Mai 2011, Calgary. Des autochtones manifestent aux portes de la réunion annuelle de la compagnie Enbridge pour protester contre le projet de pipeline Northern Gateway qui doit transporter le bitume albertain vers le port de Kitimat, sur la côte de la Colombie-Britannique.
À l’intérieur, l’ancien ministre fédéral de l’Environnement devenu banquier, Jim Prentice, lance un avertissement. Les autochtones ne peuvent être ignorés car ils ont des armes puissantes pour freiner ce projet : leurs droits constitutionnels.
Tous les experts en droit autochtone abondent dans ce sens. Les Premières Nations ont des droits qui, selon elles, ne sont pas respectés et des revendications territoriales qui attendent toujours une résolution. Leur recours : les tribunaux. À moins que les gouvernements n’obtiennent leur consentement pour aller de l’avant avec des projets sur les terres revendiquées ou encore ne les consultent et les accommodent, ils feront face à une opposition sentie.
Le jugement rendu jeudi par la Cour suprême du Canada et qui, pour la première fois, reconnaît le titre ancestral d’une nation autochtone sur un territoire revendiqué rappelle cette évidence. La décision unanime et historique clarifie les critères pour reconnaître les titres autochtones des Premières Nations toujours sans traités, ce qui est le cas de la quasi-totalité des bandes en Colombie-Britannique. Elle réitère et précise aussi les droits et obligations qui découlent de ces titres pour les autochtones et les gouvernements, et ils sont étendus.
Le cas tranché jeudi offre un bon exemple des risques que courent les gouvernements à ne pas s’entendre avec les nations autochtones dont ils convoitent les territoires à des fins économiques. La Colombie-Britannique a accordé des droits de coupe sans consulter ni accommoder les Tsilhqot’in. Ces derniers se sont tournés vers les tribunaux pour faire reconnaître leur titre sur le territoire. La cour leur a donné raison et déclaré que la province avait failli à ses obligations.
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Ottawa ne peut feindre la surprise devant la jubilation des groupes autochtones qui voient s’accroître leur rapport de force. Il a été averti, et plus d’une fois, de la nécessité d’établir un véritable dialogue avec eux. Mais même s’il a fait du développement des ressources le pivot de sa politique économique, il s’est traîné les pieds.
Ce n’est qu’en mars 2013, alors que l’opposition autochtone au projet d’Enbridge se cristallisait, qu’il a nommé Douglas Eyford comme « représentant spécial concernant l’infrastructure énergétique de la côte Ouest », avec pour mandat de « nouer le dialogue avec les communautés autochtones de la Colombie-Britannique et de l’Alberta susceptibles de bénéficier de la mise en place d’éléments d’infrastructure énergétique ».
Le rapport de M. Eyford, remis au premier ministre Stephen Harper le 29 novembre dernier, rappelait la nécessité d’établir des relations « efficaces » fondées sur un engagement durable avec les autochtones, de reconnaître l’importance pour les autochtones de lier l’exploitation des ressources naturelles à un programme de réconciliation plus vaste, de procéder à un développement durable sur le plan environnemental et de s’assurer que les projets servent à améliorer les conditions socio-économiques des communautés autochtones.
Moins d’un mois plus tard, l’Office national de l’énergie recommandait d’autoriser le projet Northern Gateway… avec 209 conditions, une position que le gouvernement a faite sienne à la mi-juin avec cette seule pensée pour les autochtones. Il avisait la compagnie Enbridge qu’elle avait « encore du travail à faire pour remplir son engagement public de dialoguer avec les groupes autochtones et les populations établies le long du tracé ». Le rapport Eyford, lui, attend toujours une réponse officielle.
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Une semaine avant l’annonce du gouvernement, M. Eyford déclarait de son côté que le gouvernement fédéral devait assumer la large part du blâme pour la profonde résistance au projet Northern Gateway. Même si Ottawa le disait dans l’intérêt national, il a laissé l’entreprise naviguer seule dans les méandres complexes des questions autochtones.
« J’ai été surpris de voir combien le gouvernement fédéral se satisfaisait de laisser les promoteurs de projets comme Enbridge nouer le dialogue avec les communautés autochtones avec peu ou pas de supervision, direction ou aide de la part de la Couronne », disait-il.
Et d’ajouter : « J’ai été frappé par le fait que certaines communautés qui menacent maintenant de s’adresser aux tribunaux et d’avoir recours à la désobéissance civile ont demandé des rencontres avec les représentants fédéraux et fait ce que je crois être, en y repensant, des propositions réalistes pour régler divers enjeux associés au projet, dont ceux environnementaux. Malheureusement, personne n’a pris la balle au bond. »
Cela dit tout. Les conservateurs ont toujours essayé de limiter la discussion à la création d’emplois et des retombées économiques pour les autochtones. Ils sont aujourd’hui rattrapés par leur obstination à garder leurs oeillères et c’est toute leur stratégie économique qui peut s’en trouver affectée.
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