Peur, car oui, j’ai peur, ce matin.
Le système financier, assis sur des pyramides de dettes prenant appui les unes sur les autres est en train de sombrer, sa base constituée des dettes publiques prenant l’eau de toute part.
Éludons le sujet grec – c’est à peine un suintement. Plus inquiétante est la fuite européenne, avec l’Espagne et l’Italie dont les taux remontent déjà, le cirque médiatique des gouvernants européens de la semaine dernière ayant déjà fait long-feu – 110 Md€ pour 1 semaine de calme, ça fait cher la minute quand même (11 M€ !)…
Mais si j’emploie un mot si fort ce matin, c’est bien évidemment à cause des États-Unis, où les députés ne se sont toujours pas mis d’accord pour relever le plafond de la dette.
Honnêtement, je me suis trompé. J’ai cru durant des semaines que ceci ne serait qu’une formalité, et que les États-Unis auraient rapidement trouvé un accord pour relancer la machine à faire de la dette – solution qui finirait inéluctablement par un défaut, dû au surendettement, comme nous l’avons déjà longuement analysé dans une série de billets précédente.
Mais je ne pensais pas que le blocage actuel adviendrait, alors que finalement, il aurait pu être mieux prévu. Car au fond, les Républicains vomissent l’État fédéral, qui a un soutien limité de la population. Rappelons au passage que pour un américain, l’État fédéral est perçu à peine mieux que l’embryon d’État européen chez nous : distant, et faiblement utile. Les Démocrates y sont plus attachés, mais le compromis demandé par les Républicains revient justement à signer son démantèlement.
Donc si l’État fait défaut, ceci parachèvera le Grand Œuvre entamé sous Ronald Reagan, qui a fait exploser les déficits en baissant les impôts des riches en augmentant les dépenses. OUI, j’estime que le déficit public est l’allié des néoconservateurs, la meilleure arme des liquidateurs de l’État. Car d’une part, tant que la dette monte, elle enrichit outrageusement les patrimoines les plus aisés par les intérêts, véritable impôt à l’envers. Et un jour, évidemment, l’État se retrouve en défaut, et comme il est désormais hors de question de toucher aux patrimoines, il faut donc démanteler la protection sociale puis le contrat social de 1945 – paix à leurs cendres. Quiconque pense que l’État a un rôle à jouer devrait se battre pour son équilibre financier, car un État qui tend la main est un État faible, qui finira démantelé…
« Lorsqu’un gouvernement est dépendant des banquiers pour l’argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit. [...] L’argent n’a pas de patrie ; les financiers n’ont pas de patriotisme et n’ont pas de décence ; leur unique objectif est le gain. » [Napoléon Bonaparte]
Bien entendu, le remède n’est nullement de continuer à faire n’importe quoi avec les finances publiques, qui devraient à mon sens tourner autour de principes simples :
- aucun déficit public hors période de récessions ;
- liquidation de toute dette publique en 4 à 5 ans ;
- constitution d’un matelas de prudence par des excédents les bonnes années, pour limiter tout déficit ;
- utilisation d’un faible mais régulier concours de la banque centrale pour aider à l’équilibre budgétaire, sans menacer la monnaie.
L’État pouvant lever l’impôt, il est tout de même kafkaïen de ne pas le faire, laissant leur argent aux contribuables aisés, et d’avoir à la place des déficits, qu’on comble en demandant aux mêmes contribuables de prêter leur argent contre des intérêts… Ou comment transformer ses impôts en prêts… Mais ils révéleront à la fin leur véritable nature d’impôts, puisqu’il n’est pas possible de les rembourser…
Pensons aux discours surréalistes des gouvernants actuels : un Premier Ministre qui annonce en 2007 que « l’État est en situation de faillite », mais qui augmente tranquillement en 4 ans la dette de 50 % (sic !) ; un discours politique rabâché expliquant qu’il est hors de question d’augmenter les impôts, mais qui augmente la dette, qui n’est qu’un impôt différé – Charles de Gaulle, réveille-toi, ils sont devenus fous !!!!
