Autopsie d’un budget qui menace les classes populaires du Québec

On achève bien les chevaux

Reprise d'un article écrit au printemps 2010

Chronique de Patrice-Hans Perrier

À l’instar de Robin des bois, le ministre des finances du Québec dérobe le pécule des uns pour regarnir la besace des autres. Ici, c’est le service de la dette qui s’affuble du rôle de la veuve et de l’orphelin.
Les classes populaires, il fallait s’y attendre, passeront à la caisse. Elles auraient mangé à tous les râteliers depuis trop longtemps, si l’on se fie à l’aréopage d’économistes néolibéraux qui entoure l’équipe du gouvernement Charest. Et, la curée sera à la hauteur de leur engouement pour une médecine que n’aurait pas renié Milton Friedman.
Le ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand, livrait, le 30 mars 2010, un discours sur le budget qui aura provoqué un tollé que l’on n’avait jamais vu … de mémoire de journaliste. Il faut dire que l’exercice financier intervient dans un contexte où le gouvernement Charest aura profité de ses sept années de pouvoir afin mettre de l’avant des baisses d’impôts de plus de 5 milliards de dollars CAN [seulement au niveau des particuliers]. Un délestage qui n’aura pratiquement rien rapporté à une classe moyenne mourante, dans un contexte où les divers services de l’état rétrécissent en peau de chagrin et où diverses taxes à la consommation viennent annuler les bénéfices anticipés pour les contribuables. Mais, il y a plus.
Des nuages à l’horizon
L’inflation aidant, le service de la dette se gonflant, l’actuel gouvernement québécois peine à maintenir son assiette de services à la population. C’est ainsi que le secteur de la santé devra subir une ponction qui remet en question jusqu’aux sacro-saints canons de la gratuité et de l’universalité.
Fruits des revendications de la révolution dite tranquille, des années 60-70, les services de santé québécois [hormis les frais dentaires] sont en principe disponibles pour tous. Il serait, néanmoins, utile de rappeler que le Québec aura entrepris – dans la dernière décennie – un virage du côté d’une «médecine à deux vitesse» qui fait en sorte que les prestations de l’état sont de plus en plus réduites à leur plus simple appareil.
En termes moins prosaïques, on pourrait ajouter que ceux qui désirent appliquer les recommandations de leur médecin de famille n’ont plus qu’à casquer pour des traitements spéciaux en clinique privée. On comprendra, qu’hormis les cas d’extrême urgence, la main de l’état ne fait plus qu’effleurer les plaies béantes d’une santé publique qui se dégrade à la vitesse grand V.
Service de la dette obligeant, nos vaillants argentiers ont donc décidé de tailler dans le vif. Poussant leur médecine néolibérale un cran plus loin, ils auront concocté un nouveau mode de financement pour palier au manque de subsides pour le secteur de la santé. S’inspirant de recettes ayant manifestement échouées en Grande-Bretagne, le ministre Bachand vient de franchir le Rubicon de ce qui constituait un véritable pacte sociale au Québec. C’est ainsi que la nouvelle panacée nous est imposée après une valse hésitation qui aura duré près de cinq bonnes années.
Donc, exit la gratuité pour une majorité de contribuables, hormis les moins bien nantis (moins de 20 000 dollars CAN de revenus) qui auront droit à un «crédit de solidarité», une mesure qui fait sourire plusieurs analystes. Une prime de base sera donc exigée de la part des usagés chaque année, pour atteindre les 200 dollars CAN en 2012.
En sus, une franchise de 25 dollars CAN sera exigée à chaque visite, une contribution qui pourrait «être modulée selon les tranches de revenus». Ce «nouveau remède de cheval» économique risque fort de décourager une portion appréciable de la population vieillissante, alors que plusieurs négligeront de se faire suivre par le corps médical.
Une véritable débandade
Nous avons profité de la conjoncture pour nous entretenir avec le seul député de la gauche québécoise à avoir foulé le sol de l’Assemblée nationale depuis des lustres. Amir Khadir, ressortissant d’origine iranienne, est un médecin qui a fait le pari courageux de se pencher [et de sauter dans l’arène politique] sur les causes de cette épidémie politique qui menace les acquis socioéconomiques d’un Québec toujours à la recherche d’un modèle viable.
