Plus ça change..

CHUM

C'est en 1995 qu'a commencé la saga du CHUM, quand Jean Rochon a annoncé la fusion des trois grands hôpitaux francophones du centre-ville: l'Hôtel-Dieu, Notre-Dame et Saint-Luc. 1995, cela vous rappelle quelque chose?
Si l'on excepte l'intermède de la «cohabitation», Jean Charest tient le volant seul depuis 2003. Il doit donc assumer sa large part de responsabilité pour le pitoyable cafouillage auquel on a assisté. Avec le recul, il aurait sans doute été préférable de s'en tenir au projet initial du 6000 Saint-Denis, mais le PQ n'avait rien fait pour le rendre irréversible. La valse-hésitation avait commencé bien avant l'arrivée au pouvoir des libéraux.
En démocratie, on a les gouvernements que l'on mérite, paraît-il. À en juger par le dossier du CHUM, cet adage reflète une certaine réalité, mais la société civile, en commençant par la communauté médicale, a également contribué généreusement à la zizanie qui caractérise le projet depuis le début.
Il est vrai qu'une entreprise aussi complexe réserve inévitablement de mauvaises surprises, mais s'il fallait choisir un exemple concret de notre tragique incapacité de nous mobiliser dans une entreprise collective, le CHUM l'illustre jusqu'à la caricature.
Depuis quinze ans, ce n'est pas seulement le gouvernement, mais l'ensemble de la société québécoise qui s'est révélée incapable de faire consensus tant sur la construction d'un hôpital que sur son avenir politique.
On peut très légitimement s'interroger sur le bien-fondé de doter la métropole de deux centres hospitaliers universitaires prétendument «complémentaires» dont l'un se spécialisera surtout dans l'exportation de médecins, mais il n'y aurait sans doute pas moins de chicane à propos du CHUM s'il était le seul.
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Pour dissiper la désagréable impression d'une perte de contrôle, le gouvernement avait organisé, à l'occasion du lancement de l'appel de propositions, un spectacle à grand déploiement auquel assistaient, pêle-mêle, la moitié du Conseil des ministres, le gratin du CHUM, le maire Tremblay, Claude Carbonneau, Pierre Marc Johnson...
Malgré les réjouissances d'usage, combien d'entre eux croient sincèrement que le projet sera achevé en 2018 et que le coût n'excédera pas 2,5 milliards, y compris le centre de recherche?
La prudence des qualificatifs utilisés par ceux qui ont pris la parole semblait directement proportionnelle à leur ancienneté dans le dossier. Le ministre du Développement économique, Raymond Bachand, qui a été élu pour la première fois en décembre 2005, a parlé de la «dernière grande étape». Plus prudent, M. Charest l'a qualifiée de «décisive». Pour le maire Tremblay, qui était encore député à l'Assemblée nationale quand Jean Rochon a lancé le projet en 1995, elle était simplement «importante».
Il y a quatre ans presque jour pour jour, Philippe Couillard avait annoncé que le CHUM serait bel et bien érigé sur l'emplacement de l'hôpital Saint-Luc et qu'il serait terminé en 2010 au coût de 1,1 milliard.
En 2006, le coût total pour le CHUM, le CUSM et le projet de l'hôpital Sainte-Justine était évalué à 3,3 milliards, en tenant compte de l'inflation. Hier, le successeur de M. Couillard, Yves Bolduc, a fait grimper la facture à 5,2 milliards et il a reconnu qu'il s'agissait simplement d'«estimés». Autrement dit, ce n'est pas fini.
En début de journée, le président de la Fédération des médecins spécialistes, Gaétan Barrette, évoquait déjà les transformations majeures que l'évolution de la technologie et des besoins impose aux hôpitaux tous les neuf ou dix ans.
Le plus inquiétant est cependant de voir le gouvernement s'accrocher à la formule du partenariat public-privé comme s'il s'agissait des Tables de la Loi, alors que le contexte économique y semble aussi peu propice.
Déjà, les intérêts croisés des consortiums en lice, qui sont tantôt consultant dans le projet du CHUM et soumissionnaire dans celui du CUSM, tantôt l'inverse, posent un sérieux problème, auquel viennent s'ajouter les difficultés que la crise du crédit cause actuellement aux projets en PPP un peu partout dans le monde.
La ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a toujours plaidé l'avantage de faire porter au promoteur privé le fardeau du risque. Hier, M. Charest disait résolument avoir bon espoir de voir le crédit se rétablir, mais il a également parlé d'un «partage de risques». Autrement dit, le gouvernement pourrait garantir au moins en partie les emprunts nécessaires à la réalisation du CHUM.
Il se pourrait également qu'aucune des deux propositions qui seront présentées dans un an ne satisfasse le gouvernement. À moins de lancer un nouvel appel, ce qui reporterait encore la date du début des travaux, le «plan B» qu'a évoqué premier ministre consisterait alors à revenir au mode de construction traditionnel.
Cela constituerait un sérieux revers pour le gouvernement, mais il n'a plus grand-chose à perdre. Sur le plan politique, il devient impérieux que ce projet démarre une fois pour toutes, peu importe comment. De toute manière, si Mme Jérôme-Forget doit prendre sa retraite, comme tout le monde s'y attend, elle pourrait aussi assumer la responsabilité de ce gâchis. Au point où elle en est, un peu plus ou un peu moins, quelle différence?
mdavid@ledevoir.com


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