« Il est fâcheux de légaliser un supplément de déficit. [...] Tout le monde doit s’apercevoir qu’un jour, il faut payer. [...] Le budget [1965] doit être équilibré ! [...] L’État doit veiller aux équilibres. C’est un budget de stabilité [...] ça ne doit pas être le dernier. Il faut que ça devienne la règle. [...] Ce qui fait que, pour les jeunes, c’est-à-dire pour l’avenir, c’est énorme, c’est révolutionnaire ! » [Charles de Gaulle]
Revenons au plafond de la dette américaine. Quel est ce danger ? Contrairement à ce que l’on pense et à ce que l’on entend, j’estime personnellement que le danger n’opérera pas de la même façon qu’en Grèce. À ce stade, ce pays est en effet exsangue : laminé par le montant colossal de la dette et de sa charge d’intérêts. Bref, la Grèce est épuisée, et étant devenue à risque, les marchés financiers ne lui prêteraient qu’à des taux prohibitifs, non remboursables.
Pour comprendre la situation chez nous, je rappelé quelques chiffres :
- ressources nettes de l’État en 2010 : 170 Md€
- dépenses nettes de l’État en 2010 : 280 Md€, dont 50 Md€ d’intérêts sur la dette (soit plus que l’impôt sur le revenu)
- déficit public 2010 : 90 Md€
- dette de l’État fin 2010 : 1 230 Md€, de durée moyenne 7 ans et de taux apparent 4 %.
Le déficit est incroyablement lourd, mais le souci vient de la dette, qui « roule » en permanence. Régulièrement, il faut par exemple rembourser 50 Md€ de bons du trésor émis il y a 5 ans, et pour ce faire, on emprunte de nouveau 50 Md€ sur les marchés financiers (plus les intérêts…). C’est ainsi que l’État « rembourse » sa dette – puisqu’il ne peut faire autrement, étant déjà en déficit avant de payer les intérêts, donc en lourd déficit après les avoir payé, et donc il n’y a plus rien pour rembourser le capital emprunté… Au final, l’État a été obligé d’emprunter en 2010 plus de 600 Md€, oui, vous lisez-bien, 600 000 millions d’euros – 500 Md€ ayant servi à rembourser de la dette…
On ne nous parle que des soldes, mais c’est bien le montant des flux qui compte. Car TOUTE LES SEMAINES, l’État encaisse 3 Md€ d’impôts, dépense 5 Md€, et emprunte 12 Md€, dont 10 servent à rembourser de la dette… L’État doit donc tendre la main pour trouver plus de 2 Md€ chaque jour ouvré ! Et ce pour la France, c’est autant pour l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne…
Et ce fait est bien sûr largement masqué par les pouvoirs publics, qui se gardent bien de vous présenter le budget réel de l’État – moi, dans mon budget, le remboursement de mes dettes est inclus…
Budget Réel de la France en 2010
Et c’est là que tout se joue. L’État trouve ces sommes car depuis des décennies tout le monde pense que le bon du trésor est « l’actif sans risque ». Et ceci ne repose que sur de la confiance – confiance d’ailleurs à mon sens totalement infondé quand on perçoit bien l’étendue des dégâts démontrée par les chiffres précédents. D’ailleurs, comment avoir confiance dans un État qui, depuis 35 ans, toutes les semaines tend la main pour se faire financer par les marchés financiers, et dont le pilote ne trouve rien de plus rassurant à dire à son prêteur que, en situation de grave déficit, lui vivant, on n’augmentera jamais les recettes… « Merci, mais moi, je vais mettre mon argent ailleurs, du coup… »
D’ailleurs, il est évident, au vus des chiffres précédent, qu’on en peut rembourser 1 300 M€ de dette avec de tels budgets, ni même le quart…
« Il n’y a que les dettes que l’on peut payer qui sont ennuyeuses. » [Francis Picabia]
Alors bien sûr les taux vont monter – et 1 % de plus, c’est 12 Md€ de charge supplémentaire, ce qui augmentera le déficit, donc la dette. Mais ceci est un problème de court-moyen terme.