Le porte-parole de la formation Québec Solidaire se retrouve sur la ligne de front des opposants à ce nouveau budget «digne de l’ère Thatcher». Le principal intéressé n’en revient tout simplement pas que «le gouvernement Charest puise à pleine main dans un livre de recettes néolibérales qui n’ont même plus la cote chez nos puissants voisins du sud». Poursuivant sa réflexion, Amir Khadir souligne qu’«un gouvernement néolibéral n’en a rien à foutre des conséquences d’une privatisation de son système de santé, puisque des maladies plus lourdes représenteront des opportunités d’affaire».
Du côté des mieux nantis
Comme tenait à nous rappeler le Docteur Khadir, «le «Manifeste des lucides», présenté en 2005, constituait une première proposition destinée à démolir le modèle de solidarité hérité de la Révolution tranquille québécoise». Faisant face à une riposte généralisée des forces d’opposition – et de la société civile dans son ensemble –, le gouvernement Charest aura attendu le moment propice pour adopter son fatidique budget.
Déjà, la grogne gagne toute les couches de la société, les forces d’opposition ayant organisé une manifestation contre le budget Bachand qui aurait mobilisé des dizaines de milliers d’opposants le week-end dernier.
L’Union des consommateurs sonne le tocsin, arguant que la présente administration semble abandonner toute notion d’équité en ce qui concerne le régime fiscal québécois. Les principaux intéressés dénonçant le fait que le ministre Bachand n’ait pas fait sienne l’idée de «moduler les taxes selon la nature des biens achetés, à l’instar de plusieurs pays européens, un système qui favorise une taxation accrue des biens de luxe ou de ceux qui sont nuisibles à l’environnement».
En outre, une hausse importante [et non plus symbolique] des tarifs d’électricité touchera ce qu’il est convenu de nommer le bloc patrimonial chez nous. Cette fois-ci, c’est en 2014 que la pilule passera ou … ne passera pas ! En effet, à l’instar de la nouvelle taxe santé [voir les explications plus haut], il s’agit d’une autre prescription qui touchera tous les ménages, sans que ne soit modulée son application. Pendant ce temps, les grandes industries énergivores, à l’instar des alumineries, seront épargnées par un législateur plutôt clément envers les forces du marché.
Deux poids, deux mesures
Comble de l’iniquité, les corporations ne casqueront que pour environ 3,8 G de dollars CAN sur un budget québécois qui fera dans les 66,1 G de dollars CAN. Un bloggeur faisait remarquer que les sociétés d’État rapporteront, à elles seules, une cagnotte de 4,4 G de dollars CAN … plus que les 230,000 entreprises québécoises ensemble !
Une approche qui a littéralement mise hors d’elle le leader de l’opposition officielle, Pauline Marois. La chef du Parti Québécois n’en revient tout simplement pas de cette volte-face d’une administration qui s’est délestée de revenus en consentant des crédits d’impôts et autres dégrèvements aux éléments les plus fortunées de la société québécoise.
Du lot, il fallait s’y attendre, c’est encore une fois les entreprises pharmaceutiques qui s’en tirent le mieux. Une analyse de la réputée firme Samson Bélair/Deloitte & Touche souligne que «des assouplissements seront apportés aux règles relatives au crédit d’impôt remboursable pour la R&D salaire en ce qui concerne les essais cliniques entrepris pour le compte des entreprises de l’industrie pharmaceutique».
Le même document ajoutant que «les règles relatives au crédit d’impôt remboursable pour la R&D salaire seront assouplies de manière à ce que les travaux effectués par une personne qui n’est pas un employé de la société ou de la société de personnes, mais en est l’actionnaire ou le membre, selon le cas, soient aussi considérés pour l’application de ce crédit d’impôt». On comprendra que tout le reste soit … à l’avenant.
Égorger le chaland
