralisée face à l'arrogance du gouvernement canadien, le constat est toujours le même. Désenchanté par la turpitude de dirigeants politiques assujettis aux diktats des marchés mondialisés et surtout conditionné depuis plusieurs années par la propagande quotidienne de médias de masse se faisant les apôtres de l'individualisme et de la négation des réalités nationales, le peuple québécois, après avoir nourri l'espoir de devenir maître chez lui, a lentement sombré dans une léthargie politique et sociale manifeste.
Au cours des dernières années, les gens de chez nous semblent même avoir perdu leurs réflexes de défense identitaire, se sont mis à douter, à hésiter à propos de ce que nous avons de plus précieux: notre langue et notre culture communes. Autrefois fier et ardent défenseur de son identité, le peuple du Québec paraît aujourd'hui plus confus que jamais, incapable de se rallier à cette lutte fondamentale. Pire, notre langue nationale est devenue un sujet de discorde et de mépris.
Pendant que des groupes de plus en plus nombreux sonnent l'alarme à propos de l'anglicisation de Montréal, des milieux de travail et même de certains services du gouvernement du Québec, une partie de la population assimile la défense de la langue française à un repli ethnique dépassé. L'attitude culpabilisante d'une certaine intelligentsia «accommodante» n'est d'ailleurs pas étrangère à ce phénomène inquiétant. À l'entendre discourir, le bilinguisme serait devenu la planche de salut pour tout individu souhaitant réellement réussir au Québec...
Après tant d'années de lutte, après tout ce travail acharné pour rebâtir notre identité et notre fierté nationales, assisterons-nous passivement à ce retour en arrière? Allons-nous choisir de revenir à cette réalité pas si lointaine où nous vivions comme des étrangers dans notre propre pays? L'époque de Speak white, de Bozo les culottes? L'époque où la finance était anglaise, où les affaires étaient anglaises, où l'affichage était anglais? L'époque où un simple foreman anglais forçait trois cents travailleurs québécois à parler sa langue? L'époque où notre langue et notre culture étaient perçues comme une tare? Non! Pas question de plier l'échine, jamais!
Toutes les raisons de lutter!
Plusieurs groupes se sont d'ailleurs remis à lutter. Le dossier de la langue française revient à l'avant-scène des débats au Québec. Des voix multigénérationnelles s'élèvent. De Loco Locass à Gilles Vigneault, de Fred Pellerin à Yves Beauchemein, la lutte pour notre langue nationale reprend son espace. Le Mouvement Québec français (MQF), entre autres, fait un travail remarquable et nous rappelle que, il n'y a pas si longtemps, cette bataille pour la langue française avait porté ses fruits. Que le Québec était redevenu français et que tout est donc encore possible. Appliquer rigoureusement la loi 101 dans l'affichage et les services publics, l'imposer dans les petites et les grandes entreprises et étendre ses dispositions à l'enseignement collégial font partie de la solution prônée par le MQF.
Pourquoi encore lutter pour la défense de la langue française? Parce qu'il y a urgence. Tout simplement. Que notre langue perd de son sens, de son attrait, de sa dignité. Que cette langue qui nous définit comme peuple, qui est l'expression même de ce que nous sommes, est dépossédée de sa vitalité. Qu'elle se fragilise dans la sphère publique comme dans l'espace privé, sacrifiée sous la mythification de la langue anglaise, cette anglofolie qui s'installe dans le paysage et dans l'imaginaire collectif. À Montréal bien sûr, mais aussi à Québec, à Sherbrooke, à Trois-Rivières et ici même à Rimouski.
Elle se fragilise dans l'affichage unilingue anglais assurément, avec les Smart!Centres, les Future Shop et autres Subway, mais également au niveau de l'emploi, où lors de l'embauche certains employeurs exigent de plus en plus fréquemment la maîtrise de l'anglais. La Caisse de dépôt et placement, la Banque nationale, Telus ou encore Bombardier ne sont que quelques exemples parmi trop d'autres. Plus insidieusement encore, nos établissements d'enseignement primaire et secondaire valorisent l'apprentissage de l'anglais bien souvent au détriment de notre langue nationale. Une attitude totalement irresponsable!
Quand on sait que près de 50 % des Québécois âgés de 16 à 65 ans se classent en deçà du niveau de compétence en lecture qui est jugé nécessaire pour effectuer aisément l'ensemble des activités de la vie quotidienne, il y a de quoi se questionner sur les choix que nous faisons comme société. La maîtrise d'une deuxième langue est, bien sûr, un atout dans le monde actuel. Mais le rôle de l'État réside d'abord et avant tout dans la défense et la valorisation de notre langue nationale.
Une richesse collective
Plusieurs groupes revendiquent présentement la nationalisation de nos ressources naturelles en invoquant l'urgence d'agir. Nous sentons collectivement que quelque chose de déterminant pour l'avenir du peuple québécois nous échappe. Qu'il est inadmissible de voir notre territoire et nos ressources pillés de la sorte, sans que l'ensemble de la population n'ait voix au chapitre.
Et notre langue nationale, alors? Nous devons prendre un soin jaloux de cette ressource collective sans prix. Avant qu'elle ne devienne non renouvelable... Nationaliser notre langue nationale? L'image peut faire sourire, mais la situation commande un redressement énergique et déterminé!
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Alain Dion, enseignant au cégep de Rimouski


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