Nouveau livre de l’IRIS : Détournement d’État

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Le véritable enjeu de cette élection : sortir l'État des griffes des spoliateurs libéraux

Le souvenir que gardent probablement bien des gens de la Commission Charbonneau est celui d’entrepreneurs en construction déballant les menus détails de leurs stratagèmes de collusion et de financement politique illicite. À côté de cela, quelques rares élus se sont retrouvés devant les tribunaux pour se défendre face à des allégations de fraude ou de corruption. On a pu conclure de cette situation qu’il s’agissait d’un cas classique de « pommes pourries » : des gens d’affaires malintentionnés ont tenté de corrompre des politiciens pour obtenir davantage de contrats, tandis que des femmes et des hommes ont cherché à financer leur parti en promettant à des entrepreneurs de leur donner du travail.


Une telle interprétation nous ferait cependant passer à côté de l’essentiel. L’échange d’enveloppes brunes n’est qu’un effet secondaire d’une corruption plus insidieuse qui mine nos institutions. Au fil des quinze dernières années, l’État a été détourné de ce qui devait être au cœur de ses priorités : l’intérêt collectif et la recherche du bien commun. Pour ceux qui ne croient pas au bien commun, nul besoin de continuer à lire ce billet. Pour les autres, voici un résumé des constats que nous dressons dans notre essai Détournement d’État, qui fait le bilan des actions du gouvernement libéral depuis son arrivée au pouvoir à Québec au printemps 2003.


Ce régime libéral s’est articulé autour d’au moins deux principes structurants, soit une foi démesurée dans l’efficacité du secteur privé, et une allergie aux déficits publics. Sous prétexte de le mettre au service de la productivité et de la création de la richesse, les libéraux ont procédé à une profonde réingénierie de l’État québécois. Encensés par l’ancienne ministre Monique Jérôme-Forget, les partenariats public-privé (PPP) se sont pourtant avérés être une formule coûteuse propice aux pires fiascos, comme en fait foi le dossier de la construction des hôpitaux universitaires à Montréal.


Les baisses d’impôt répétées, combinées à des hausses de tarifs dans tous les secteurs, ont non seulement grevé la fonction redistributive de notre régime fiscal, elles ont privé l’État des revenus nécessaires pour financer adéquatement ses missions. Obsédés par le déficit zéro, tous les ministres libéraux des Finances ont à un moment ou à un autre appliqué des compressions afin de compenser ce manque de revenus fiscaux.


Les services à la population n’auraient soi-disant pas été affectés par ces épisodes répétés d’asphyxie budgétaire. Pourtant, les échos en provenance des réseaux de la santé et de l’éducation nous renvoient un portrait fort différent de la situation. Des infirmières épuisées aux professeures surchargées, les travailleuses et les travailleurs du secteur public ont tiré la sonnette d’alarme dans les dernières années quant à la précarité de leur situation et à leur difficulté à donner des services à la hauteur des besoins des citoyens et des citoyennes.


C’est sans compter la vétusté des infrastructures, qui sont le triste témoin du peu d’importance qui a été accordé à la santé et l’éducation, pourtant censées être les priorités du gouvernement. La réduction de l’accès à l’aide sociale, et le désaveu face au réseau des centres de la petite enfance, deux autres victimes des cycles austéritaires, témoignent quant à eux du peu de cas que font les libéraux des personnes les plus vulnérables de la société.


Les Québécoises et les Québécois sont bien entendu les grands perdants de ce vaste détournement, à titre de travailleurs, d’usagères des services publics, mais aussi de citoyennes et de citoyens. La démocratie a été mise à mal, que ce soit par exemple avec l’abandon des CLSC, bien ancrés dans leur communauté, ou encore l’abolition des CRE ou des CLD, qui étaient au cœur de la vie sociale et économique des différentes régions du Québec.


Une poignée d’individus et d’organisations ont au contraire bénéficié de ce recul démocratique en gagnant un pouvoir incomparable sur la société. Plusieurs grandes entreprises et leurs dirigeants se sont vu offrir des ressources – matérielles, humaines, naturelles – sur un plateau d’argent, que l’on pense au Plan Nord, à Bombardier, ou encore à la famille Chagnon, qui en mène large dans le milieu communautaire.


Ce détournement d’État mine aujourd’hui la capacité du Québec à faire face à la montée de la précarité du travail, à combattre la croissance des inégalités de revenu et de richesse, à fournir à une population vieillissante des conditions de vie dignes, et à lutter efficacement contre les changements climatiques. Les libéraux nous laissent ainsi des institutions publiques amoindries, en plus d’avoir pavé la voie à des partis qui n’ont, en guise de projet de société, que des baisses d’impôt ou la baisse des seuils d’immigration à proposer.