Crise démocratique

Octobre et Oka : face aux « dictatures provisoires » ?

Regard croisé sur deux crises majeures de notre histoire!

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Tribune libre

En pleine crise de pandémie, certains nous rappellent, malgré tout, l’anniversaire de deux crises majeures dans l’histoire du Québec d’après guerre. La crise d’Octobre et la crise d’Oka sont soulignées  actuellement par d’excellents documentaires, des articles, des reportages, etc. Toute une série d’appels à la mémoire. Une mémoire qu’on sait fragile, tant notre évolution historique s’accélère. Il est important de relire notre histoire pour mieux saisir les traces qu’elle a laissées afin de dessiner, même avec le brouillard, notre futur.


Les deux commémorations d’Octobre et d’Oka sont suffisamment importantes pour y porter attention ensemble. Ces secousses ne relèvent pas des mêmes causes. Elles n’ont pas toujours concerné les mêmes éléments de notre société. Est-il possible de leur trouver quelques similitudes, une figure d’ensemble? Peut-on les envisager comme des symptômes d’un mal plus profond?


Certes, on me dira qu’il s’agit de deux évènements distincts. Soit! Mais je fais l’hypothèse que ces deux évènements ont beaucoup en commun, beaucoup plus qu’on pense à première vue. J’irais plus loin, ne nous indiquent-ils pas une tâche importante à faire pour la suite de notre aventure collective?



Des convergences possibles?


D’abord, ces deux crises sont des crises politiques, des crises collectives. Dans les deux cas, il y a eu mort d’homme et, on ne sait  pas par quelle avenue, plusieurs personnes auraient pu y perdre la vie. Les armes étaient très présentes mais surtout les manifestes et les revendications profondément attachées à un territoire; surtout à la libération de ces territoires.


Dans les deux cas, si vous exprimiez le moindre doute, le moindre questionnement, ne serait-ce que pour apporter des nuances ou des appréciations des tragédies pour mieux saisir les faits, on vous répondait que l’heure n’était plus aux discussions mais à la police, mieux à l’armée, et qu’il était temps d’agir avec force dans l’intérêt de tous.


Nos hommes politiques fédéraux et provinciaux ont senti vaciller les assises de leur pouvoir et, pour mieux l’affirmer, ont crié en public leurs frayeurs. Ils ont entrainé avec eux, une grande partie de la population. En étendant la peur, comme le fait actuellement M. Trump, on a voulu, par la magie des armes, effacer des pans entiers de notre histoire collective. Mieux, notre capacité collective de réflexion, de rationalité devenait soumise aux impératifs de la «loi et de l’ordre», en créant un désordre plus grand, une crise plus ambitieuse. Si la très grande diversité des opinions témoignent de la vitalité d’une société, on peut dire que ces évènements, témoignent d’un assèchement de  la démocratie. Il faut donc s’attarder à mieux comprendre des faits considérés comme mineurs de ces évènements collectifs pour saisir les alternatives à construire pour l’avenir.



Des traces oubliées des deux drames


Peut-on, un instant, regarder un peu les coulisses de ces deux théâtres? Je voudrais ici souligner quelques faits qui peuvent changer notre conception collective de ces évènements. Les informations que nous possédons aujourd’hui peuvent soutenir une autre façon de voir  les perceptions.


Les deux événements furent portés par des petits groupes, une infime minorité, si l’on regarde l’ensemble de la société. À l’intérieur de ces communautés, il y avait de la dissension. La cellule Chénier ne pensait pas comme la cellule Libération. La communauté de Kanesatake n’était pas au même diapason que certaines factions Warriors. Même à l’intérieur des Warriors, il y avait des hommes qui portaient les armes sans convictions de vouloir tuer.


Dans les deux cas, j’ose dire que l’on utilisait les armes comme des mots pour se faire entendre. Le Manifeste du FLQ témoigne grandement du mécontentement et du fort sentiment d’inégalité qui régnaient à l’époque. Quand une société reste fermée sur elle-même et qu’elle offre peu d’espoir à certains groupes comme les autochtones, les armes étaient l’ultime langage pour faire porter une parole qui n’était plus entendue. Une parole dénigrée. Une démocratie en faillite. Comment se faire entendre quand personne ne veut écouter et qu’il n’y a plus de moyen démocratique pour le faire? Le changement n’est plus conciliable avec la démocratie.


