L'affaire Chaouli continue de faire parler. Un défi constitutionnel a été lancé le 5 septembre 2007 en Ontario afin d'interdire l'achat d'assurances privées pour les services de santé sur le plan médical. Cette cause vient encore remettre en question le système actuel en plus de favoriser un appel à une privatisation accrue, d'après la notion mal informée selon laquelle les assurances santé privées sont la solution aux temps d'attente au Canada.
Récemment, le président sortant de l'Association médicale canadienne (AMC), le Dr Colin McMillan, présentait un plan de régime d'assurance maladie amélioré (Medicare Plus) à titre de complément à notre régime de soins de santé actuel. Ce plan propose d'accroître le rôle de l'assurance privée et du paiement privé et de permettre aux médecins de travailler pour le régime public tout en traitant des patients privés.
Après plusieurs réactions défavorables au rapport sur le régime d'assurance maladie amélioré de la part de l'Association canadienne des soins de santé, de l'Association des infirmières et infirmiers autorisés de l'Ontario, des médecins du régime de soins de santé et d'autres intervenants, l'AMC a précisé que le régime d'assurance maladie amélioré ne devrait pas être perçu comme une adhésion à un système de soins de santé à deux vitesses mais plutôt comme la nécessité de débattre de la question. Il est effectivement temps d'agir. Mais les faits démontrent que les recommandations de l'AMC ne correspondent pas à la solution.
À l'heure actuelle, la réglementation canadienne empêche les médecins rémunérés par le régime public de fournir des soins médicaux dans le privé. Les médecins peuvent choisir de «quitter» le régime public et se lancer dans le secteur privé (sauf en Ontario où, en raison de changements récents, les médecins ne peuvent même pas «quitter le régime»).
Si cette réglementation n'existait pas, les médecins consacreraient davantage de temps qu'ils le font à l'heure actuelle à offrir des soins de santé privés, parce que les conditions des patients sont souvent moins graves et moins complexes et qu'ils (ou leur assureur) sont prêts à débourser davantage pour l'obtention des soins requis. Un médecin, comme tout autre salarié d'ailleurs, voudra travailler le moins possible pour le maximum de revenus. Qui peut l'en blâmer?
Régime privé parallèle
Ainsi, il n'est pas surprenant que certains membres de l'AMC soient en faveur de l'idée du régime d'assurance maladie amélioré, contrairement au point de vue du public en général et de la plupart des patients. Si vous êtes un patient suffisamment nanti pour vous offrir des soins de santé privés ou vous permettre un régime privé, le régime d'assurance maladie amélioré constituera une solution très avantageuse pour vous. Pendant ce temps, les files d'attente dans les hôpitaux ou pour les soins de santé publics ne cesseront de s'allonger.
La recommandation de l'AMC ne tient pas compte du fait que sans une augmentation du nombre de médecins (d'où viendront-ils?), l'introduction d'un régime privé parallèle signifierait que les médecins membres seraient affectés au traitement de patients dans le régime public et dans le régime privé. Les patients du régime privé paieront davantage pour les soins de santé dont ils ont besoin sur une base préférentielle, laissant les patients du régime public sur des listes d'attente de plus en plus longues. Les preuves tendent à montrer que le fait de permettre aux médecins de pratiquer dans les deux régimes n'améliorerait pas, comme l'affirme le régime d'assurance maladie amélioré, l'accès aux services pour l'ensemble de la population.
D'autres pays, comme la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et l'Irlande, permettent aux médecins de pratiquer sur une base non réglementée dans les secteurs public et privé. Ces pays sont ou ont été aux prises avec de sérieux problèmes de longues listes d'attente. Les preuves indiquent qu'un tel régime n'est pas une panacée au problème des longues listes d'attente. Pour réduire les listes d'attente au Royaume-Uni, il a fallu injecter énormément de fonds publics et revoir la gestion des hôpitaux publics et des listes d'attente. La solution ne réside pas dans l'accroissement des fonds privés ou des régimes d'assurance privés.
Réglementer le privé
Certains pays d'Europe dotés d'un secteur privé considérable -- comme la France -- semblent en fait être les plus stricts dans leur réglementation de la pratique des médecins travaillant au privé, y compris en ce qui a trait aux prix qu'ils sont en droit d'exiger et au nombre de médecins pouvant réclamer plus que les frais autorisés par le gouvernement. Ainsi, ce qui semble «privé» en surface ne l'est pas vraiment.
Nous pourrions suivre la démarche européenne -- et réglementer lourdement les médecins du secteur «privé» -- mais nous pouvons conserver notre approche claire et simple selon laquelle on exige des médecins payés par le régime public (assurance maladie) qu'ils ne soient payés que par le régime d'assurance maladie tout en permettant aux autres médecins qui choisissent de pratiquer dans le secteur privé d'être payés par le «privé».
Nous devons reconnaître qu'en adoptant une réglementation de type européen, nous admettons qu'il est acceptable que les personnes mieux nanties puissent passer en premier et obtenir un traitement préférentiel. Mais cela est en opposition directe avec le principe d'équité qui a initialement orienté le régime d'assurance maladie canadien, créé en partie pour éliminer les inégalités entre les riches et les pauvres.
Le régime de soins de santé canadien doit être réformé, mais la réforme doit se fonder sur les données les plus probantes qui soient et s'orienter sur les valeurs canadiennes. Par exemple, en ce qui a trait aux temps d'attente et à l'accès aux soins, l'Institut des services et des politiques de la santé des Instituts de recherche en santé du Canada a contribué à bâtir un ensemble de données en finançant des recherches dans ce domaine. Ces recherches ont contribué à l'établissement des premiers points de repère nationaux pour les temps d'attente en décembre 2005. L'ISPS des IRSC s'est engagé à fournir des solutions fondées sur des preuves qui amélioreront le système de soins de santé. Nous devons à tout prix contrer les tentatives d'utiliser inadéquatement la multitude de preuves appuyant le maintien d'un régime de soins de santé public comme le régime d'assurance maladie du Canada.
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Colleen Flood, Directrice scientifique de l'Institut des services et des politiques de la santé des IRSC (Instituts de recherche en santé du Canada)
Plan de l'Association médicale canadienne pour un régime d'assurance maladie amélioré - Un régime privé parallèle nuirait aux patients
Commission Castonguay
Colleen Flood1 article
Directrice scientifique de l'Institut des services et des politiques de la santé des IRSC (Instituts de recherche en santé du Canada)
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