Le Canada est-il un pays ingouvernable?

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La question pétrolière menace l'unité canadienne


Le Canada qui émerge des dernières élections fédérales est l’un des plus politiquement fragmentés de l’histoire. À bien des égards, ce sont les enjeux qui en tracent aujourd’hui les lignes de faille. Comment relever les défis des changements climatiques ? Quelle vision d’avenir pour l’économie canadienne ? Pour le secteur de l’énergie ? Sur ces questions, nous sommes plus divisés que jamais, sans qu’apparaissent de solutions satisfaisantes.


Les projets d’infrastructures de transport d’hydrocarbures empoisonnent les relations entre les provinces et fragilisent l’unité politique du pays. Les engagements internationaux du Canada — en ce qui concerne les changements climatiques, la protection de la biodiversité — sont source de conflits entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces et des territoires, d’autant plus que le gouvernement fédéral — généreux en paroles — est incapable de faire respecter ces mêmes engagements. De même, aucun consensus n’existe aujourd’hui sur la trajectoire que doit prendre l’économie, le pays étant écartelé entre les tenants d’une économie verte et de plus en plus dématérialisée et ceux d’une économie traditionnelle basée sur les ressources naturelles.


Dans le cadre de l’élaboration d’un premier ouvrage universitaire jetant un regard résolument québécois sur la politique environnementale au Canada, nous avons sollicité l’éclairage de près d’une vingtaine de chercheurs et chercheuses. À la lecture des textes qui nous ont été soumis […] une troublante trame de fond pointe vers une polarisation croissante des enjeux environnementaux au sein de la fédération canadienne.


Cette situation génère le plus souvent des décisions publiques incomplètes, imparfaites et incohérentes. La tarification du carbone, les infrastructures de transport des hydrocarbures, l’exploitation de pétrole et de gaz naturel, de même que la protection de plusieurs espèces en péril sont autant d’enjeux pour lesquels une gouvernance proprement pancanadienne, efficace et consensuelle fait défaut.


Le contexte actuel de crise climatique et d’effondrement de la biodiversité nous amène à poser ouvertement une question qui nous hante depuis quelque temps déjà : le Canada est-il un pays ingouvernable, structurellement et politiquement incapable d’affronter les principaux enjeux environnementaux de ce siècle ?


Des dynamiques peu favorables


Trois dynamiques peu favorables sont à l’oeuvre ici. D’abord, la faiblesse des mécanismes de coordination et l’absence de contrainte au sein de la fédération condamnent les gouvernements à une évanescente recherche du consensus, dont la mise en oeuvre repose invariablement sur le bon vouloir de chacun. Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques représente ici un exemple éclairant, les engagements qui y sont pris se révélant très peu contraignants et la décision d’y adhérer reposant sur la bonne volonté des différents gouvernements. La seule mesure contraignante qu’elle comprend, une tarification du carbone à travers le pays, est d’ailleurs dénoncée aujourd’hui par la moitié des provinces canadiennes.


Ensuite, l’autonomie des différents ordres de gouvernement limite l’essaimage des politiques entre une juridiction et une autre : une politique environnementale prise par une province ne sera pas nécessairement adoptée par les autres, chacune opérant plus ou moins en vase clos. Par exemple, le marché du carbone québécois n’a pas réussi à essaimer ailleurs dans la fédération canadienne.


Enfin, la fragmentation de la gouvernance environnementale au Canada entraîne très souvent la paralysie complète de politiques et de grands projets au niveau pancanadien. Il en va ainsi de l’incapacité historique du Canada à respecter ses engagements internationaux. La récurrente saga des projets d’oléoducs au pays, dont la réalisation apparaît hautement problématique, expose également les divergences entre régions et au sein de la population comme autant de plaies béantes rendant la recherche de consensus difficilement envisageable.


Pas d’autorité politique


Nous tirons de tout cela un certain nombre de constats pertinents dans la foulée des dernières élections fédérales. Le premier, c’est que le gouvernement fédéral est incapable de régler, à lui seul, les grands problèmes environnementaux qui préoccupent les Canadiennes et les Canadiens. Il n’a tout simplement pas les compétences constitutionnelles ni l’autorité politique pour le faire. Il peut investir dans les solutions — et arrêter d’investir dans les problèmes —, il peut utiliser la réglementation (comme les normes d’émissions des véhicules automobiles) et il se pourrait que la Cour suprême lui confirme le pouvoir d’appliquer un prix sur le carbone à travers le pays. Mais il ne peut pas « régler » le dossier des sables bitumineux, respecter ses engagements internationaux en forçant les provinces à réduire leurs émissions ou même contraindre l’économie canadienne à se restructurer vers une économie verte ou vers la décroissance. Il nous faut donc fixer l’horizon d’attente à l’égard du gouvernement fédéral au niveau du monde réel, qui est celui des réalités politiques canadiennes et du partage des compétences au sein de la fédération.


Le deuxième constat est un corollaire du premier. Pour résoudre les grands enjeux environnementaux à l’échelle pancanadienne, il faut viser un improbable alignement de planètes, durable dans le temps, entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces et des territoires. Le gouvernement Trudeau a bien failli réaliser cet exploit en 2016, avec l’adoption d’un Cadre pancanadien sur les changements climatiques. Mais ce cadre n’a pas tenu, victime de l’arrivée de plusieurs gouvernements provinciaux conservateurs qui se sont empressés de s’en dissocier.


En définitive, il est légitime de croire que le Canada n’a pas été conçu pour répondre, de manière concertée et efficace, aux grands enjeux environnementaux du XXIe siècle. Il est aussi probable que l’ensemble canadien continuera de répondre à ces enjeux à la pièce, de façon disparate, les efforts des uns annulant bien souvent les efforts des autres, dans un contexte de tensions et de polarisation croissant.









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