Fait remarquable sur la gouvernance des deux groupes en présence, il n’y avait pas de chef. Paul Rose le dit bien à Laurendeau dans une entrevue. Je ne suis pas le chef, je peux être un leader, mais pas plus. Il en est de même dans le camp de la communauté de Kanesatake. Le «Warrior» qui a signé l’accord avec le ministre Ciaccia n’avait rien d’un chef de la communauté. Bien plus, dans les deux expériences, on travaillait à prendre des décisions collectivement, malgré les dissensions. C’était du moins, un idéal des deux communautés revendicatrices.


Il faut ici rappeler à notre mémoire que dans les deux espaces-temps, les femmes ont joué un rôle central. D’abord avec le Front de libération des femmes du Québec (FLF). Ces femmes partageaient la cause du FLQ, mais aussi faisaient valoir la marginalisation et l’oppression des femmes. Elles ont refusé de témoigner devant un jury d’hommes et de propriétaires pendant le procès des felquistes. Même s’il ne faut pas confondre les deux organisations, elles sont de la même communauté de pensées et d’action.


Quant à la crise de Kanesatake, Ellen Gabriel a assumé un leadership dans toute la crise, comme plusieurs femmes de la communauté. Les femmes ont aussi permis le maintien des WARRIORS dans le centre de «désintoxication» pendant la période d’«étranglement»par l’armée. En plus de soutenir leurs enfants dans la terreur des hélicoptères, des lumières harcelantes pendant la nuit, etc., elles ont soutenu la vie quotidienne de toute une communauté que l’armée voulait écraser à petit feu.


Dans les deux contextes, on a diabolisé médiatiquement deux figures: Paul Rose et Lazagne. C’est comme si on voulait incarner le mal par deux personnages, pour rendre plus visible et plus concret le mal. Ceci permettait à tous les pouvoirs politique et aux médias de l’époque, de mettre en évidence la violence incarnée et de voiler les enjeux collectifs des évènements. Bref, de faire de la manipulation d’images pour rendre la tragédie plus horrible. Ceci venait renforcer et amplifier les événements.  


Les acteurs qui prennent une place importante sont aussi des jeunes. Des jeunes qui ont mal à leur communauté. La jeunesse est souvent révélatrice des maux profonds d’une société. Ils ont mis leurs intérêts particuliers de côté, pour s’engager dans une cause collective.


Finalement, on oublie que ces deux collectivités rêvent comme communauté. Ils ont des symboles, des mots, des aspirations collectives. On peut être en désaccord avec leurs modes d’action mais peut-on au moins comprendre les aspects moins visibles, moins concrets: le rêve d’une société meilleure. une société pour tous les membres de la communauté, une société inclusive. Ces rêves sont souvent considérés avec peu d’importance dans la société des biens pensant.  Ces rêves n’étaient-ils pas le support de leurs actions et de la vie en commun?  Ces rêves ne sont-ils pas encore aujourd’hui au coeur de notre vie commune quand on regarde notre actualité?



La démocratie!  Quelle démocratie?


À la lumière de ces convergences, peut-on réfléchir à notre système démocratique? Mieux, à nos perceptions de la démocratie quand les crises surviennent? Peut-on oser remettre en question notre type de démocratie à la lumière de ces deux crises? Mes propos n’auront rien de nouveau. Cependant, j’espère qu’ils puissent donner un relief différent à l’infrastructure de notre démocratie dans ces deux pièces tragiques de notre histoire.


Le contexte de la fin des années 60 est marqué par la montée de  l’idée de l’indépendance. Tant à Québec qu’à Ottawa, surtout, avec M. Trudeau père, qui voulait tuer cette idée. On disait que les groupes, on peut même dire les factions, qui portaient cette idée, n’avaient pas de parole légitime aux yeux des pouvoirs en place. On a même comparé certains groupes porteurs comme étant des nazis. Comme pour la parole autochtone, on refuse d’abord et avant tout que ces paroles soient des paroles démocratiques. Avec des terroristes armés, on ne négocie pas. Pourtant, les enjeux soulevés par les felquistes, portés par les communautés indépendantistes, sont marginalisés, non reconnus. Il en va de même pour la communauté de Kanesatke et à travers elle, toutes les communautés autochtones dans l’histoire.


