Le prêtre dominicain, théologien, philosophe et médiéviste québécois Benoît Lacroix, devenu une icône intellectuelle, souffle cent bougies. Après un siècle de vie, il formule un grand souhait pour le Québec : « qu’il devienne de plus en plus francophone dans sa langue et universel dans sa culture ». Un résultat qui passe par la valorisation des immigrants et de la culture québécoise, selon lui.
C’est un idéal qui trotte depuis longtemps dans la tête du père Lacroix, qui a enseigné en France, au Japon et dans des pays africains. « J’ai eu la chance de vivre avec d’autres cultures, de connaître d’autres peuples. J’aime les pays, j’aime la diversité. Quand on fait cent ans de vie, si on suit les événements et qu’on intègre les cultures, on s’enrichit à mesure. » Les nombreuses figurines de bois sculpté qui ornent les murs de son bureau du provincialat des frères dominicains témoignent d’un siècle de périples internationaux.
Assurer la survie du français « sera très difficile », reconnaît l’homme qui n’a rien perdu de sa vivacité d’esprit. « Je crois que le Québec va toujours être “en devenir” parce que plus ça va, moins il y a de naissances et plus il y a d’immigrants qui amènent de nouvelles cultures ».
Ce « rural » qui a grandi dans un rang de Saint-Michel-de-Bellechasse demeure toutefois optimiste. « Je vois de plus en plus de Marocains, d’Algériens, de Tunisiens qui parlent un français merveilleux et qui sont des gens doués. C’est un enrichissement pour nous. Nous devons les regarder et les imiter dans ce qu’ils ont de meilleur. Notre inspiration ne viendra plus seulement de nous-mêmes, elle viendra de ceux que nous intégrons, de l’immigration. »
Il faut donc que le Québec soit « ouvert » et « universel », martèle celui qui a signé les éditoriaux de Noël et de Pâques dans Le Devoir de 1987 à 2010.
L’ancien enseignant garde de très bons souvenirs des étudiants étrangers qu’il a côtoyés. « Je vois arriver des gens d’Afrique qui n’ont rien, qui se battent pour trouver du travail, qui empruntent pour faire leurs études. Ce sont des gens qui sont avec nous. Le travail et la difficulté nous unissent davantage que la facilité. Il ne devrait pas y avoir de frontières pour les étudiants, parce qu’un étudiant c’est l’avenir. Ceux qui établissent les frontières sont des gens du passé. »
Le « court-circuit » de l’humour
L’avenir du Québec en Amérique du Nord, « c’est très clair, c’est la culture », lance sans hésiter le religieux au regard bleu vif. « On en a une culture, et elle intéresse les autres. »
Une culture qui peut être bonifiée par les immigrants, souligne-t-il. « Quand je regarde [le chef d’orchestre de l’Orchestre symphonique de Montréal Kent] Nagano, je constate qu’il n’est pas né ici, mais qu’il est tellement avec nous et nous valorise. Ces artistes mettent le Québec sur la carte beaucoup plus que les millionnaires qui ne partagent pas [leur fortune]. »
Le domaine du théâtre et l’oeuvre du conteur Fred Pellerin sont l’incarnation d’un idéal culturel québécois, selon le frère Lacroix. À l’opposé, l’humour vulgaire marque sa décadence. « Le français est respecté dans le théâtre. La musique est très forte aussi. Mais il y a un court-circuit au point de vue culturel : le rire. Il s’est développé un vocabulaire vulgaire qui n’a aucun respect des mots, ni de l’auditoire, avec des blagues centrées sur les histoires de couchette qui sont irrespectueuses envers le corps de la femme. La télévision nous donne des images désastreuses, dans lesquelles on voit que le rire des spectateurs n’est pas sincère. Il y a un recul du français autour du rire, et moi, je n’ai pas envie de rire quand le français n’est pas respecté. Ce n’est pas beau et ce n’est pas nous. »
Il remarque avec espoir que les humoristes de la relève remontent la pente.
Le père Lacroix invite la société à encourager davantage les artistes. « Il faut donner aux artistes tous les droits possibles, car ils sont des créateurs. Ils sont dans le devenir d’une culture. »
Après plus d’une heure de réflexion, le centenaire se lève et traverse la bibliothèque de 40 000 livres « qu’il connaît par coeur » en pensant aux festivités qui l’attendent. « Je n’aurais jamais pensé me rendre à cet âge. Je le crois à peine », lance-t-il en riant.
100 ANS DU PÈRE BENOÎT LACROIX
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