A très court terme, le risque c’est que tout simplement les prêteurs, effrayés, ne prêtent plus – ou prêtent moins. Le souci principal n’est donc pas tant de payer trop cher son emprunt, mais de se le voir refuser. Par exemple, l’État ne trouvera que 10 Md€ dans une semaine au lieu des 12 qu’il lui faut. Et là, il lui manque 2 Md€, et il ne peut pas les trouver, donc il ne peut rembourser toute la dette venant à échéance ou payer tous les salaires… C’est la cessation de paiement assurée.
Ainsi, dès que la dette ne pourra plus être roulée, l’État n’aura que 3 choix :
- il ne rembourse pas la dette (ou diminue les intérêts contractuel versés) ;
- il lève une taxe exceptionnelle sur l’épargne financière (3 000 Md€ en France, sachant que le patrimoine total a doublé en 10 ans, + 6 000 Md€ – il y a de la marge, même si c’est très désagréable) ;
- il enjoint à la banque de France de créer et de lui remettre la somme dont il a besoin.
Les deux premières solutions sont à peu près équivalentes, car rappelons qu’environ 80% de la dette publique est concentrée chez les 10 % des contribuables les plus fortunés. Ne pas les rembourser, ou leur prendre de l’argent pour les rembourser revient à peu près au même. La dernière est un saut dans l’inconnu, car elle peut se révéler très inflationniste si le public perd confiance dans la monnaie.
Au final, ne plus pouvoir rouler la dette IMPOSE de la diminuer fortement. Or, diminuer de 500 Md€ la dette publique IMPOSE de diminuer les patrimoines financiers de 500 Md€ – c’est bêtement mathématico-comptable. Reste donc à savoir qui va être obligé de jouer à « Qui veut perdre des millions » – les plus fortunés ou les autres…
Et j’ai gardé le meilleur pour la fin. L’État fédéral américain, c’est 150 Md$ par semaine qu’il emprunte – 8 000 Md$ par an…
Voilà où nous en sommes réellement, voilà les enjeux véritables – certes bien moins important qu’un débat national sur la couleur des uniformes des militaires pour le défilé du 14 juillet, puissent-ils ne pas devoir revenir dans les rues avant le prochain….
Alors si le Congrès américain ne relève pas le plafond (et il y a bien 1 chance sur 2 désormais), une tempête va se déchainer la semaine prochaine, et 2008 restera une petite brise à côté. S’il est relevé, les États-Unis gagneront quelques trimestres avant leur défaut, qui adviendra non en raison du plafond, mais par tarissement des prêteurs. Car avec ces fondamentaux budgétaires, sa situation économique et ce cirque politique, les agences de notations ne peuvent que baisser la note des Etats-Unis si elles font bien leur travail.
Mais à ce stade, le résultat importe peu. Une seule chose compte. Ce matin, les prêteurs obligataires qui ont de la dette américaine à échéance Aout 2011 ont terriblement peur. Et tous les prêteurs obligataires ont peur, et la peur est l’ennemie de la confiance. Une bonne nouvelle lundi n’enlèvera jamais ceci, et un mythe est mort ces derniers jours : non, le bon du trésor américain n’est pas « l’actif sans risque », c’est un refuge potentiellement dangereux.
Inspiré par Marcel Pagnol, je dirais que la confiance, c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois… Les conséquences de ceci vont apparaître dans tous les cas dans les prochaines semaines. Le défaut est inéluctable – et ce ne sera pas la première fois, car comme le disait un de nos anciens ministres des finances :
« Un État devrait faire défaut tous les cent ans, afin de remettre les finances publiques en équilibre. » [Abbé Joseph-Marie Terray, ministre français des finances de 1768 à 1774]
En revanche, les conséquences de ceci dans un régime de mondialisation financière follement bâtie sur la dette sont inconnues – bienvenue dans cette nouvelle expérience sociologique dont vous êtes le cobaye…
En 1933, Roosevelt était aux commandes, et a véritablement sauvé les États-Unis, puis le monde libre. De Gaulle attendait son heure en France, comme Churchill.
Où sont nos Grands Hommes ? (et Femmes…)
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