Panne de désir

Climat politique au Québec

Un électeur d'Outremont adressait mardi matin le commentaire suivant au Devoir: «C'était impossible de résister. Il fallait voter pour M. Mulcair pour taper sur M. Dion et ses libéraux. Lundi, j'ai donc posé ce geste incongru pour moi qu'est de voter pour le NPD [...]. Toutefois, je n'imagine pas ce que M. Mulcair pourra faire pour éviter que, lors d'élections générales, mon vote ne retourne loger à son enseigne habituelle, le Bloc.»
Il est clair qu'une bonne partie des voix qui ont permis au NPD d'emporter ce château fort libéral provenait de bloquistes qui voulaient rendre la monnaie de sa pièce au géniteur de la Loi sur la clarté. Certains resteront peut-être fidèles à leur parti d'adoption, mais la plupart imiteront sans doute cet électeur de 35 ans, qui avait toujours voté pour le Bloc québécois.
Il faudrait cependant avoir la tête bien enfoncée dans le sable pour attribuer la déconfiture bloquiste de lundi au seul désir de régler ses comptes avec M. Dion ou à la forte personnalité des candidats adverses, qu'il s'agisse de M. Mulcair ou de l'ancien maire de Roberval, Denis Lebel, comme semble le croire l'organisateur en chef du Bloc, Mario Laframboise. Dans Saint-Hyacinthe-Bagot, les conservateurs ont failli gagner bien malgré eux.
Les souverainistes ont toujours refusé d'attribuer leurs insuccès à une panne de désir pour la souveraineté. Au lendemain des élections fédérales de novembre 2000, il fallait voir les membres du gouvernement Bouchard défiler dans les couloirs de l'Assemblée nationale comme une bande d'autruches à la parade.
À les entendre, seul un malencontreux concours de circonstances avait fait en sorte qu'après des années d'ignominie, les libéraux de Jean Chrétien avaient obtenu plus de voix que le Bloc québécois. Pourtant, Lucien Bouchard avait lui-même reconnu de facto la baisse de la ferveur souverainiste en reportant la tenue du référendum aux calendes grecques. En annonçant son départ, il avait même dit se sentir incapable de raviver la flamme.
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Le ressentiment a pu servir de succédané. Quand le scandale des commandites avait éclaté, l'ensemble des électeurs québécois avait eu le même réflexe que ceux d'Outremont lundi soir. Que va-t-il arriver au Bloc maintenant que tous les méchants ont été punis?
Les gens savent très bien décoder le discours des politiciens. Au-delà des figures imposées, destinées aux militants, le message envoyé par les leaders souverainistes depuis une dizaine d'années consistait à dire qu'il n'y avait pas de référendum à l'horizon. Même André Boisclair, qui s'évertuait à prétendre le contraire, s'arrangeait pour qu'on ne le croie pas.
Pauline Marois est la première à ne plus essayer de maquiller cette réalité. Le référendum, s'il y en a un, ne viendra peut-être qu'au deuxième, voire au troisième mandat, a-t-elle dit. Certains se demandent même si elle ne devrait pas franchir le dernier pas et promettre formellement qu'il n'y en aura pas au cours de son premier mandat.
La nouvelle chef du PQ a bousculé un autre tabou en réhabilitant le principe du «bon gouvernement». Les délégués au congrès de juin 2005 avaient résolu qu'un gouvernement péquiste n'accepterait plus de gérer une simple province du Canada. Dans cette optique, l'idée d'un référendum le plus rapidement possible après la prise du pouvoir était parfaitement logique. Elle avait simplement le tort d'être suicidaire.
Plus encore que la raclée qu'elle a servie à Gilles Duceppe, Mme Marois tient un nouveau discours qui nuit au Bloc. À partir du moment où il redevient légitime d'offrir le meilleur gouvernement possible pour le Québec, y compris dans le cadre fédéral, pourquoi le principe de la «bonne opposition» serait-il le seul acceptable quand il s'agit d'envoyer des députés à la Chambre des communes?
Puisque le pouvoir est interdit au Bloc, on peut aussi examiner les choses sous l'angle du moindre mal. Il y aura toujours un gouvernement à Ottawa. En attendant que le Québec devienne souverain, pourquoi ne pas se tourner vers le parti fédéraliste qui risque de lui faire le moins de tort?
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Ce n'est pas un hasard si le PLC et le Bloc dégringolent simultanément. De la même façon que le PQ et le PLQ ont tous deux perdu des plumes au profit de l'ADQ le 26 mars dernier, les principaux protagonistes du débat constitutionnel à Ottawa sont victimes de la lassitude des électeurs.
Les difficultés des libéraux au Québec ne tiennent peut-être pas uniquement à M. Dion, mais il y est pour beaucoup. Son départ réglera sans doute bien des choses. Les problèmes du Bloc sont plus complexes.
L'intervention canadienne en Afghanistan et l'indifférence de Stephen Harper en matière de protection de l'environnement, qui auraient dû indigner les Québécois autant que le plan B de M. Dion, semblent être considérés comme des péchés véniels. Il a suffi que, du fond de l'Australie, le premier ministre Harper réaffirme l'existence d'une nation québécoise au sein du Canada pour en être absous.
Le Bloc conserve néanmoins un bon fonds de commerce. «Tant que les problèmes constitutionnels ne seront pas réglés, le Bloc sera mon choix naturel», expliquait cet électeur d'Outremont dans son commentaire adressé au Devoir. À ce compte, ce parti n'est pas à la veille de disparaître, mais il risque une sérieuse cure minceur.
Les pannes de désir peuvent être passagères. Un jour ou l'autre, la question nationale va rebondir, comme elle l'a toujours fait. D'ici là, les souverainistes risquent de trouver le temps long à geindre sur les banquettes de la Chambre des communes, beaucoup plus qu'à bien gouverner à l'Assemblée nationale.
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mdavid@ledevoir.com


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