En fait, comme la proposée la thèse du politologue Marc Chevirer, pour qui le Canada est en tout point conforme à la définition d’un empire. Le traitement des nations minoritaires y est traité avec violence et mépris. C’est pourquoi on peut dire que la libération du Québec et la libération des peuples autochtones sont comme encastrées dans un même système. On a trop souvent conceptualisé c’est deux mondes comme opposés.


Or, dans les deux cas, la violence que les acteurs mettent en scène prend sa source dans la violence première de toutes les violences: la violence de communautés qui vivent et se sentent exclues, sans espoir, sans voix. De cette première violence structurelle et de racisme systémique, la violence de la rue cherche à s’exprimer. Quand elle ne peut pas s’exprimer, celles et ceux qui se sentent opprimés par un système injuste veulent se battre. Finalement, les «autorités politiques disent vouloir sauver «la loi et l’ordre» ou de le rétablir, même s’il faut employer des moyens violents». Elles s’alarment de la présence d’agents qu’ils appellent: «subversifs» ou «agitateurs». Une spirale de violence s’installe. Dans ce système de violence, les communautés sont prises au piège. Elles sont collectivement prises en otage par la violence.


Les défenseurs de la démocratie lèvent, haut et fort. le principe incontestable des élections démocratiques. «Pris à lui seul, ce principe pourrait se ramener à ceci: une fois élu, vous pouvez faire n’importe quoi entre deux élections». Nos deux crises historiques, nous portent à croire que les crises elles-mêmes provoquent au sein des titulaires légitimes de nos démocraties représentatives des «dictatures provisoires» de leur idéologie politique puisque nos élus ne sont plus des représentants de l’ensemble de la population; encore moins des populations marginalisées qui ont aussi des droits.


Entendons nous bien! Normalement, un chef d’État a pour devoir, en plus de défendre ses options, d’assumer un leadership pour que les contestations, les vues minoritaires dans une société soient entendues. En d’autres mots, il y a un devoir de dialogue; en principe. Quand les politiciens refusent d’entendre les questions et surtout leur fondement, leurs arguments de revendications portées par les groupes marginalisés, on peut mettre en doute la portée démocratique de ces pouvoirs. D’autant que ceux-ci ont officiellement et légitimement la garde de la démocratie. Bref, ramener la démocratie à la démocratie des urnes c’est couper la démocratie de ses profondes racines.



Conclusion


Nos politiciens agissent comme des princes qui possèdent la démocratie.  On se doit, comme société, de voir à ce que la parole du pouvoir soit une parole, certes importante, mais une parole qui a pour objectif premier le respect des droits civiques et politiques, économiques, sociaux et culturels. Pour qu’une société de droit puisse faire de la démocratie un bien commun, il faudra, un jour, repenser fondamentalement notre démocratie représentative. Il faudra, entre autres, penser à des représentations mieux enracinées dans la diversité et surtout que les groupes les plus exclus des droits humains soient mieux représentés.


La crise d’Octobre comme celle de Kanesatake, non seulement hantent nos mémoires, elles n’ont pas encore trouvé des assises d’une démocratie sociale pour en finir avec une démocratie représentative malade qui produit encore et toujours des contextes propices à l’enfermement des marginalisés et par conséquent à des «dictatures provisoires». Bien avant le bruit des armes, il y a une «violence structurelle» d’un système où les plus forts ont toujours «la loi et l’ordre» de leur côté. Oserons-nous trouver un jour des alternatives pour asseoir une véritable démocratie participative, ancrée non seulement dans nos institutions politiques ou dans nos organisations publiques mais aussi dans nos relations de travail, nos communautés, nos familles, nos quotidiens?



Mario Dion


Chargé de cours en travail social


UQO


Le 10 octobre 2020



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