Sur le front de l’analyse économique, le vice-président et économiste en chef du Mouvement Desjardins, condamne sans appel le fait que la présente administration n’ait pas profité des années de croissances [après le ralentissement de 2001] pour engranger une marge de manœuvre ou des surplus permettant de faire face à l’orage actuel. François Dupuis estime, par ailleurs, que les hausses de tarifs et de taxes sur l’essence permettront de remédier [en partie] à la situation. Sauf que, ici aussi, un nouveau concert de protestation s’élève déjà …
Cette fois-ci, il n’y a pas d’erreur sur la personne. Les classes laborieuses seront littéralement saignées pour sauver un service de la dette qui serait, aux dires de nos docteurs es-finances, à l’article de la mort. Outre une généreuse hausse anticipée des tarifs d’électricité, le simple quidam devra absorber une hausse de 4 cents le litre d’essence dans le cadre de la taxe sur les carburants qui passera de 15,2 à 19,2 cents le litre … une mesure qui sera amplifiée par l’augmentation de la TVQ (taxe de vente du Québec) qui atteindra le pourcentage de 9,5 % à compter du 1er janvier 2012.
En fait, il s’agit presque de jeter de l’huile … sur le feu ! Le journaliste Michel Girard, du quotidien La Presse, allant jusqu’à parler d’une «taxe qui nous pompe». Si le principal intéressé admet que les automobilistes causent des dommages à l’environnement et aux infrastructures routières, il trouve néanmoins que la pilule sera dure à avaler pour ces derniers.
L’analyste parle d’une taxe de vente à effet multiplicateur, rien de moins. Dans les faits, la TVQ vient couronner une cascade de taxes à la pompe, après que la TPS (taxe fédérale sur les produits et services), la taxe montréalaise de transport et la taxe québécoise de carburant aient été additionnées au prix de base de l’essence. Nous avons, même, omis de mentionner la taxe d’assise fédérale … donc, en avril 2013, une facture d’essence de 50 dollars CAN comprendrait autour de 22 dollars CAN de taxes diverses !
Pendant que les contribuables casquent
En conclusion, le budget Bachand tentera de juguler un manque à gagner de l’ordre de 1 G dollars CAN au niveau de la santé par des mesures de restrictions graduelles de l’accès aux soins pour tous. Au même moment, les grandes multinationales pharmaceutiques factureront l’état d’une somme équivalente [1 G dollars CAN] en ce qui concerne l’assurance médicament mise en place par le gouvernement du Québec.
Pour en revenir à ce fameux service de la dette, il serait utile de préciser que les seuls intérêts courants se monteraient à environ 22 millions de dollars CAN par jour ! Il serait intéressant de calculer le cumul d’intérêts déboursés par l’état québécois depuis un demi-siècle… la fameuse dette ayant peut-être été payée plusieurs fois depuis. Autre aspect à relever, les intérêts annuels versés correspondent à peu près aux 8,2 G dollars CAN qui seront investis, en 2010, par le gouvernement dans un «plan de relance» destiné à soutenir les secteurs entrepreneuriaux minés par la crise économique.
Ce budget, pour l’exercice 2010-2011, tente de stimuler la relance économique par des mesures de soutien à la création d’emploi, à la recherche et développement ou à la rénovation des infrastructures publiques.
Toutefois, il n’y a pas que les représentants de la société civile qui poussent les hauts cris. En effet, plusieurs chercheurs en économie s’interrogent sur le danger d’augmenter les taxes à la consommation –sans oublier les autres mesures de ponction envisagées au niveau des services publics – dans un contexte où les contribuables québécois sont parmi les plus lourdement taxés en Amérique.
La fragile reprise pourrait bien s’enrayer face à la diminution du pouvoir d’achat des contribuables. Sans prendre en compte la descente aux enfers d’une portion appréciable de la société face à des mesures qui semblent destinées à favoriser le grand capital.

Squared

Patrice-Hans Perrier181 articles

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Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





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